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Luxe italien : les coulisses peu reluisantes de la sous-traitance chinoise

Pour faire face à la demande, les marques de luxe italiennes sont nombreuses à recourir à des sous-traitants chinois installés dans la péninsule. Gucci ou Prada entretiennent ainsi des dizaines d'ateliers clandestins, où des milliers de forçats chinois travaillent dans des conditions inhumaines.

Quoi de plus tendance que d’arborer le dernier sac à main monogrammé Gucci ou la dernière pièce de prêt-à-porter signée Prada ? Des créations exclusives, floquées du label « Made in Italy », gage de qualité et d’authenticité s’il en est – en théorie, du moins. Depuis plusieurs années, certaines griffes de luxe italiennes, confrontées comme l’ensemble des marques du secteur à l’explosion de la demande, ont massivement recours à la sous-traitance. Et à une main d’oeuvre chinoise bon marché, que celle-ci travaille dans les ateliers de l’Empire du Milieu ou dans la péninsule italienne.

La ville de Prato, épicentre de la sous-traitance chinoise en Italie

Pendant longtemps, il suffisait aux marques de luxe de designer leurs produits à Florence ou Milan afin de bénéficier du fameux label « Made in Italy ». Et ce, tout en faisant confectionner ces mêmes produits en Europe de l’Est ou en Chine. Mais depuis 2010, une loi proposée par Santo Versace impose qu’au moins deux étapes de fabrication des produits – sacs, vêtements, accessoires, etc. – soient effectuées en Italie. Une avancée qui n’a pas freiné certaines griffes transalpines dans leur course au profit.

Si les produits de luxe italiens ne peuvent plus être confectionnés en Chine, pourquoi ne pas faire venir les ouvriers Chinois en Italie ? Dans la ville toscane de Prato, au sud de Florence, l’implantation chinoise remonte aux années 1990. Longtemps spécialisés dans la « fast fashion », les Chinois de Prato – majoritairement originaires de la province de Wenzhou – se distinguent de leurs compatriotes restés au pays par leur stupéfiante réactivité aux commandes de textiles et, bien entendu, par l’absence de délais de transport : il faut plusieurs mois pour acheminer un conteneur depuis les côtes chinoises.

La « China Town » de Prato est la plus importante en Europe après celle de Paris. Et pour cause : en 2015, on estimait le nombre de Chinois officiellement installés dans la ville à plus de 16 000. Mais c’était sans compter sur les dizaines de milliers de travailleurs clandestins – les autorités parlent de 20 000 à 35 000 ouvriers non déclarés –, qui vivent et travaillent dans des conditions souvent inhumaines. Soit près d’un quart de la population de Prato, où les tensions avec les habitants se font chaque jour plus vives.

Les désastreuses conséquences sociales de la sous-traitance

Les reporters et autorités de contrôle envoyés sur place témoignent, tous, des conditions déplorables dans lesquelles se débattent ces forçats de la mondialisation : ouvriers travaillant seize heures par jour et sept jours sur sept dans des entrepôts insalubres – en 2013, sept ouvriers chinois avaient trouvé la mort lors de l’incendie de leur atelier clandestin –, dormant et cuisinant sur place, dont les passeports sont confisqués par des passeurs jusqu’au remboursement de leur voyage (de 20 000 à 30 000 euros). Un calvaire que l’ancien maire de Prato, Roberto Cenni, n’hésitait pas à qualifier de « nouvel esclavage ».

Le président de la chambre de commerce locale, Luca Giusti, dénonçait quant à lui une « concurrence déloyale, en raison du non-respect des règles, (un) coût social élevé (et) une dégradation des conditions de travail et de vie de la société en règle générale ». Evoquant même ceux qui, « la nuit, se débarrassent de leurs déchets dans la rue ou dans les containers de leurs voisins ». Et si le vivre-ensemble à Prato se dégrade, les marques de luxe en portent la responsabilité.

A l’instar de Gucci. La maison mère et principal pourvoyeur de bénéfices de l’empire Kering, propriété de la famille française Pinault, ferait tourner à Prato – comme d’autres marques – des ateliers exclusivement dédiés à ses produits, au premier rang desquels les fameux sacs monogrammés. Selon un propriétaire d’atelier, Gucci ne paierait qu’environ 10 euros le mètre de tissu, que la marque revendrait de dix à quinze fois plus cher.

La sous-traitance passe aussi par des voies détournées, et peu reluisantes. Comme l’a révélé, en 2014 à la télévision, un artisan italien à qui Gucci avait passé une importante commande, la griffe le payait si peu – 24 euros le sac à main – que pour rentrer dans ses frais il a été contraint de faire appel à un atelier chinois, faisant travailler ses ouvriers 14 heures par jour. Si l’atelier a reçu la moitié des 24 euros payés par Gucci, les mêmes sacs, vendus dans les boutiques de l’enseigne, se sont écoulés entre 800 et 2 000 euros. Comble du cynisme, un inspecteur mandaté par Gucci aurait répondu à l’artisan italien que les conditions de travail des ouvriers étaient hors sujet.

En dépit des efforts des autorités péninsulaires, le phénomène de la sous-traitance des produits de luxe italiens ne semble pas près de s’arrêter. Il aurait même tendance à s’aggraver : aujourd’hui, il n’est pas rare que les ateliers chinois, profitant du désespoir des nombreux migrants arrivés en Italie au cours des derniers mois, recourent à de la main d’oeuvre originaire du Sénégal, du Pakistan ou de Syrie. Leurs conditions de travail sont tellement déplorables que plusieurs mouvements de protestation ont récemment agité Prato. Autant de souffrances qui, gageons-le, n’arriveront pas aux oreilles des élégantes milanaises essayant leur nouveau sac Gucci.

Nephew

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