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Mexique : Lourdes menaces sur les forêts du Chiapas, par Valérie Labrousse.


La réalisation du plan Puebla Panama entraînerait la privatisation des ressources naturelles de plusieurs régions au profit de multinationales.


L’Humanité, 16 juillet 2005.


Chiapas (Mexique), correspondance particulière.


Le sous-commandant Marcos annonçait il y a deux semaines la fermeture des territoires rebelles pour lancer une « nouvelle étape dans la lutte ». Cette mesure « défensive » fait écho à la pression militaire et économique exercée par le plan Puebla Panama sur les habitants de la jungle lacandone. Ce territoire s’étend au sud-est du Chiapas sur près de 2 millions d’hectares. Au coeur de cette forêt se trouve la réserve de Montes Azules, 331 200 hectares de terre maya, la deuxième biosphère de la planète (bois, eau, pétrole, milliers d’espèces animales et de plantes). Quarante-cinq communautés occupent cette forêt, pour la plupart des paysans sans terre, déplacés durant le premier conflit de 1994. C’est ici qu’avait retenti le premier appel de Marcos au nom des indigènes. Depuis, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) y est repliée. Ce territoire, composé de villages rebelles, de communautés du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, ancien parti au pouvoir), de populations terrorisées par les groupes paramilitaires, est devenu l’épicentre de la « guerre de basse intensité », conflit larvé entre le pouvoir et les insurgés. En 2001, le président Fox lance le plan Puebla Panama, projet de développement censé lutter contre la pauvreté. Il s’agit d’exploiter les matières premières de la région en favorisant l’implantation de multinationales. Mais, pour construire des infrastructures et attirer les investisseurs, il devient indispensable de planifier des déplacements de communautés et de neutraliser l’EZLN opposée à ce projet. Six cents personnes ont déjà été expulsées. Occupant cent quatorze positions, dont quatre-vingt-onze sur des terres expropriées, l’armée assiège Montes Azules, le trésor convoité.


La jungle regorge de réserves

La pancarte gouvernementale vantant la construction d’un pont à Amatitlan au sud de la réserve sur le fleuve Lacantun l’annonce sans détour : « Nous continuons d’un pas ferme ! » Dans cette communauté antizapatiste du PRI, les indigènes sont contraints à la docilité par la présence d’un camp militaire qui jouxte leur village. Selon eux, ce pont planté au milieu de nulle part serait destiné aux « touristes ». Le projet est en fait plus ambitieux, point de départ d’une route qui traversera la réserve jusqu’au nord, à Benemerito, rejoignant un autre pont actuellement en construction. Une quinzaine de communautés zapatistes sont visées par cette trajectoire à l’allure de percée militaire. De l’autre côté du fleuve, la municipalité rebelle Libertad de los pueblos mayas dénonce le véritable usage de ces infrastructures, « le transport des matières premières des compagnies privées ». Des témoins parlent de la présence aux abords des travaux d’employés de la Pemex, la compagnie pétrolière mexicaine. La jungle regorge de réserves mais la Pemex nie y faire de la prospection. Une carte confidentielle divulguée dans le quotidien la Jornada fait pourtant état de projets d’exploitation, notamment dans la région Marquès de Comillas, à la frontière guatémaltèque, où d’anciens forages dorment encore, envahis par les hautes herbes, suscitant l’inquiétude des communautés alentour.

Santa Martha Nuova est un des « villages modèles » montés en kit pour reloger les indigènes en périphérie de la réserve. Vingt-cinq familles y vivent parquées sur un terrain quasi stérile et sans eau. « Le gouvernement nous a promis un acte de propriété si nous acceptions de venir ici », explique Donelias, le chef du village. Pour légitimer l’évacuation des indigènes, le Mexique s’appuie sur un cadre juridique bien rodé. Un décret de 1972 a octroyé aux Lacandons (une des ethnies de la jungle) une grande partie de Montes Azules, privant de facto du droit à la propriété terrienne les autres communautés. Le dispositif de « réserve protégée » justifie maintenant l’évacuation des indésirables au nom de la protection écologique. Les paysans sont accusés de dévaster la forêt et de provoquer des incendies en pratiquant la culture sur brûlis alors que l’élevage intensif et la coupe d’arbres destinés au commerce du bois sont les premiers responsables de la déforestation de la jungle. Paradoxalement, pour alimenter des usines prévues dans la région, le PPP a planifié la construction de cinq barrages hydroélectriques sur le fleuve Usumacinta sans se soucier des risques d’inondation et de déforestation.


Création d’un couloir biologique

Le plan Puebla Panama prévoit la création à travers tout le continent sud-américain d’un couloir biologique constitué de réserves protégées dont la gestion reviendrait exclusivement à des fondations de groupes industriels et des structures gouvernementales. En excluant toute participation des populations concernées. Dans Montes Azules, des organisations écologiques de préservation des espèces ne seraient que des entreprises de prospection travaillant pour le compte de compagnies transnationales pétrolières, biotechnologiques, pharmaceutiques ou agroalimentaires. Miguel Angel Garcia, président de Maderas del pueblo del Sureste, association de lutte contre la privatisation de la jungle, prétend qu’il existe à Montes Azules « un travail systématique d’extraction de ressources naturelles de la part d’entreprises étrangères ». Les multinationales noyautent des associations de protection de la nature donnant ainsi à leur vocation mercantile des airs de philanthropie écologique. Parmi ces projets « verts » figure l’ONG américaine Conservation Internationale (CI) basée à Ixcan sur le fleuve Lacantun. Elle se présente comme un centre « écotouristique » mais son conseil d’administration est composé de représentants de grosses sociétés comme Starbucks ou United Airlines. Son rôle est d’améliorer l’impact des activités d’entreprises polluantes sur les écosystèmes locaux et elle reçoit pour cela des fonds généreux de McDonald’s, Exxon, Citigroup ou Ford. Elle semble aussi bénéficier de hautes protections gouvernementales et n’hésite pas à solliciter l’armée mexicaine au nom de l’écologie. En 2002 elle aurait demandé à l’État mexicain d’expulser de Montes Azules les « terroristes de l’environnement » de l’EZLN. En janvier 2004, les militaires brûlaient un village zapatiste dans cette zone interdite...

«  No hay plan Puebla Panama ! » : le plan Puebla Panama n’existe pas ! C’est ce que Vincente Fox clamait peu de temps après avoir annoncé en grandes pompes le lancement du projet. Le président, accusé de promouvoir un plan trop libéral et freiné par un Congrès qui rechigne à voter les crédits, déclarait en janvier dernier : « Le zapatisme c’est du passé. » Le mouvement zapatiste existe bel et bien, tout comme le plan Puebla Panama. Pour preuve, au moment même du communiqué de Marcos, Fox rencontrait Poutine et lui promettait de fructueux accords commerciaux sur l’exploitation des réserves énergétiques du Chiapas.

Valérie Labrousse


- Source : L’Humanité www.humanite.fr


Mut Vitz, un café rebelle et zapatiste : bilan financier de la vente 2004.


- Plus d’ infos sur le Chiapas :

- Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL)
http://cspcl.ouvaton.org

- RISAL Mexique
http://risal.collectifs.net



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