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Chronique d’une immense casse sociale.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. La violence des riches.

En exergue de ce beau et très fort livre, cette constatation de Paul Nizan : « La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. […] Monsieur Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui. » (Les Chiens de garde, 1932)

Il y a au moins trois sortes de violence. La violence physique des coups de poing, des coups de couteau, des conditions de travail de plus en plus insupportables dans les usines, mais aussi dans les bureaux. Il y a la violence de l’écart qui se creuse chaque jour davantage entre les riches et les pauvres, avec des dividendes de plus en plus substantiels et des licenciements de plus en plus nombreux. Et puis il y a la violence culturelle, de classe, comme quand les délégués du personnel d’une grande entreprise sont tolérés en bout de table des conseils d’administration.

Michel Pinçon est retourné dans ses Ardennes natales où, quand il était jeune, la ville et l’usine vivaient en symbiose. Aujourd’hui, les Ardennes sont sinistrées. Parcourez les 13 kilomètres qui séparent Sedan de Bouillon en Belgique. Vous passez de l’enfer au paradis, de la casse sociale totale d’une ville peuplée de 25 000 habitants au début des années 80 et qui en compte à peine 18 000 aujourd’hui à la quiète opulence de la petite cité natale de Léon Degrelle.

À Nouzonville (que connaît bien Michel Pinçon), la ville de Jean-Baptiste Clément, où l’on trouve des maisons à 500 euros le mètre carré, un fonds d’investissement californien a mis à sac une grande fonderie d’acier. Les travailleurs ont subi deux violences : celle de se retrouver au chômage et celle – tout aussi insupportable – d’un « décor sinistré qui leur dit qu’ils n’ont guère plus de valeur que les pièces moulées ratées que l’on mettait au rebut. » Fermer une usine, c’est tuer le respect du travail, l’attachement au terroir et à une commune.

Autre violence insupportable que tous les travailleurs de France et d’ailleurs doivent désormais subir : le dogme selon lequel leur salaire est une « variable d’ajustement », un coût et non un dû, avec ces lancinantes menaces d’externalisation alors que, comme le rappellent les auteurs, dans le calcul du prix d’une voiture (ou d’une paire de tennis) la main d’œuvre de production n’entre que pour 1/20ème dans prix final.

Autrefois, la bourgeoisie décrivait l’ouvrier comme un oisif, un alcoolique en puissance. Aujourd’hui, il est un fraudeur aux allocations sociales, alors que les fraudes des assurés représentent tout au plus 1% des comptes de la Sécu, contre 80% (16 milliards) liés aux cotisations patronales impayées et au travail dissimulé. Pendant ce temps, la fraude fiscale est un « sport de classe », une jouissance perverse. Les paradis fiscaux sont connus. Ils coûtent à l’État français 40 milliards d’euros par an. Par ailleurs, les représentants de la classe dominante imposent leur vulgarité : Berlusconi, ses partouzes et ses chaînes de télé ; Sarkozy qui demande à un publicitaire de lui trouver une femme, l’Etonien Boris Johnson, maire conservateur de Londres qui, lors d’une campagne électorale, lance le mot d’ordre suivant : « Votez conservateur car votre femme aura de plus gros seins et vous une BMW M3 » (Voting Tory will cause your wife to have bigger breasts and increase your chances of owning a BMW M3.). C’est en transgressant sans vergogne que le dominant « prend le pas sur le dominé, lui-même tenté de se replier sur un individualisme de dernier recours en abandonnant utopies et luttes collectives. »

Il faut être un Pujadas pour s’étonner que des travailleurs désespérés puissent casser du matériel. Cette exaspération n’est qu’une faible et très sporadique réponse aux humiliations endurées quotidiennement, comme le racontent des ouvriers des Ardennes reçus par le préfet : « Il nous a facturé le nettoyage de la moquette du bureau où nous avons été reçus, car nos chaussures portaient encore la trace des pneus que nous avions fait brûler pour donner de la visibilité à notre action. »

