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On n’arrête pas le(s) progrès

Emmanuel Macron opère une inversion de vocabulaire en se prétendant le héros des « progressistes », signe de la réjouissante inquiétude des élites face à l’avenir de l’UE

Au secours, Confucius ! Le philosophe chinois avait prévenu, il y a vingt-cinq siècles : « lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté ». Jamais cette remarque n’a paru aussi pertinente qu’aujourd’hui. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux un sursaut des... « progressistes » européens, dont il s’autoproclame naturellement le héros, face aux barbares « nationalistes ».

L’inventeur de la « souveraineté européenne », un bel oxymore, n’en est pas à son premier hold-up langagier. Si lui et ses amis tentent ainsi de tordre le vocabulaire (aussi impunément qu’on inverse le résultat d’un référendum), c’est qu’ils sont gagnés par la fébrilité. Notamment à l’approche des élections européennes à l’horizon 2019. Les caciques de l’UE craignent ouvertement qu’une « vague populiste » déferle à l’europarlement.

Surtout, les dirigeants européens les plus lucides sentent que ledit « populisme » n’est pas une éruption de circonstance, mais bien un mouvement de fond de nature à remettre en cause l’existence même de l’Union européenne. Même si, à ce stade, les chefs des partis regroupés sous cette étiquette quelque peu fourre-tout ne proposent nullement une sortie, mais se contentent de surfer sur la colère populaire.

Celle-ci tient à un double rejet : celui des « élites », qui portent la responsabilité d’une dégradation des niveaux de vie et des perspectives d’avenir dans les pays de l’UE (particulièrement depuis la crise de 2008). Les « élites » sont également coupables du véritable cambriolage démocratique qu’opère l’intégration européenne : les peuples se voient refuser de sortir du cadre déterminé par le « système », ce que Jacques Delors nommait « le cercle de la raison ».

Ladite « vague populiste » porte un second rejet : celui des migrations de masse. Si l’on veut bien s’appuyer sur les faits plutôt que sur les bons sentiments, force est de constater que celles-ci avivent la concurrence sur le « marché du travail », mais aussi dans l’accès au logement comme aux services publics ; et ce sont les classes populaires (dont les travailleurs immigrés installés antérieurement) qui sont les plus violemment frappées. A cela s’ajoute le sentiment de perdre des repères culturels et historiques (et non pas ethniques) qui fondent une nation. A cet égard, les élites mondialisées portent une triple responsabilité : celle d’avoir déstabilisé des pays entiers (Libye, Syrie...) ; celle d’avoir ouvert en grand les frontières (comme le décida Angela Merkel en 2015) sur instance du patronat ; et, enfin, celle de chanter les louanges d’une « diversité multiculturelle » sans se rendre compte des effets provocateurs d’un tel discours « hors sol ».

Ce n’est pas un hasard si les forces les plus dénoncées par Bruxelles connaissent leurs plus grands succès dans les pays ayant accueilli le plus de migrants par rapport à leur population : Italie, Autriche, Suède, Allemagne... La Hongrie fut pour sa part traversée par des centaines de milliers d’arrivants en 2015.

Son premier ministre, Viktor Orban, est devenu la bête noire de Bruxelles et a été désigné comme ennemi principal par l’Elysée. Pour leur part, les eurodéputés ont comme de juste voulu montrer leurs petits biscotos en votant pour que soit enclenchée une procédure de mise au ban de la Hongrie, au motif d’atteinte à l’« Etat de droit » (notamment du fait des obstacles mis aux associations d’aide aux migrants). On peut parfaitement être en désaccord avec M. Orban (largement réélu en avril), mais le message politique relève d’un autre registre : quand un pays est membre de l’UE, les règles de celles-ci doivent prévaloir sur le vote des électeurs. Le chef du groupe libéral, l’européiste Guy Verhofstadt, est même allé plus loin (sur la chaîne américaine CNN) en demandant à l’UE... mais aussi à Washington, d’« intervenir » pour « stopper » M. Orban.

Dans l’hémicycle de Strasbourg, une voix a cependant détonné. Nigel Farage, qui fut l’emblématique leader du UKIP britannique, a lancé au dirigeant hongrois : « soyez logique, rejoignez le club du Brexit. Vous allez adorer ! »... Pour l’heure, M. Orban (dont le parti est toujours membre du PPE, la droite européenne classique, malgré des remous en son sein), est loin de vouloir suivre cette logique. Mais, de même que son nouvel ami italien, Matteo Salvini, il l’alimente, fût-ce à son corps défendant.

Le Brexit (qui aura bien lieu dans six mois) a été le premier séisme. D’autres... progrès suivront, sans guillemets cette fois – hélas pour Manu.

Pierre Lévy

Editorial paru dans l’édition du mensuel Ruptures du 26 septembre

 https://ruptures-presse.fr/actu/macron-progressiste-populisme-migration/
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COMMENTAIRES  

04/10/2018 16:59 par Chris

Il faut sortir de l’UE et de ses règles libérales qui mettent les travailleurs en concurrence et favorisent le dumping social le plus sournois.
Il faut sortir de l’OTAN et dire merde à tous les criminels qui y sont affiliés.

05/10/2018 07:04 par dan

Et j’ajouterai qu’il faut sortir du carcan de l’euro et revenir au franc, 1 franc = 1 euro, ce qui permettra de créer des centaines de milliers d’emplois en France. De toute façon l’euro va s’effondrer tôt ou tard, mais le plus tôt sera le mieux.

