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Politique, historique, érotique, anti-numérique, gastronomique : six chroniques contre l’air du temps…

Fin février 2017, vingt éditeurs (1) avaient initié la campagne « Lire, penser, résister ». Début avril, ils ont soumis une liste de soixante-dix titres (fictions, essais, bandes dessinées…) aux libraires. De nombreuses enseignes participent à cette opération salutaire, destinée à appréhender ce monde qui va mal, à conjurer le défaitisme, le fatalisme, la résignation, le repli sur soi…

Un des ouvrages recensés ci-dessous figure sur la liste. Les cinq autres ne détoneraient nullement. Qu’il s’agisse de parutions relativement récentes ou de rééditions, elles me semblent actuelles, essentielles, indispensables. S’approvisionner chez des professionnel(-le)s indépendant(-e)s va de soi.

● « La grève des électeurs » d’Octave Mirbeau.
Allia, février 2017, 48 pages, 3,10€.

Le pamphlétaire, polémiste et conteur s’étonnait qu’il existât en France « un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, martyr improbable..., qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter... ». Son verdict est implacable : « Plus bête que les bêtes (2), plus moutonnier que les moutons », il « nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit ». Aussi enjoint-il de ne point « courir vers les urnes homicides », de boycotter le suffrage universel. Ce papier, que de nos jours aucun rédacteur en chef n’accepterait d’insérer dans les colonnes de son périodique, avait paru, le 28 novembre 1888, dans « Le Figaro » (3).
Avec sa saillie « Prélude », publiée, le 14 juillet 1889, dans le même organe de presse, Octave Mirbeau brocarda « les infinies sottise et malpropreté de la politique », tailla des croupières à la Révolution française qui n’en fut pas une, « mais un déplacement des privilèges, une saute de l’oppression sociale des mains des nobles » à celles des « bourgeois », ou, « plus féroces, des banquiers ». En découlèrent « l’inexorable société capitaliste » où nous étouffons et « le Code moderne », qui nous « met des menottes aux poignets, un bâillon dans la gorge, un boulet aux chevilles ».
Son commentaire, également ajouté à cet opuscule, Cécile Rivière l’a intitulé « Les moutons noirs ». Elle estime qu’en prônant l’abstention, l’écrivain remet en cause un des travers de la démocratie : qu’une « poignée d’exploiteurs qui parle au nom du peuple » ait toujours confisqué le pouvoir à ce dernier. Il attentait « à la respectabilité des nantis et des institutions », par « la subjectivité et la dérision », seules « à même de délivrer l’individu de l’intériorisation de la domination ».

● « Chère brigande. Lettre à Marion du Faouët » de Michèle Lesbre.
Sabine Wespieser, février 2017, 80 pages, 12 euros.

C’est dans une librairie de Quimper, la ville du Finistère où, le 2 août 1755 (4), fut pendue, sur la place Saint-Corentin (5), la bandite de grands chemins Marie-Louise Tromel, dite « Marion du Faouët » ou « Marie Finefont », que Michèle Lesbre fit la « connaissance » de celle-ci, « un jour de déambulations hasardeuses ». Elle a tendu une passerelle entre la période contemporaine et celle de Louis XV. À l’occasion d’une soirée d’anniversaire, elle avait repéré une autre Marion qu’elle revit, des mois plus tard, sans domicile fixe sur un trottoir parisien.
La belle mercière, née le 6 mai 1717 à Porz en Haie (Morbihan), n’hésitait pas à jouer de ses charmes afin de recruter ses comparses pour la « compagnie Finefont » ou de s’attirer des bonnes grâces, y compris auprès d’aristocrates très fortunés. Aussi combattit-t-elle l’iniquité en dépouillant les « accapareurs » moins influents (marchands et gens d’Église) et redistribua une partie du butin aux démuni(-e)s. Bravant les dangers, l’intrépide cheffe de bande s’enivrait des « chevauchées folles et joyeuses » en Cornouaille. L’auteure se remémore ses propres révoltes et les utopies qui l’avaient animée, que ce « monstre qu’est le système économique avait avalées et digérées ». L’existence de la singulière redresseuse de torts à l’impressionnante chevelure rousse est « un palimpseste que le temps colporte ».
Cette ode à la liberté et à la...lecture, « vagabondage » qui procure des « instants magiques, susceptibles de changer un destin », n’est rien moins qu’éblouissante.

● « Petit traité d’éducation lubrique » de Lydie Salvayre.
Au Seuil en octobre 2016, 126 pages, 10 €.