Pour traduire en discours politique leurs observations et analyses sociologiques, les auteurs renvoient au mythe fondateur du hollandisme présidentiel, le célèbre discours du Bourget où le futur président expliqua qu’il n’avait qu’un seul ennemi, sans nom et sans visage : la finance. Les Pinçon-Charlot renvoient Mimolette Ier dans les cordes de son mensonge. Tous les proches qui comptent dans son équipe sont en contiguïté avec la finance ou en relèvent directement : Jean-Jacques Augier, Jean-Pierre Jouyet, Henri de la Croix de Castries, Christophe de Margerie et bien d’autres encore. En pleine connaissance de cause et en pleine lumière, Hollande pratique le mélange des genres. Pierre Moscovici est un affidé du fief de Peugeot. Nicolas Dufourcq, le directeur de la Banque publique d’investissement (qui compte en son conseil d’administration Ségolène Royal et Jean-Paul Huchon), a participé à la privatisation de Wanadoo et a été directeur financier de Cap Gemini. Tout petit, déjà, Hollande savait qu’il ne se garderait qu’à gauche. En 1983, il publie, sous un pseudonyme, La Gauche bouge. Il prévient : « Finis les rêves, enterrées les illusions, évanouies les chimères. Le réel envahit tout. Les comptes doivent forcément être équilibrés, les prélèvements obligatoires, les effectifs de la police renforcés, la Défense nationale préservée, les entreprises modernisées, l’initiative libérée. » L’Enarque n’a pas encore 30 ans quand il écrit ces lignes. Pas étonnant qu’il capitulera devant les grands entrepreneurs, devant les banquiers, dès sa première année de mandat, en prenant dans la poche des citoyens ordinaires pour abonder les caisses des capitalistes.

De Gaulle avait choisi comme Premier ministre le fondé de pouvoir de Rothschild. Sarkozy avait recruté François Pérol, associé de cette même banque, comme secrétaire général adjoint de l’Élysée. Au même poste, Hollande nomma Emmanuel Macron, un autre associé-gérant de cette même banque. Le ministère des Finances fera de Rothschild (« sans nom et sans visage », bien sûr) son interlocuteur préféré en lui déléguant des missions publiques. Il n’est plus une seule décision d’importance prise au sommet de l’État sans qu’elle ait été expertisée par Rothschild, Lazard à la rigueur. Sont-ce ces établissements privés qui ont conseillé à Hollande de baisser le taux de l’épargne populaire et de soustraire des milliards d’euros réservés au financement des logement sociaux et à l’aide aux collectivités locales ? Sont-ce ces banquiers qui ont inspiré la loi de « sécurisation de l’emploi » (sic) qui démantèle le droit du travail, accroît la précarisation ? Seuls six députés socialistes se prononceront contre ce texte scélérat.

Tout est discours. Avez-vous récemment entendu un dirigeant prétendument socialiste (ne parlons pas de Hollande ou Ayrault) prononcer le mot « ouvrier » ? Les Solfériniens vivent dans le monde « réenchanté » du Medef. Un monde où la crise de 2008 n’est pas dû aux banquiers véreux et aux entrepreneurs voyous mais aux “ avantages acquis ” (alors qu’il s’agit de droits conquis) des travailleurs. Le discours dominant édulcore la réalité. Il n’y a plus de clochards mais des SDF, plus de chômeurs mais des sans-emplois. Les plans de licenciement sont des plans sociaux, voire des plans de sauvegarde de l’emploi. Les privatisations sont des cessions d’actifs publics. Jospin, ce grand poète, parlait même de respiration. Le discours « arrache aux individus un consentement volontaire aux règles qu’il impose ». En premier lieu, son temps, qui doit être productif, même la nuit. Il faut que le travailleur « désire » faires des heures supplémentaires, et que, comme dans tout univers totalitaire, il « aime » Big Brother, son exploiteur.

Les techniques d’asservissement sont désormais d’une inventivité inouïe. La société Nestlé a proposé aux salariés de plus de cinquante ans d’une filiale italienne de diminuer leur temps de travail de 40 à 30 heures par semaine, avec une baisse de salaire de 25 à 30%, afin de promouvoir la candidature d’un de leurs enfants à un emploi aux mêmes conditions dans la même entreprise. Ceci est révélateur du désarroi, du manque de résilience, de la désorganisation du monde salarial. Quand on pense que la Maison de la Mutualité est désormais gérée par le groupe international GL Events et que Sarkozy y a prononcé son discours du 22 avril 2012 pour y reconnaître sa défaite ! Billancourt a été éradiqué. La navigation de plaisance a envahi les ports de pêche. Comment mieux tuer la mémoire des luttes ? Il y a aujourd’hui dix fois moins d’emplois industriels à Paris qu’en 1999.

« Quoi qu’ils fassent, « les dominés ont tort », nous disent les auteurs. Ceux des syndicats qui luttent encore un peu, qui n’acceptent pas l’ordre financier du monde, sont taxés de populisme. Tout comme – et ce n’est pas un hasard – le Front de Gauche. Le Figaro, quant à lui, n’est pas taxé de « bourgeoisisme ». Et Arnault de « richichisme ».

Espérons qu’un jour Michel Pinçon pourra prendre le temps de nous raconter les Ardennes de son enfance. Cela ne nous rendra pas plus riches. Plus forts, peut-être.

Paris : Éditions La découverte, 2013.

http://bernard-gensane.over-blog.com

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