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Combien de temps l’Etat pourra-t-il crier « au loup ! » ?

Pavlov en Israël

L’un des plus grands exploits d’Israël a été de contourner la condition nécessaire pour une validation physique des stimuli induisant la peur.

Les sirènes d’alerte aux raids aériens retentissent plutôt deux fois qu’une en Israël
Imaginez que votre accès à l’information se limite aux médias israéliens et aux organes de presse internationaux favorables aux sionistes. Il est très probable que vous développerez la notion qu’une vie ponctuée sporadiquement de sirènes d’alerte aérienne, c’est de loin le pire destin qui puisse échoir à quelqu’un sur la planète.

Le fait que la sirène d’alerte ne débouche jamais vraiment sur rien, ni en termes de morts et de blessés, ni de dommages à la propriété, est sans importance. Selon la réalité dictée par Israël,vivre avec un arrière-fond de bruits ennuyeux est bien plus difficile que, disons, vivre sous des bombardement indiscriminés.

Comme ce fut déjà le cas des précédentes attaques israéliennes contre la bande de Gaza, le massacre essentiellement unilatéral qui se déroule actuellement a été accompagné d’un flux continu d’articles et d’autres productions médiatiques détaillant les souffrances sans égales des habitants d’Israël.

Un récent article du Jerusalem Post, par exemple, commence sur le mode mélodramatique : « Au moment où l’Etat d’Israël tout entier est sous un feu nourri, ce sont les enfants qui souffrent le plus, et ceci vaut en particulier pour ceux qui vivent dans le sud du pays. Au lieu de profiter de leurs vacances d’été, ils sont obligés de rester à l’intérieur, vivant d’une alerte de raid aérien à la suivante, dans la peur constante d’être touchés par des roquettes ».

Qu’importe la différence entre entendre des sirène et se sentir littéralement soufflé en morceaux – un honneur que peuvent revendiquer les enfants des territoires palestiniens de manière disproportionnée.

L’article annonce une excursion de deux jours pour les jeunes Israéliens, offerte par le Fonds National Juif (JNF), vers des forêts plantées par lui dans le nord du Neguev et vers d’autres sites. Le but de voyage : alléger le stress et garantir aux enfants « une merveilleuse occasion de se retrouver dans un environnement naturel calme, d’échapper à la tension et de se trouver en contact avec les magnifiques paysages israéliens ».

Cela mérite qu’on rappelle que les forêts JNF ont été installées par-dessus les [ruines des] villages palestiniens détruits en 1948 pendant les débuts, sous la menace des armes, de l’état d’Israël.

Dans l’intérêt de cultiver de futures occasions de sérénité pour le peuple élu de dieu, le JNF pourrait envisager de remplacer la population de Gaza par des arbres.

Une réalité manufacturée

Une vidéo scénarisée sur YouTube intitulée « La vie en Israël : 15 secondes de réalité - les roquettes de Gaza » prétend nous donner une idée de ce à quoi ressemble une journée type pour les blondes mamans israéliennes. L’itinéraire est à peu près le suivant : d’abord un plan sur un rejeton angélique à la crèche avec musique douce émanant du mobile de la crèche. Ensuite devant la fenêtre, un petit signe à un autre chérubin qui joue dans l’herbe avec des poupées, au milieu d’oiseaux gazouillants. Sourire extasié, ensuite repli sur une cuisine comme dans un spot publicitaire de Folgers (*). On s’appuie au mur en dégustant avec bonheur une tasse de café. Soudain les sirène d’alerte aérienne retentissent et la tasse tombe en mille morceaux, sauvetage des rejetons à la crèche, puis des yeux horrifiés quand un autre est frappé par une roquette. (Bien sûr ce n’est jamais arrivé en réalité, mais on attache que peu d’importance est accordé à la réalité dans « la réalité en 15 secondes » d’Israël).

Une autre vidéo scénarisés sur le même thème, celle-ci téléchargée par le Ministère des Affaires Étrangères et intitulée : « Un test inattendu - 15 secondes pour vous mettre à courir et sauver votre vie », met en scène d’hypothétiques écoliers israéliens passant un examen tandis que leur prof se pèle une pomme. Quand la sirène se déclenche, ils font de l’hyperventilation et le message qui flashe à travers l’écran est « Voilà la réalité d’Israël aujourd’hui ».

