L’ Humanité, 15 janvier 2007.
Brevets. Médecins sans frontières lance une campagne contre la multinationale du médicament suisse qui a décidé d’attaquer l’Inde, principal producteur de médicaments génériques et bon marché.
L’histoire semble se répéter. En 2001, 39 compagnies pharmaceutiques avaient attaqué en justice le gouvernement sud-africain dans le but d’annuler une loi qui diminuait le prix des médicaments. Sous la pression de nombreuses associations, ces laboratoires avaient finalement retiré leurs plaintes. Aujourd’hui, le suisse Novartis récidive mais cette fois-ci contre la législation indienne sur les brevets. Médecins sans frontières s’alarme des conséquences négatives pour des millions de malades dans le monde en cas de victoire de Novartis. L’ONG a mis en ligne sur son site une pétition pour forcer cette entreprise à abandonner ses poursuites. Annick Hamel de MSF nous explique les enjeux de ce procès dont la prochaine audience aura lieu le 29 janvier.
Sur quelles bases le laboratoire suisse Novartis attaque-t-il l’Inde ?
Annick Hamel. En 2005, l’Inde a dû se mettre en conformité avec certaines règles de l’Organisation mondiale du commerce relatives à la propriété intellectuelle. Cela concernait notamment la délivrance de brevets pour les médicaments. Le gouvernement indien a donc fait voter une loi nationale mais les parlementaires ont précisé dans ce texte que seuls les médicaments apportant de réelles innovations pourraient être brevetables. C’est cet article-là que Novartis conteste.
La loi indienne contrevient-elle aux règles de l’OMC ?
Annick Hamel. Pas du tout, puisque l’OMC elle-même annonce qu’un médicament doit être nouveau et inventif pour qu’il soit considéré comme une innovation. L’OMC édicte des principes. Il appartient ensuite à chaque pays de les transcrire dans sa législation. L’Inde ne fait qu’interpréter un principe de l’OMC. Mais ce qui s’est passé, c’est que le laboratoire Novartis s’est vu refuser un brevet sur un de ses médicaments anticancéreux (le glivec), une molécule qui existait déjà en Inde sous la forme d’un médicament générique. La modification réalisée sur le glivec n’a pas été jugée suffisamment innovante pour mériter un brevet. Novartis a fait appel de ce refus et, de manière à éviter que cette défaite se répète, a décidé de remettre en cause la loi indienne.
Pourquoi les brevets sont-ils tant recherchés par les entreprises ?
Annick Hamel. Une compagnie qui détient un brevet dans un pays peut empêcher d’autres fabricants de produire ou de commercialiser ce médicament dans ce pays pendant toute la durée du brevet qui, selon les règles de l’OMC, est de vingt ans minimum. Cela donne ainsi la possibilité aux compagnies de vendre leurs médicaments à un prix élevé dans tous les pays où elles détiennent des brevets, puisqu’il n’y a, localement, aucun autre concurrent. Près de 10 000 demandes de brevet sont en attente en Inde.
En cas de victoire de Novartis, quelles peuvent être les conséquences pour les patients consommateurs de génériques indiens ?
Annick Hamel. Leur vie est en jeu. Les médicaments produits en Inde sont parmi les moins chers au monde. Plus de 50 % des médicaments utilisés dans les pays en développement pour traiter les malades du VIH (sida) proviennent de ce pays, véritable « pharmacie des pauvres ». Ces médicaments sont également utilisés pour soigner 80 % des 80 000 patients malades du sida suivis dans les programmes de MSF. L’utilisation de génériques indiens a permis de ramener le coût du traitement de 10 000 à 200 euros par an et par patient. Deux millions de personnes atteintes du sida dans le monde en développement reçoivent actuellement un traitement. Ces patients ont accès aux plus vieux antirétroviraux. Mais tous les malades ont besoin de changer de médicaments au fil des années car l’organisme s’adapte et résiste. Pour obtenir des nouveaux médicaments innovants à des prix abordables, ils devront attendre la fin de la durée du brevet, soit vingt ans ou mourront avant.
Entretien réalisé par Damien Roustel.
– Source : L’ Humanité www.humanite.fr
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