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Non, antisionisme et antisémitisme ne sont pas synonymes

Selon Manuel Valls, l’antisionisme est « tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël ». Prononcée le 7 mars lors du dernier dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des juifs de France), organisme principalement consacré à la défense des gouvernements israéliens successifs auprès des autorités françaises, cette accusation vise à faire peser un soupçon indistinct d’infamie sur les mouvements de solidarité avec les Palestiniens.

Voire à les criminaliser, comme on le constate avec la pénalisation des appels au boycott des produits israéliens en provenance des territoires occupés.

Passons sur le fait qu’il est permis – et même valorisé – dans notre pays d’appeler à la guerre (en Irak, au Darfour, en Syrie, en Libye) mais illicite de protester par un boycott de consommation contre une politique coloniale. Intéressons-nous plutôt aux rapports entre sionisme et antisémitisme, en nous souvenant en premier lieu que la majorité des juifs du monde, et notamment les Français, furent opposés au sionisme jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale et que même alors, la majorité des juifs d’Europe ne choisit pas la Palestine après la shoah. Pas plus que les juifs russes fuyant les pogroms à la fin du XIXe siècle, dont seul 1 % se rendit en « Terre promise ».

Quant aux juifs français engagés dans le soutien au capitaine Dreyfus, tous ne suivirent pas Théodore Herzl, fondateur du sionisme, qui fit de ce procès inique le déclencheur de son projet national. Lorsque Herzl affirmait que l’affaire Dreyfus marquait l’échec du modèle républicain d’intégration des juifs, d’autres voyaient dans le foyer national juif un « piège tendu par l’antisémitisme »(1). Et c’est dans une logique tout impériale que Lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères lui apporta son soutien en novembre 1917, durant la Première Guerre mondiale.

Que l’on puisse sans contradiction être prosioniste et antisémite devrait tomber sous le sens, puisqu’il s’agissait, dès l’origine, de débarrasser l’Europe de ses juifs, projet commun des uns et des autres avant que surgisse la folie hitlérienne. La dimension biblique comptait dans ce soutien, les courants évangéliques anglais de l’époque, comme leurs homologues contemporains aux Etats-Unis, voyant dans le rassemblement des juifs en Palestine l’actualisation du récit de l’ancien testament et le prélude à l’avènement du Messie.

Les plus fervents et les plus radicaux des défenseurs d’Israël en toutes circonstances se recrutent d’ailleurs parmi ces évangéliques américains, lesquels véhiculent les plus classiques des stéréotypes antisémites tout en soutenant les plus durs des colons israéliens. L’avenir qu’ils réservent aux juifs laisse songeur quant aux alliances de l’Etat hébreu : selon l’interprétation évangélique de la Bible, les juifs devront en effet se convertir ou périr lors du Jugement dernier hâté par leur regroupement en Palestine.

On peut certes être antisioniste par haine des juifs, qui pourrait le nier ? Mais on peut n’être pas moins antisémite et un sioniste ardent, ce que notre Premier ministre semble ignorer. Estimer que la création d’Israël fut une décision funeste, y compris pour les juifs, relève de la liberté d’opinion, au même titre que l’opinion contraire. Telles sont, stricto sensu, les significations des mots antisioniste et sioniste. Les deux positions, regards opposés mais également légitimes sur un événement historique, peuvent se nourrir de l’antisémitisme, comme elles peuvent y être totalement étrangères.

Les saisies de terres, destructions de maisons, emprisonnements administratifs, extensions de colonies, voilà ce qui nourrit aujourd’hui la critique d’Israël et de sa politique du fait accompli. Si le sionisme historique est pluriel, sa forme contemporaine est monocolore, largement sous le contrôle des colons. Et l’antisionisme est pour beaucoup une simple opposition à la stratégie d’occupation des territoires palestiniens et aux exactions qui l’accompagnent.

Voilà ce que cherche à masquer le Crif, principal porte-voix du gouvernement israélien en France, désormais détrôné dans ce rôle par le Premier ministre.

(1). Voir l’article de Gilles Manceron, « Au croisement de trois histoires : antisémitisme, sionisme et droits des Palestiniens », Collectif Trop, c’est trop, 9 mars 2016.

Rony Brauman est un ancien président de Médecins sans frontières, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris.

Source : alterecoplus

30 mars 2016

 http://www.alterecoplus.fr/chronique/rony-brauman/non-antisionisme-et-antisemitisme-ne-sont-pas-synonymes-201603290924-0

COMMENTAIRES  

07/04/2016 17:43 par triaire

On peut aussi, on doit, continuer à appeler au boycott de cet Israèl -apartheid ; les maffieux d’en haut peuvent chanter en choeur et nous, ceux de plus bas, ne jamais acheter les produits de ce pays qui les vole aux Palestiniens .

07/04/2016 21:29 par ozerfil

Pendant que ses anciens camarades de l’Humanitaire se sont convertis à la Pensée Unique et ont fait leur le slogan "la guerre, c’est la paix" de G. Orwell dans "1984", R. Brauman continue de porter haut, sans compromissions, les valeurs de justice et d’honnêteté intellectuelle et prêche seul, dans le lourd silence médiatique, pour les VRAIS idéaux humanitaires.