05/10/2018 09:27 par Assimbonanga

Brandir la sortie de l’euro comme remède à tous nos maux me fait un peu penser à ces missionnaires exaltés exhibant un crucifix. Scénario XIXè, robe de bure, paysage Amazonie, grosse chaleur. Voilà pour l’image. C’est une croyance. Ça occupe l’esprit.
Bon, une fois qu’on serait sorti de l’euro, quoi ? Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui est mieux qu’avant ? Les chasseurs arrêtent de tenir Xavier Bertrand par les .ouilles en Haut-de-France ? En haut lieu, ils arrêtent de démanteler la sécu pour en refourguer les morceaux à leurs copains assureurs privés ? La spéculation sur à-peu-près tout s’arrête ? La gestion de l’eau redevient publique ? L’immobilier ? Bernard Arnaud est exproprié ? Les forces de l’ordre arrêtent l’usage du flashball, de la lance à eau, des grenades de désencerclement, de la nasse ? Lorsqu’ils saccagent l’appartement de pauvres d’origine maghrébine, ils présentent des excuses et s’empressent de monter un dossier d’indemnisation ? Mille questions, liste à compléter.

06/10/2018 13:44 par Renard

@Assimbonanga Si on sort de l’euro on peut réindustrialiser le pays donc sortir du chômage de masse donc sortir des millions de gens de la pauvreté donc équilibrer tous les comptes sociaux (retraite, sécu, assurance chômage..) ça vaut pas le coup pour vous ? Évidemment ce n’est que la seule chose à faire mais admettez que c’est un truc majeur.

07/10/2018 10:45 par Assimbonanga

@Renard, merci de participer à ce grand jeu. On peut s’amuser en réfléchissant, parce que, toute manière, notre avis on ne nous le demande guère... Ce sont les industriels qui industrialisent ou désindustrialisent. Comment des régions entières se sont retrouvées sans emplois ? Parce que les patrons ont trouvé plus profitable de délocaliser dans des pays à main d’oeuvre quasi gratuite.
Aujourd’hui, ils aimeraient revenir mais notre système de sécu les gêne : ça augmente trop le prix de la main d’oeuvre. Donc le young leader distingué par le groupe Bilderberg (alias Macron) va démanteler la sécu et en faire une fiscalité.
Ils s’entendent entre eux. Est-ce l’UE ? Je n’en sais trop rien mais en sortant de l’euro, à part qu’il faudra changer son argent au passage des frontières, est-ce que ça va nous aider ?

08/10/2018 03:03 par Renard

@Assimbonanga Oui ils s’entendent entre eux mais sur la monnaie et la valeur qu’elle doit avoir il y a pour résumer un conflit entre les industriels et les banquiers : les premiers veulent une monnaie faible pour pouvoir exporter plus facilement les seconds qui veulent une monnaie forte qui garantit une faible inflation. L’euro est une monnaie forte qui fait le bonheur des banquiers français et paradoxalement des industriels allemands car ils ont pu éliminer leurs concurrents européens sombrant sous le poids de la monnaie et le génie industriel des allemands est tel que monnaie faible ou forte, ils parviendront à écouler leurs cames de toute manière

Alors l’intérêt du peuple dans tout ça ? Je pense qu’à l’heure actuelle nous avons besoin de créer des emplois industriels pour sortir du chômage de masse car la grande majorité des chômeurs n’ont pas de diplômes et demandent du travail non qualifié. C’est pourquoi je suis favorable à une sortie de l’euro. La start up nation pour sortir du chômage est une vaste blague.
Évidemment ce ne sera pas la seule à chose à faire : un contrôle des capitaux pour interdire les délocalisations et un protectionnisme doivent aller de pair avec la sortie de l’euro. On reste dans dans le cadre du capitalisme avec tout ça mais peut on en demander plus à l’heure actuelle ? Je ne crois pas. Un premier rééquilibrage en faveur du travail est nécessaire avant de tuer la bête.

09/10/2018 16:09 par Assimbonanga

@Renard, tu dis "à l’heure actuelle nous avons besoin de créer des emplois industriels pour sortir du chômage de masse car la grande majorité des chômeurs n’a pas de diplômes et demande du travail non qualifié."
Des emplois industriels genre abattoirs GAD où même si tu es illettré tu peux travailler ? C’est terriblement démoralisant comme avenir.
Ne pourrais-tu pas t’autoriser à rêver un peu ? Allez, un peu d’utopie, ça ne peut pas faire de mal ! L’émancipation ? L’auto-gestion ? La collectivisation ? Ché pas, Marinaleda ? La ZAD ? Les scop ? Racheter le macdo de quartier et le gérer entre habitants ? Idem pour le magazin Carrefour. Arrêter de croire en la cuisine incorporée et au salon Roche&Bobois, au voyage avec Costa-Croisières, à la bagnole toujours neuve à crédit. Faire des jardins ouvriers entre les barres HLM ? Élever des animaux de basse-cour, des moutons, un cochon, une vache. Sauvegarder les savoir-faire agricoles de tous les migrants qu’ils viennent de Creuse ou du Soudan. Implanter une école à classe unique par bâtiment du parc social ? Ché pas. Faire comme si c’était possible, ne pas se cantonner à l’horizon indépassable de la croissance de 1944 à 2008... Qu’est-ce qu’on risque à rêver ?

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