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Pédagogie des catastrophes par Marinella Correggia - il manifesto.


Apprendre avec humilité les leçons de la nature, même les plus dévastatrices. Un couple de disciples de Gandhi à l’épreuve de l’après tsunami dans les villages côtiers dévastés, entre reconstruction et justice.


il manifesto, samedi 8 octobre 2005.


Quand le tsunami a anéanti sur la cote du Tamil Nadu, des dizaines de villages qu’ils connaissaient très bien, les deux époux Krishannamal et Jagannathan, disciples de Gandhi, réagirent différemment : elle en volant à leur secours, lui en protestant et en proposant.


Les petits-enfants de « amma et appa »

Il faut dire que lui, Jaghannatan S. - dans le sud de l’Inde les noms de famille se donnent avec l’initiale pointée- que tout le monde appelle appa (papa), a été un des freedom fighters, combattant de la liberté, camarade de lutte du mahatma Gandhi pour l’indépendance du pays. L’indépendance advenue, il pensa que presque tout restait à faire et s’engagea dans le mouvement Sarvodaya (« Pour le bien-être de tous ») et dans le Gram Swaraj, le rêve de construire la république des villages, fondée sur l’autogestion et le swadeshi, l’autosuffisance. Krishannamal, que tout le monde appelle amma (maman), est sa femme : chose étrange, déjà , puisqu’elle vient, elle, d’une famille d’intouchables et lui des hautes castes ; mais les révolutionnaires par définition s’en foutent des conventions. Lui, il la voulait parce qu’elle était « sans bijoux » et pleine d’intérêts sociaux. Amma est, depuis des décennies, l’épine dorsale du mouvement des travailleurs agricoles et petits agriculteurs Lafti (Land for Tiller’s Freedom) qui regroupe des dizaines de milliers de personnes - les femmes sont sans aucun doute les plus actives- dans de nombreux villages du district de Nagapattinam.

Pendant longtemps ils ont travaillé dans l’ombre, là bas. Mais ces dernières années, les mouvements dispersés dans tout le pays ont mutualisés en même temps, à partir des gandhiens, et les techniques de lutte non violente et le sens de la justice sociale et économique ; ces alliances de masse (surtout la National Alliance of People’s movements, Napm) ont été déterminants pour la chute du gouvernement intégriste et antisocial du Bjp. Amma et Appa ont donc beaucoup de « petits-enfants », maintenant. Petits-enfants parce que si on fait les comptes, il est facile de trouver leur âge : lui, quatre-vingt-douze, elle soixante-dix. Dans leur cas, cependant, les données de l’état-civil ne sont pas représentatives : amma, de plus, est de l’énergie pure, avec un enthousiasme de fillette. Mais revenons au tsunami.

La zone des Lafti, qui se trouve un peu à l’intérieur, a été épargnée par la vague anomale, mais la destruction a été totale pour les pêcheurs du district, qui avaient rejoint la lutte des paysans contre les élevages de crevettes d’exportation. Assis au milieu du village d’Akkarapetty, Jagannathan avait jeûné pour protester, en automne 2004. Cet endroit n’existe plus.


Les jours du tsunami

Les jours du tsunami ont été racontés par Krishannamal, pendant sa visite en Italie ces jours derniers, pour la marche pour la paix, à l’invitation de certaines municipalités lombardes, de l’association italienne Overseas et du « Gruppo 1% » (Groupe 1%), qui soutient les Laftis depuis dix ans. Face au spectacle de mort, sur la côte, Jagannathan, assis les jambes croisées devant son charka (rouet avec lequel il file tous les jours) répétait comme un mantra, à tout le monde, visiteurs, secouristes, journalistes et autorités locales, que l’événement naturel ne serait pas devenu une catastrophe humaine si justement les êtres humains et avides d’intérêts n’avaient pas anéanti auparavant le ceinture de marécages côtiers, qui peut protéger le sol des inondations d’origine pluviale qui arrivent chaque année pratiquement, et des typhons provenant de la mer. Une barrière dont on s’est débarrassé aussi pour laisser la place aux élevages de crevettes, qui font le profit depuis des années de quelques entrepreneurs mais entraînent des tragédies tout autour : ils salinisent les champs alentour, polluent de substances chimiques et excrémentielles les eaux souterraines et menacent la sécurité même du territoire. Ce n’est pas pour rien que, quelques jours avant le tsunami, une lettre signée par le Lafti, du panchâyat (conseil populaire) du district de Tiruvarur, et par l’association des paysans du delta du Cauvery demandait aux autorités de Delhi et de Madras de « fermer les élevages que la Cour suprême indienne interdit en vain en 1996 (sur recours de Jaghannathan lui-même, NDR) parce qu’ils empêchaient les eaux pluviales de s’écouler vers la mer et détruisaient les marais protecteurs. Le riz et les crevettes ne peuvent pas co-exister... ».

Et bien, le tsunami a détruit aussi les élevages. Mais pour combien de temps ?


L’armée de la compassion

Quant à Krishannamal, ces jours là , elle alla avec les militants du Lafti distribuer des aides d’urgence, cuisiner des marmites de riz et s’occuper des enfants restés orphelins ; avant que n’arrive des gens du monde entier et que le chaos ne commence. Le Lafti revint alors à ses projets sociaux, économiques et éducatifs, et aux nombreuses protestations politiques conduites selon la méthode des marches non violentes et des jeûnes ; il revint au travail avec les femmes, les enfants et les hommes des villages plus à l’intérieur, une économie de subsistance très précaire fondée sur la culture du riz en petites plantations : Amma et Appa sont arrivés ces dernières années à faire distribuer 10.000 acres à autant de familles de sans terre. Presque toutes dalit, intouchables.

Mais ces zones sont restées des épicentres du besoin. Femmes, enfants et hommes que Krishannamal appelle « victimes permanentes ».

Comme le savent bien les amis italiens destinataires des rapports périodiques de Krishannamal, la zone est depuis quelques temps sujette à une alternance de sécheresses qui anéantissent les récoltes et d’inondations qui démontent les fragiles cabanes. C’est pour cela qu’une des priorités du mouvement est l’auto construction collective de maisons durables, petites mais belles, en briques cuites, avec des portes et des fenêtres en bois, un pavement nivelé et des tuiles, et des smokeless chulas, des fourneaux qui n’enfument pas mortellement des femmes et des enfants.


Constructions collectives

Les constructions, depuis le mélange de l’argile jusqu’à la pose du toit, sont collectives : le Lafti a mis sur pied une « armée de la compassion » constituée d’hommes et de femmes qui travaillent par roulement pour construire les maisons et faire d’autres travaux publics en autogestion, quand les travaux des champs ne pressent pas. En échange, dix roupies par personne et nourriture pour tous (compassion est un terme qui revient dans la langue de Amma ; rien à voir avec le compassionate conservatism de Bush ; Krishannamal se laisse guider par le sentiment de karuna, l’empathie avec tous les vivants, et la lutte non violente contre les injustices et les privilèges). Un tiers des roupies nécessaires pour la maison est fourni par la famille bénéficiaire, sous forme de travail ; un tiers par le gouvernement qui a des programmes de bâtiment ; un tiers par le Lafti avec des soutiens limités, autant locaux qu’internationaux.

Les lumières du tsunami éteintes, qu’est-il arrivé ensuite là bas ? Pour les pêcheurs, Krishannamal dit que la plupart sont toujours dans des logements provisoires ; il y a le problème complexe de savoir où reconstruire les villages qui étaient trop dangereusement proches de la côte, mais les pêcheurs ne veulent pas déménager à l’intérieur. En attendant Jagannathan continue à demander la fermeture des bassins de crustacés ; il semble en fait que l’activité maudite puisse rouvrir ses portes. Amma dit : « La Banque mondiale elle-même et d’autres acteurs économiques sont venus dire que l’élevage des crevettes doit reprendre, fût-ce à 500 mètres de la côte. Ce qui n’est pas mieux, parce que les terres à l’intérieur sont cultivées en riz et implanter là des bassins aurait un effet polluant et salinisant pire encore ». Appa exploite autant qu’il peut son unique privilège de freedom fighter, l’abonnement gratuit à tous les trains de l’Inde, pour faire la navette jusqu’à New Delhi et Madras, chez les politiciens. Comment tout cela va-t-il finir ?


Barrières de sable et barrières d’arbres

Pendant ce temps l’armée de la compassion s’est occupée de la réhabilitation du territoire. Amma montre les photos, en plus de celles des 700 maisons détruites : ici les terrains agricoles, d’où ont été dégagés les déchets du tsunami, pour les récupérer à la production ; là la « barrière de sable » longue d’au moins cinq kilomètres et de deux mètres de hauteur, construite sur la côte comme protection minimale contre les typhons classiques et plus cléments. La barrière en réalité, devrait servir d’appui à la « ceinture verte », la barrière d’arbres. Amma rappelle : « Il y a quelques temps un collector (représentant du gouvernement dans le district, NDR) qui s’appelait Sudip Jain et aimait les arbres, nous écouta et nous en fournit des milliers, avec l’autorisation de les planter. Nous l’avions fait en quelques jours ! Mais on lui a vite tiré les oreilles et il a été muté. D’autres intérêts, spéculatifs, ont prévalu ». La ceinture verte doit se faire. Les arbres, de variétés locales, y sont, dans les plantiers du Département forestier. Mais l’armée de la compassion a besoin d’autorisations et puis, ils ne peuvent pas tout faire gratuitement.

Peut-être qu’il y a un moyen. Le Rural Employment Act, la loi approuvée par le Parlement indien, qui garantit à chaque famille rurale (700 millions de personnes) 100 jours de travail rétribué par an, pourvu qu’un adulte de chaque famille accepte de faire un travail d’utilité publique. Krishannamal dit : « La loi est très importante même si j’ai quelques doutes sur le fait qu’elle sera appliquée et comment. Mais j’ai l’intention de l’utiliser, quand elle sera en vigueur : nous proposerons aux autorités que notre « armée de la compassion » soit intégrée dans le projet ; un salaire minimum à nos travailleurs pour reconstruire la barrière végétale sur la côte. Pour que la nature aide à éviter les catastrophes ». Du reste le gouvernement indien devra aussi reconnaître que « le meilleur donneur de travail est l’environnement », comme l’a souligné un dossier du plan bimensuel Down to earth.

Et Katrina ? Kuthur est loin d’être le centre du monde, et les nouvelles du tsunami américain ne sont pratiquement pas arrivées jusqu’aux villages. Amma et Appa, évidemment, n’ont pas la télé, dans leur ashram aux petites pièces sans aucun mobilier ; mais les journaux, ils les lisent, et ils ont parlé de Katrina, en se demandant aussi, une fois de plus, comment il se fait que les américains aient réélu Bush : « Pour nous, cette affaire est comme l’explosion d’une bombe d’injustices. Je pense aux soldats noirs et, dans tous les cas, de classes subalternes qu’on a envoyés tuer et mourir en Irak pour gagner leur vie, pendant qu’en même temps, on a laissé mourir les noirs pauvres de New Orleans à cause d’un ouragan ». Du reste, les gandhiens reprochent aussi depuis toujours aux gouvernements indiens l’argent dépensé dans les missiles et le nucléaire plutôt que dans des oeuvres positives. Cependant Amma est d’accord pour espérer que, comme la vague du tsunami a entraîné des changements en Asie méridionale, l’ouragan aura procuré des lunettes aux étasuniens.

Marinella Correggia


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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