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La CPI acquitte Laurent Gbagbo, et publie un jugement qui contredit la propagande occidentale

L’acquittement de Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien, constitue une gifle pour les Occidentaux, qui avaient militairement contribué à son éviction du pouvoir

L’événement est passé assez inaperçu. Il est pourtant d’une grande importance, et constitue un lourd désaveu du camp occidental : la Cour pénale internationale (CPI) a acquitté l’ancien chef d’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, ainsi qu’un de ses proches. Les deux hommes étaient accusés de « crimes contre l’humanité ».

Le verdict était connu depuis plusieurs mois, mais le 16 juillet, les juges ont publié le détail de leur jugement motivé. Celui-ci sonne comme un désaveu cinglant de ceux qui avaient militairement soutenu le rival de M. Gbagbo à l’élection présidentielle de décembre 2010.

Bref retour en arrière : à l’issue du second tour de ce scrutin, le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire avait déclaré le président sortant réélu. Mais, sur fond d’histoire mouvementée et de conflits exacerbés dans les années précédentes, son adversaire s’est également proclamé élu, s’appuyant sur les décomptes d’une Commission électorale indépendante.

La « communauté internationale » accuse alors le président sortant de fraudes. L’Union européenne menace le pays de sanctions si Laurent Gbagbo ne quitte pas ses fonctions. La tension croît et dégénère en conflit armé en février 2011. C’est également le moment où les Occidentaux – France et Royaume-Uni, soutenus par les Etats-Unis – interviennent militairement en Libye pour « protéger » le peuple de ce pays en cachant à peine leur objectif : se débarrasser du colonel Kadhafi. A Paris, Londres, Bruxelles et Washington, l’air du temps est à la canonnière.

En Côte d’Ivoire, la préférence occidentale va de soi. D’un côté, Laurent Gbagbo, longtemps membre de l’Internationale socialiste, est de plus en plus mal vu par les dirigeants du « monde libre » qui le qualifient de « nationaliste ». En clair, ils le soupçonnent de vouloir préserver les richesses nationales, et donc de ne pas faire preuve d’assez de compréhension pour les intérêts des firmes européennes, françaises en particulier (la Côte d’Ivoire a longtemps été une colonie française).

De l’autre, Alassane Ouattara, une économiste formé notamment à l’université américaine de Pennsylvanie, et qui entra en 1968 au Fonds monétaire international (FMI). En novembre 1984, il prend la direction du département Afrique de cette institution. Accessoirement, il épouse une riche femme d’affaires peu après : la cérémonie a lieu à Paris, avec, parmi les amis, Martin Bouygues, un des plus puissants oligarques français (bâtiment et télécommunications).

C’est donc peu dire que M. Ouattara fait figure de candidat des Occidentaux. En mars 2011 donc, les combats s’intensifient entre les deux camps. Discrètement soutenues par le détachement de l’ONU, les forces pro-Ouattara, qui ne lésinent pas sur les exactions, pénètrent dans la capitale administrative, Yamoussoukro.

Et le 11 avril, elles assiègent puis font prisonnier Laurent Gbagbo et ses proches. Sous couvert de l’ONU, les troupes françaises leur prêtent une aide discrète mais décisive, selon de nombreux témoignages.

Le président sortant – qui continue à proclamer sa légitimité – est alors transféré à prison internationale de La Haye dans l’attente du procès que prépare la CPI. C’est donc le résultat de celui-ci, huit ans plus tard, qui vient d’être rendu public.

Première déconvenue pour les Occidentaux, le président de la Chambre, l’Italien Cuno Tarfusser, affirme qu’un procès n’est pas fait « pour juger l’Histoire d’un pays », et qu’il n’a nullement le droit de « prendre position sur la responsabilité morale ou politique » des accusés.

Par ailleurs, l’accusation formulée par le procureur, selon laquelle ceux-ci auraient mis en œuvre une stratégie visant massivement les civils favorables à M. Ouattara, repose, selon deux des trois juges, sur « des bases incertaines et douteuses, inspirées par un récit manichéen et simpliste ». Dans les mille pages d’attendus, on peut lire que « rien ne permet de penser que Laurent Gbagbo aurait refusé de se retirer parce que son plan était de rester au pouvoir à tout prix ». Ce qui était précisément la thèse autour de laquelle s’est organisée l’intense propagande déployée à l’époque par les médias dominants, en France en particulier.

Au contraire, notent les juges, les forces loyalistes étaient confrontées à « une guérilla urbaine », et étaient en position défensive. Le texte du jugement souligne en outre la non-neutralité des forces onusiennes (dont le mandat n’était pourtant pas de prendre parti), et évoque même la présence de tanks français tirant sur les soldats restés fidèles au président.