Il reste quelques Lumières dans notre obscure nuit intellectuelle et morale...

08/04/2016 10:16 par Roger

Pour compléter ce bel argumentaire, lire l’étude de l’historien Israëlien Shlomo Sand : L’invention du Peuple Juif.
Textes, documents, données archéologiques à l’appui il démontre le caractère Mythique (uniquement fondé sur des extrapolations du récit biblique) de l’existence d’un peuple Juif ayant jamais occupé la Palestine.

08/04/2016 11:55 par cunégonde godot

Merci, M. Brauman.

09/04/2016 10:44 par D. Vanhove

@ozerfil : je ne pense pas que Mr Brauman soit "seul" à dire les choses... (j’ai écrit un papier exactement sur le même sujet en janvier dernier qu’étonnement LGS n’a pas publié, voir : [>http://www.mondialisation.ca/antisionisme-etou-antisemitisme-mise-au-point/5504814])... mais c’est vrai que nous sommes peu nombreux, et manifestement peu relayés... sur un sujet qui reste brûlant et où nulle concession ne peut être faite.

09/04/2016 19:47 par ozerfil

D Vanhove, je ne connais malheureusement pas tous les gens bien !

Il faut dire que nos médias donnent plus facilement la parole aux autres...

10/04/2016 02:22 par Jean Cendent

Bon article,
Ouf , il est à souhaiter qu’ aucune phrase du livre « sacré » ne dise que tous les chrétiens et tous les musulmans de la planète devront se regrouper en Palestine ou vivre à Jérusalem pour que Jésus revienne : Parce qu’ au niveau de la surpopulation, Amen pour les dégâts ......

Avoir des origines chrétiennes : des ancêtres, des parents, des grands parents etc... ne fait pas de vous un chrétien, si vous ne croyez pas en dieu, en cette religion et ne la pratiquez pas. C’est le cas des athées qui peuvent être d’origine chrétienne, « de civilisation » chrétienne, mais chrétien , non ! absolument pas ! Pour ma part, je n’apprécierai pas trop que l’on me nomme chrétien du fait que mes aïeux ont pu l’être.

Avoir des origines juives : des ancêtres, des parents, des grands parents etc... ne fait pas de vous un juif, si vous ne croyez pas en dieu, au judaïsme et ne le pratiquez pas ? Quand il est écrit, les juifs de France, de Russie, d’Europe etc ... il me semble que c’est pas exact, car cela voudrait dire que toutes les personnes ayant des origines juives croient au judaïsme ou sont de confession juive ( alors qu’il peut y avoir des non pratiquants , des athées ).
Alors on peut se poser la question, un être humain qui ne croit pas au judaïsme ou à la religion juive que peut il ressentir si on le nomme juif ou juive ?
A moins que le mot juif englobe « appartenance ethnique » comme on peut le lire en autre sur Wikipédia ( qui n’est apparemment pas à un site antisémite ou anti juif ?). Mais si l’appellation ethnique peut être synonyme : du sentiment de partager « une ascendance » , une culture, une langue, une musique, des coutumes, etc...bref, la diversité culturelle, cela peut dérailler en communautarisme ou pire dans l’arbitraire, le partial et dangereux concept de race et de racisme ( une ethnie est supérieure à une autre, un peuple supérieur à un autre, etc ... )
Surtout que l’ethnicité judaïque ( entre autre, lire Sholmo Sand ) est aussi vraisemblable que l’ethnicité chrétienne ou musulmane. Il faudrait une bonne fois pour toute que le judaïsme s’assume, en tant que religion comme les autres et fasse sauter le tabou sur son prosélytisme, et que son expansion vient des multiples conversions faites au cours de son histoire en Europe et dans le bassin Méditerranéen . ( comme la religion chrétienne ou musulmane )

Bon, d’un autre côté écrire juifs français, juifs russes,etc ... est peut être aussi simplement dû à des facilités ou tics d’écritures ou de langages ?
En bref et pour faire simple :
N’est chrétien que les personnes qui croient en cette religion .
N’est musulman que les personnes qui croient en cette religion .
N’est juif que les personnes qui croient en cette religion .
N’est bouddhiste que les personnes qui croient en cette religion .
Etc ...
UJFP c’est bien aussi.

10/04/2016 06:21 par babelouest

Je donne tout-à-fait raison à Rony Brauman, au point d’avoir résumé en une phrase aussi lapidaire qu’un peu exagérée,

« Les SEULS antisémites sont les sionistes »

11/04/2016 07:10 par Pierreauguste

Je voudrai juste dire mon émotion de trouver un article de rony brahmane dans le grand soir.Je suis actuellement en Afrique ou j’ai bien du mal à suivre l’actualité mais où les ravages des gens "sales" sont légions. Merci à cet homme vertueux......

11/04/2016 11:15 par Pierreauguste

Désolé pour le "brahmane ".Ici ce n’est pas encore l’internet triomphant...

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