Qu’est-ce que la ConIFA ?
La ConIFA est une association qui additionne des pommes et des poires : des exilés (comme les Tibétains de la diaspora), des morceaux d’États (comme l’Île de Man, la Kabylie ou le Darfour), des États pas tout à fait reconnus (comme la Transnistrie), d’anciens royaumes (comme la Franconie), des provinces historiques (comme la Rhétie), des peuples antiques (comme les Araméens), une création populiste récente (la Padanie), des minorités (comme les Roms, les Rohingyas ou les Hongrois hors Hongrie), soit des communautés aux revendications variées : tantôt culturelles, voire folkloriques (Comté de Nice, Archipel d’Heligoland, etc.), tantôt autonomistes, voire indépendantistes (Sahara occidental, Groenland, Ossétie du Sud, Abkhazie, etc.).
Bref, un terrain idéal pour la rencontre de tous les fantasmes identitaires et nationalistes (voir l’article de Timothée Vilars Chauvinisme et bouts de ficelle dans L’OBS du 22/06/2015).
Avant son départ pour Londres, l’« équipe nationale des exilés tibétains », est allée recevoir la bénédiction du dalaï-lama (1), tout heureux d’ajouter le football à son arsenal médiatique.
Un « Grand Tibet » aux pieds d’argile
Or, au même moment (2), le dalaï-lama se lançait dans un nouveau plaidoyer pour ce qu’il appelle une « Middle Way Approach », c.-à-d. une 3e voie censée réclamer une « autonomie véritable » au sein de la RPC. Mais comment peut-on dans le même discours se déclarer favorable à une discussion amicale avec la Chine ‒ « C’est stupide, dit-il, de nous opposer à la Chine comme à un ennemi » (3) ‒ tout en plaidant pour l’unité entre les trois provinces traditionnelles constituant un mythique « Grand Tibet », à savoir l’Ü Tsang (correspondant en gros à l’actuelle République Autonome duTibet = RAT), l’Amdo (recouvrant la quasi-totalité du Qinghai plus une portion du Gansu et du Sichuan) et le Kham (à cheval sur l’ouest du Sichuan, le nord-ouest du Yunnan et l’est de la RAT) ?
Comment comprendre cette insistance renouvelée du dalaï-lama sur l’unité entre les « trois provinces traditionnelles » (4) ? Y aurait-il de l’eau dans le gaz dans le « Grand Tibet » ou « Tibet historique » ? Des préfectures ou cantons tibétains autonomes hors RAT ne seraient-ils pas en train de se rendre compte des avantages que leur procure le fait d’être intégrés dans une province chinoise ? Des Tibétains de l’antique Amdo et de l’antique Kham ne se mettraient-ils pas à préférer cohabiter pacifiquement avec des ressortissants d’autres minorités au sein de la RPC plutôt que d’être utilisés comme masse de manœuvre, voire comme martyrs, dans des opérations médiatiques initiées à Dharamsala et complaisamment relayées par la grande presse occidentale ?
Dérives nationalistes
Quoi qu’il en soit, cet appel pathétique du dalaï-lama à l’unité des territoires où vivent des minorités tibétaines n’est pas sans rappeler les prétentions irrédentistes d’un Viktor Orbán sur les minorités magyares présentes aux frontières de la Hongrie, visant à reconstituer une « Hongrie historique ». On a peine à imaginer que Budapest n’aurait pas favorisé l’affiliation à la ConIFA de la « Hongrie méridionale » (ou Délvidék), présente en Serbie-Roumanie, de la « Haute Hongrie » (ou Félvidék), présente en Slovaquie, ainsi que de la minorité hongroise d’Ukraine (ou Kárpatalja) et du Pays Sicule (petite partie de la Transylvanie roumaine à majorité magyarophone). On n’imagine pas non plus que le dalaï-lama ou son entourage n’ait pas patronné, pour servir les intérêts des exilés, la création d’une équipe « nationale » tibétaine, sorte de « Dharamsala Football Club », érigée en porte-drapeau de 6 000 000 de Tibétains alors qu’elle n’en représente que 2,5%.
Des seize équipes présentes à la phase finale de la « Coupe du monde » de la ConIFA, la Padanie est nettement favorite. Il y a peu de chances que la finale oppose l’équipe « du Tibet » (présente grâce à une invitation privilégiée ou Wild Card) au Pays Sicule et a fortiori à la Padanie, qui a déjà remporté l’édition précédente. Mais quand on a en tête la situation prévalant en Hongrie depuis huit ans avec Orbán et la victoire récente de la Lega et de Matteo Salvini en Italie, on a quelque raison de se méfier de la ConIFA et des minorités qu’elle affilie.
Ironie de l’histoire : alors que ni l’Italie, ni la Hongrie, ni la Chine ne se sont qualifiées pour la phase finale de la vraie Coupe du monde, certains de leurs territoires imaginaires (les mythiques Padanie et Pays Sicule, et le non moins mythique « grand Tibet ») se retrouvent dans un ersatz de confrontation multinationale : faut-il en rire ou en pleurer ?
André LACROIX