Les sirènes comme élément central de la réalité israélienne ont été reconnues dans le monde entier, et le 1er août dernier le Tampa Bay Times en Floride rapportait que « les sirènes d’alerte aérienne devaient retentir ... faisant partie d’une manifestation de soutien à Israël » dans le quartier de Downtown Tampa. Heureusement pour les habitants et pour l’infrastructure de la ville, aucune reconstitution de la réalité actuelle à Gaza n’avait été prévue.
Néanmoins on peut difficilement argumenter que l’institutionnalisation des sirènes d’alertes aériennes en Israël reflète simplement la préoccupation du gouvernement quant à la sécurité de ses citoyens. Il semble plutôt que la transformation de ce qui est avant tout une pollution sonore en une menace apocalyptique ait plus à voir avec l’intérêt qu’a le gouvernement de maintenir un niveau de panique populaire facilement convertible en soutien public écrasant aux activités militaires génocidaires.

Mais combien de temps l’Etat pourra-t-il crier « au loup ! » ? Indéfiniment ? Après tout, selon les immortelles paroles de George W. Bush : « Bernez-moi une fois, honte à vous. Bernez-moi deux fois ... Honte à moi ! ».

Maintenir la tradition
Techniquement, la réponse pavlovienne des Israéliens aux sirènes - la panique - devrait à présent être retombée, vu que le stimulus audio n’est pratiquement jamais suivi d’un changement dans la condition personnelle pour justifier ladite réponse. Alors, pourquoi les gens ne se sont-ils pas immunisés contre le stimulus ?

Bien sûr, certains ont fini par l’être. Mais beaucoup s’en sont tenus fermement à la tradition pavlovienne, même s’ils ont sans doute remarqué que les roquettes n’atterrissent pas n’importe où près d’eux.

En effet, l’un des grands exploits de l’état juif a été de contourner la condition nécessaire de validation physique des stimuli induisant la peur. Pour la plupart des israéliens, les bruits émis par les sirènes et par le spectaculaire et déraisonnable système de défense anti-missile Iron Dome servent à confirmer que l’ennemi tente de les tuer. Le stress psychologique qui en résulte est évidemment mis sur le compte de cet ennemi plutôt que de l’état lui-même - l’entité directement responsable du chahut et, plus généralement, de la réinitialisation permanente du conflit avec les Palestiniens qui en font les frais mais à qui, en tant que sous-hommes, on dénie le luxe de souffrir psychologiquement ou physiquement.

Aussi longtemps que le système nerveux israélien aura une valeur disproportionnée et que le système nerveux palestinien n’en aura aucune, l’État d’Israël continuera d’exploiter un arrangement qui pourrait lui-même être qualifié de « système nerveux ».

Belen Fernandez

Note  :

* Vieille marque de café américaine populaire.

* Belen Fernandez est une analyste politique et journaliste indépendante américaine familière du terrain (Moyen-Orient, Amérique du Sud, Europe), auteure de « The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work » (Verso) et de « Coffee with Hezbollah »(Paperback). Elle est rédactrice au Jacobin Magazine et publie dans de nombreux médias.

22 août 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction :Info-Palestine.eu - AMM

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COMMENTAIRES  

10/09/2014 23:44 par JC

En vidéo...

Apparemment c’est le summum de l’horreur pour les israéliens, ce bruit de sirènes. C’est pathétique. Mais c’est ce que les sionistes ont réussi à faire à beaucoup de Juifs : les isoler et les faire hurler de trouille, comme si tout le monde les détestait et voulait leur faire la peau. C’est là que des antisionistes authentiques interviennent pour calmer le jeu et expliquer que l’"antisémitisme" est au service d’Israël...

12/09/2014 00:19 par Bucanero

Le bruit des sirènes c’est spécial habitants d’Israël et s’adresse aussi à tous les membres de la diaspora qui ont peur pour eux. Car, effectivement, ça engendre la peur qui empêche de penser.