Enfin, une révélation s’avère particulièrement gênante pour ceux qui rêvaient de mettre en scène une justice internationale sanctionnant de manière impartiale un auteur de crimes contre l’humanité (crimes dont la réalité a été finalement démentie). Selon les juges, le procureur a pris « de premiers contacts avec certains témoins »... avant même d’avoir été légalement autorisé à enquêter. Une entorse plutôt problématique pour tous ceux qui – à commencer par l’Union européenne – ne cessent de se draper dans l’« Etat de droit ».

On ne peut que se réjouir que des juristes professionnels et intègres aient refusé de jouer le rôle que les dirigeants américains et européens voulaient leur attribuer. Mais si Laurent Gbagbo a été libéré de prison, il reste en résidence surveillée à Bruxelles, au cas où le procureur ferait appel. Surtout, il y a une énorme disproportion entre les tombereaux de propagande occidentale déversés en 2011, justifiant une intervention militaire à peine déguisée, et la discrétion médiatique quant au démenti qui a été finalement apporté à celle-ci.

La CPI avait été créée en 2002 pour légitimer le « droit d’ingérence », concept dont le but réel est de subordonner la souveraineté des Etats au bon vouloir de ladite « communauté internationale », c’est-à-dire des élites mondialisées.

Au-delà de l’honnêteté de quelques juges, qu’il faut saluer, il faut aussi et surtout remarquer que le monde qui s’esquissait « unipolaire » au tout début du siècle, a, depuis lors, quelque peu changé...

Pierre LEVY,
rédacteur en chef du mensuel Ruptures

 https://ruptures-presse.fr/actu/gbagbo-cpi-acquittement-ingerence/
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COMMENTAIRES  

21/07/2019 17:01 par ozerfil

Tant de propagande, une guerre, une destitution et un emprisonnement illégal sous des prétextes fallacieux pour en arriver à ce que tout le monde un tant soit peu éclairé avait compris depuis le début : L. Gbagbo ne faisait que gêner l’Occident et il fallait à tout prix s’en débarrasser, comme S. Hussein, M. Khadafi et B. El Assad.

22/07/2019 13:43 par --gilles--

J’avais un ami à Yopougon en 2010-2015 et une fois au téléphone ( mais je ne souviens pas de la date exacte, mais c’était après le coup d’État contre le président Gbagbo ) il m’a raconté que chaque nuit il entendait des tirs et que chaque matin on retrouvait les corps des sympathisants ou des militants du Front Patriotique Ivoirien assassinés en grand nombre dans les rues par les milices pro-Ouattara.

Mais c’est sûr, l’UE, les États-Unis, le FMI ne pouvait laisser gouverner un ancien syndicaliste comme Gbagbo et préféraient un ancien économiste du FMI acquis aux thèses néo-libérales comme Ouattara.

22/07/2019 15:52 par Yannis

C’est malheureusement une tache, une nouvelle bien grosse et puante dans l’espace francophone africain, due à l’ingérence politique de nos gouvernements (Sarkozy aux commandes il me semble, à l’époque - ou ne devrait-on ´pas dire en second couteau) dans des nations comme la Côte d’Ivoire, dans les ex colonies de la France, bref la Francafrique sous son aspect officiel et diplomatique, qui continuera à polluer les relations entre combien de générations de Francais et d’Ivoiriens ?? Et plus largement à nourrir le ressentiment et la méfiance dans les cités. Pour les intérêts de quelques criminels tout propre sur eux. L’héritage des Lumières et de la Révolution continue d’être appliqué à géométrie variable selon la couleur de peau en politique étrangère, et c’est juste minable pour la france, en plus de l’instrumentalistion de la Cours de Justice européenne par la "communauté internationale".

Quand la narration de la guerre civile ivoirienne, tissu de mensonges, imposé par la doxa, le storytelling des médias se révèle être une incroyable manipulation et mise en scène, on comprend combien ces médias alignés sont devenus une arrme de guerre de tout premier plan.

01/08/2019 14:25 par Autrement

Au "crédit" de la Françafrique, il faut mettre aussi l’inique pression économique que constitue le Franc CFA

Il y a aussi le scandale de la dette coloniale.

Et la Libye sacrifiée pour cause de domination monétaire, à laquelle Khadafi voulait mettre fin...

Et combien y a-t-il, sur les traités commerciaux avec l’Afrique (et autres), d’ interventions d’hommes politiques responsables

La France défigurée...