« Vous pouvez dénuder le modèle », m’avait indiqué, geste à l’appui, la charmante trentenaire auprès de qui j’avais acheté ce guide coquin de la « futution ». Sur la couverture rigide, il suffit de tirer la languette vers le bas pour lorgner l’entre-jambe duveteux d’une femme nue assise, une reproduction miniature d’un tableau peint en 1916 par Amedeo Modigliani. J’avais rétorqué que « ma pudeur légendaire me préserve de ce genre de manipulations ». Je doute d’avoir convaincu la mutine libraire...
En treize chapitres frisant parfois le douzième degré, Lydie Salvayre dispense, aux dames comme aux messieurs, des conseils aussi avisés qu’humoristiques. Elle concilie avec une jubilation non dissimulée cul et culture. Pour conférer à ses préceptes un faux vrai badigeon de « sérieux », la licenciée de Lettres modernes convoque des philosophes, des romanciers, des poètes. L’agreste image de Guillaume Apollinaire « Broute la Rose » a trait à l’art du bien-jouir et non à des festins de ruminants gourmets...
L’espiègle professeure ambitionne « d’instruire les analphabètes du sexe, de désengourdir les gourds, de défâcher les méchants, de rendre le monde meilleur ». Elle nous exhorte à cultiver « les félicités » plutôt que « les passions tristes générées par la frustration ». Nul besoin d’expérimenter les trois cent soixante-six positions des ébats. La lauréate du Prix Goncourt, le 5 novembre 2014, (6), en retient dix-neuf, la dernière couronnée, à l’issue d’étreintes débridées, par la « fusion » avec la(le) partenaire, « la merveille des merveilles ». Goûtons sans modération aucune aux « vertiges, orages, à toutes ces délices qui de bonheur nous font trembler et désirer infiniment de vivre »...

● « Le navigateur obsolète » de Virgile Stark.
Les Belles Lettres, octobre 2016, 145 pages, 15,50 €.

Rares sont les essayistes qui, s’interrogeant quant à la notion de « progrès », s’insurgent contre les corollaires dévastateurs des nouvelles technologies ou l’impact environnemental de ces dernières. Virgile Stark (7) décortique, dans un style brillant, les méfaits de la Toile : le surfing zigzagant équivaut à jeter « les heures aux latrines de l’insignifiance ». Ces « furetages obsessionnels s’originent le plus souvent dans un compost de superfluité », engendrant, à notre insu, une servitude néfaste. Internet, ce « robinet à divertissement », « système de contrôle et d’assuétude le plus achevé », nous « enchaîne aux rives de l’éphémère et de l’actuel ». La consultation régulière du vaste réseau mondial impacte négativement « notre vie affective, psychique et mentale » en nous rendant « dépendants de cette toxine électronique », tout en insufflant « une volupté de l’infini ».
Irrémédiablement séduits par « la Circé mécanique » qui s’est emparée progressivement de notre être, « nous nous vautrons dans l’illusion de l’omniscience et de l’omnipotence ». Le web « ubiquitaire » apparaît comme le pendant individuel de la mondialisation géopolitique et économique : « l’intégrité des âmes se disloque dans la Communauté virtuelle ». L’usage compulsif du hard- et du software atrophie notre autonomie, nous précipite vers notre propre « obsolescence ». Car le « navigateur », ce n’est pas uniquement le « browser » avec lequel nous pénétrons dans les méandres de ce système tentaculaire, mais surtout celle ou celui qui, « inerte, ensablé(-e), s’éparpille au sein de l’hypermonde ».
L’homme dispose encore de la capacité de « nourrir, au plus profond de son silence et de son amour, la flamme incorrompue de la pensée rebelle ».

● Les semestriels « 180°C – Des recettes et des hommes » et « 12°5 – Des raisins et des
hommes ».

Dans l’assortiment étendu des revues dédiées à l’art culinaire, la première citée est indéniablement, de loin, la plus savoureuse. Sa haute teneur intellectuelle, son engagement sans failles contre la malbouffe, ce fléau inhérent à notre « civilisation » ( ?!?...), l’exceptionnelle qualité des photos, devraient captiver au-delà du cercle des amateur(-trice)s de bonne chère. Sa salivante lecture (articles de fond, portraits d’agriculteurs et de restaurateurs exigeants, recettes...) ne nous transforme, certes, pas automatiquement en maîtres queux, mais donne bigrement envie de passer à table et de se régaler, en attendant la prochaine livraison.
Comme précédemment, le sommaire du tome 9 Printemps-été 2017 (192 pages), en rayons dans les librairies depuis le 20 avril, est particulièrement alléchant. