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Mes arguments dialectiques sur la situation au Xinjiang

Cette marche Nord/Ouest de la Chine a une histoire mouvementée : c’est une zone d’instabilité, de conflits et de rivalités depuis deux millénaires au moins. Vous m’excuserez d’être un peu long mais vu l’âpreté des débats en cours ici sur mon blog en particulier, la question mérite d’être analysée systématiquement et consciencieusement.

— A l’époque de l’Empire Han (autour du début de notre ère), cette zone est contrôlée par des pasteurs nomades dont le territoire d’usage s’étend de la Mongolie au Pamir : les Xiongnu. Ils harcèlent les frontières Nord de la Chine. Le premier projet de Grande Muraille visait à les contenir.

— Au Ve siècle cet immense territoire tombe au pouvoir d’une confédération : celle des Tujue ou Turcs (nom donné à l’ensemble des peuples parlant une langue altaïque). A la fin du Vie siècle, cet Empire tujue se scinde en 2 : Turcs de l’Est dont le centre est en Mongolie et Turcs de l’Ouest qui contrôlent le Tarim. La Chine va profiter de cette division.

— En 618 c’est une famille à demi turque qui accède au trône impérial en Chine. Elle fonde la Dynastie des Tang. L’Empereur Taizong (627-650) va remporter contre les 2 Empires turcs des victoires qui lui permettent de reprendre le contrôle du Tarim. La mainmise sur cet axe de l’Asie Centrale joue un rôle capital dans les échanges de la Route de la Soie terrestre. Les succès de Taizong doivent beaucoup à l’aide apportée par une grande tribu turque les Ouigours qui devient une alliée précieuse pour les Tang dans cette zone et étend alors son contrôle jusqu’à l’actuel Gansu (Dunhuang, Turfan).

— Au cours du VIIIe siècle, les Tang à leur apogée vont pourtant perdre peu à peu de leur superbe : l’Empire est menacé par de très hardies incursions tibétaines et surtout par l’expansion arabe. Les Arabes arrêtent la contre-offensive chinoise en battant l’armée Tang à la bataille de la rivière Talas (au Nord du Fergana) en 751 (moins de 20 ans après celle de Poitiers). La Chine doit renoncer à ses ambitions sur les pays situés en-deçà et au-delà des Pamirs.

— Les Ouïghours partagent la vaste zone dont la Chine vient d’être dépossédée avec 2 autres populations (toujours présentes, mais minoritaires de nos jours au Xinjiang, les Kirghiz et les Kazakh). Ces 3 groupes de population se sont convertis à l’islam dont ils adoptent religion et coutumes. Passés momentanément au XIVe siècle sous la domination ouzbek de Tamerlan, les Ouïghours ont développé une civilisation islamique brillante qui reste tournée vers l’Asie Centrale. Ce qui ne les empêche pas d’avoir une politique offensive de conquête en direction de territoires traditionnellement reconnus chinois et de couver des ambitions d’extension (y compris sur le Tibet) qui froissent gravement le pouvoir impérial mandchou des Qing (1644-1911).

— Pékin, sous le règne de Qianlong, décide d’une expédition punitive (d’extermination) en 1757-1758. Toutes les régions de l’Altaï aux Kunlun et de Dunhuang aux Pamirs sont placées sous commandement militaire et administrées par l’Armée. Elles reçoivent le nom de “Nouveaux Territoires” (“Xin jiang” en chinois). En 1884, le Xinjiang sera promu au rang de “province”. Puis de “région autonome” sous la RPC.

— En 1864, un mouvement insurrectionnel embrase ces “Nouveaux Territoires” : pendant plus de 10 ans un insurgé, Yakub Beg, tiendra tête aux autorités et fondera un Etat indépendant tout de suite reconnu par les gouvernements anglais, russe et turc (Le Sultan de Constantinople investira même Yakub Beg comme “Prince de Kachgarie”). Faisant à nouveau des milliers de victimes, les autorités chinoises materont la révolte en 1878, réoccuperont le Xinjiang et y mèneront une active politique de peuplement (plus ou moins forcé) par des Mandchous, des Mongols et surtout des Han.

— Entre 1911 (chute des Qing) et 1949 (avènement de la RPC) le Xinjiang a été continûment déchiré entre Russes, autonomistes Ouigours et Seigneurs de la Guerre chinois... Mais il faut entrer dans les détails.

— 1937-1941 : Gouvernement de Chongqing (celui de Tchang Kaï-chek au nom du Guomindang). Le Japon a envahi la Chine sans déclaration de guerre. Le Gouvernement, fuyant cette invasion s’est replié de Nankin à Chongqing et souhaite s’armer contre l’envahisseur. L’URSS est la première à accorder une aide importante à la Chine : un prêt de 250 millions de dollars, 1000 avions et 2000 aviateurs. Une partie de cette aide est acheminée par l’Asie Centrale que l’URSS contrôle et passe donc par le Xinjiang dont le gouverneur/Seigneur de la Guerre, Sheng Shi-cai, s’est rapproché de Moscou en 1935. Dans ce cadre un accord a été conclu : un régiment soviétique est stationné à Hami et un accord minier concède à l’URSS l’exploitation du sous-sol du Xinjiang. L’aide militaire de Moscou à la Chine prendra fin en avril 1941 avec la signature du pacte de neutralité entre Moscou et Tokyo.

L’occupation de la Chine par les troupes japonaises a inévitablement vu se développer diverses formes de “collaboration” plus ou moins poussée selon les régions et les strates sociales. Les territoires du Nord-Ouest s’y sont distingués sous l’égide d’une puissante et active “Association musulmane” (probablement par sentiment antichinois fortement ancré : les ennemis de mes ennemis sont mes amis !)

— 1946-1947 : déclin progressif du Guomindang après la capitulation du Japon. Le Xinjiang a “fait de la résistance”, mais contre le pouvoir du Guomindang : dès 1944 les autonomistes ouighours, largement soutenus par la population, ont créé une “République autonome du Turkestan oriental”. En 1945 Nankin tente de négocier et propose de faire entrer le leader de l’autonomie, Saifudin, dans le gouvernement provincial d’Urumqi. Mais en 1947, c’est à nouveau la rupture : les autonomistes dressent à nouveau un pouvoir dissident que le Guomindang ne parvient pas à réduire.

— 1948-1949 : arrivée au pouvoir des Communistes. Le Gouvernement de Nankin a encore tenté de reprendre la main au Xinjiang en nommant un gouverneur ouïghours partisan d’une relative autonomie ; Burhan. Mais celui-ci laisse Saifudin et ses partisans s’activer au sein de la “Ligue du Xinjiang” en faveur de “la paix et la démocratie”. Tous se rallieront aux communistes dès la proclamation de la RPC.

Il est clair que le problème du Xinjiang ne date pas d’hier et que son intégration à la “Chine une et indivisible” continue à poser de gros problèmes. Ce territoire, comme celui du Tibet, a depuis longtemps déclenché des convoitises (à commencer par celles des Arabes au VIIIe s.) et a fait loucher d’envie dans le cadre du “Grand Jeu” (à l’aube du XXe s.) l’Angleterre et la Russie. Sa langue et sa religion le mettent clairement hors de l’ordre culturel plurimillénaire des Chinois et le tournent plutôt vers les turcophones de l’ouest. Il a vu l’URSS démembrée en 1991 accorder une pleine autonomie politique à des voisins avec lesquels il a beaucoup en commun. Il jouxte une redoutable et très instable poudrière en ce début de XXIe siècle : Pakistan et Afghanistan où rien n’est véritablement réglé. La Chine peut d’autant moins se résoudre à lâcher du lest qu’elle a établi au Xinjiang toutes ses bases militaires et spatiales sensibles. L’enjeu stratégique est immense. Et le problème sans doute installé dans la durée.

Pour ce qui est de la situation actuelle, il apparaît certain que les Ouïghours ont davantage en tête l’État Yettishar autonome que Yakub Beg parvint à instaurer dans le Xinjiang de 1865 à 1877, que leur ancienne qualité d’alliés fidèles de la Chine des Tang ...

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