01/08/2019 15:56 par ozerfil

Yannis,

Ils se contrefoutent de la couleur de peau : c’est la couleur et le nombre de billets de banque qui les intéresse !!

L’antiracisme est un combat d’arrière-garde qu’ils développent pour continuer à faire tranquillement leurs juteuses affaires pendant que la populace de toutes origines et tendances se perd et s’entre-déchire dans des débats sociétaux montés de toutes pièces.

Il y a des racistes et homophobes primaires, je ne le nie pas, mais les vrais problèmes de la Société Mondiale sont dans ses inégalités sociales - ne l’oublions jamais !

On règle les problèmes sociaux et le FN et ses descendants reviennent à leur niveau des "trente glorieuses" : quelques ridicules pourcentages à un chiffre...

Ces partis se nourrissent de la crise... des classes populaires - elle n’existe pas dans les classes élevées... qui s’en enrichissent !

Ozerfil

01/08/2019 17:01 par Autrement

Comme le dernier lien de mon message précédent ne marche pas, je le remets sous une autre forme, avec le texte retranscrit :

Le 4 octobre 2016, Jean-Luc Mélenchon intervenait au Parlement européen pour dénoncer les accords dits de « partenariat économique » entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (dits « accords UE-ACP »). Il a expliqué les effets désastreux de ces accords sur l’économie locale de ces pays. Voici la retranscription de son intervention.

Les accords de prétendu “partenariat économique” avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique suscitent des réticences de tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique.

En vérité, ce ne sont pas des accords de partenariat. Il s’agit d’une incroyable machine à produire de l’immigration, puisqu’elle déclenche immédiatement une baisse des recettes des États concernés et, donc, de l’action sanitaire, sociale, éducative et d’équipement pour ces pays. Et, surtout, une invasion de nos marchandises qui ont pour résultat de tuer l’économie locale, d’augmenter le chômage et de pousser les populations de la campagne vers les villes. Ces campagnes où les agricultures vivrières sont ruinées par les produits de l’agriculture de nos pays. Elle augmente les productions qui sont monocultures et qui provoquent des dégâts de pollution et une mutilation de toutes les pratiques culturelles traditionnelles de ces régions. Enfin, elle provoque évidemment l’exil des populations de la campagne vers la ville et de la ville vers l’étranger.

Je crois que l’Histoire jugera très durement de notre aveuglement, dans un moment comme celui-ci, de voter des accords de cette nature et d’appuyer, de faire cette pression absolument insupportable sur les gouvernements de cette zone.

Non à la France à fric (le jeu de mot s’impose) et tout le monde aura compris que les médias en font partie !

09/11/2019 21:57 par LOURAU

tout est dit. Je suis français "de souche" comme on dit (en réalité occitan !), marié à une française d’origine ivoirienne depuis plus de 20 ans. Je me suis engagé médiatiquement, lors du coup d’état Sarkozy contre le peuple ivoirien. J’ai en réserve "une liste" étonnante de manipulations des états occidentaux pour faire accroire (avec succès) à leurs peuples ultra-conditionnés et sûrs de leur fait en toute occasion, que laurent Gbagbo était un ignoble dictateur (à l’africaine bien sûr !). Chacun devrait savoir (en réalité, tous les spécialistes de l’Afrique le savent !) qu’en Afrique les dictateurs, ce sont ceux qui sont mis et maintenus au pouvoir par les occidentaux, famille Bongo, Paul Bia, Campaoré (un des plus virulents adversaires de LG viré depuis par son peuple) etc..etc.. ces gens-là se maintiennent au pouvoir depuis des décennies par des pratiques frauduleuses, corruption, pression militaire occidentale...
tous les démocrates africains ont été assassinés, victimes de coups d’état, disqualifiés avec "la méthode Lula"...
C’est ce qu’on a fait à Laurent Gbagbo. Le problème qui se pose pour la CPI/TPI, c’est que les dirigeants occidentaux savent pertinemment que si Laurent rentre en RCI, il sera accueilli triomphalement par la grande majorité des ivoiriens. Pour un personnage dont on a fait un horrible dictateur, ça pose problème en terme d’image !!!
une anecdote : savez-vous que dans les premiers temps du procès, la "Cour" a présenté une vidéo montrant une manifestation de femmes cruellement réprimée par le Grand Méchant Laurent. Problème, la défense a pu démontrer assez rapidement que cette vidéo montrait des images filmées au… Kenya. Tout le reste dans cette affaire est du même tonneau. Je souhaite longue vie à Laurent et à Charles, il est déjà acquis je le crains que jamais justice ne leur sera rendue comme ils le méritent.

29/05/2021 03:55 par Pedro Guilherme

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