Mais le bruit-qui-fait-peur, surtout la nuit, est utilisé aussi dans d’autres circonstances : ARAFAT et Manuel ZELAYA (président du Honduras*, élu démocratiquement, mais expulsé par les USA et consorts en 2009, qui n’a eu la vie sauve qu’enfermé dans l’ambassade du Brésil ) en ont "bénéficié" par exemple...
*(Ne cherchez pas le Honduras sur le catalogue des sites Google : cet état n’y figure tout simplement pas ! Aurait-il été "rayé de la carte" ?)
Certains groupes de musique ont protesté quand leurs CD étaient passés très fort, la nuit, sans le consentement des "auditeurs" qui n’avaient pas leurs bouchons d’oreilles à portée de la main (!) lors de séances de torture.

Les conditionnements à la Pavlov sont très efficaces, même quand on en est conscient. Une erreur serait de croire que la conscience et la raison peuvent tout !

12/09/2014 14:58 par Anonyme

La peur est la peur de la mort.

Les autres sont des craintes qui n’empêchent pas de penser car le cerveau n’est pas débranché.

Perdre la vie peut avoir diverses conséquences pratiques suivant chacun de nous :

1. Laisser des enfants sans défenses et sans parents
2. Priver sa famille de revenus - nécessaires éventuellement à payer un emprunt pour avoir un toit, sinon expulsion.
3. Laisser une "œuvre" inachevée.
4. Ne pas avoir eu le temps de réaliser ce que ses parents auraient voulu. Ou qu’ils n’auraient pas voulu - bien que ce soit eux qui vous aient permis de le réaliser.

Perdre la vie dépend aussi des croyances de chacun sur "ce qu’il y a après la mort"

1. Pour les croyants en une religion : s’interroger sur sa vie et douter de la conformité de toutes ses actions avec les preceptes la religion considérée.
2. Pour ceux qui croient qu’il n’y a RIEN après la mort reste l’angoisse toute nue face aux premiers points et la peur
3. Pour les agnostiques se pose la question de savoir ce qu’il y aurait après la mort et ...de retarder la question et sa réponse !

Remèdes :

Les solidarités familiale et sociale. Plus ou moins manipulées par le 4° pouvoir en fonction de l’Histoire
Les drogues à haute dose. Qui n’ont que faire de la vie ou de la mort, la sienne comme celle des autres.

"Che" Guevara jouit d’une renommée internationale mais il est mort jeune, en laissant des enfants, et dans d’horribles souffrances. Marx est mort dans la misère et laissait lui aussi des enfants. Fidel Castro doit sa longévité, dans certains cas, à beaucoup de chance par rapport à ses ennemis. Quid d’Elisabeth II, de Bush, de David Rockefeller ou des Clinton ? Et des illustres inconnus qui leurs servent de larbins et meurent "accidentellement", ou à la joie publique d’hillary, quand leurs services ne sont plus jugés utiles ?

13/09/2014 16:00 par Aris

Cela fait + de 20 ans que je me suis pas replongé dans mes cours de psy mais il n’y a pas que "Pavlov Israël", il y a aussi "Skinner Israel". C’est le b.a.BA des études de psy !
J’ai arrêté en maîtrise, cependant j’ai quelques réflexes...
Pavlov/Skinner, conditionnement classique contre/avec conditionnement opérant.
Même si je trouve ce papier pertinent sur le fond, il faut que son auteur maîtrise son/ses concepts.
Etre publié sur LGS -selon moi- demande un minimum de familiarité avec les idées qu’on manipule.
Je préfère une pensée subjective à une pensée scientifico/politico/concepto/Branlante.

13/09/2014 23:35 par legrandsoir

mais encore ?

13/09/2014 22:40 par vagabond

Ces assassins d’enfants vont-ils un jour payer ?
C’est insupportable de voir ces petits "paquets" ! Les enfants n’ont pas à payer un prix pareil. Ils sont encore considérés comme des objets qu’on possède autrement le monde "civilisé" aurait arrêté un tel carnage, aurait demandé des comptes.

C’est une poignée, la même partout, qui mène vers la ruine morale et l’extinction de l’humanité. Nous sommes plus nombreux et pourtant tellement faciles à museler et à attacher.

Comment fait la population israélienne pour dormir et continuer à vaquer à ses occupations quand un carnage aussi odieux a eu lieu sous ses yeux ? Je ne sais pas si ces gens ont encore quelque chose d’humain ?

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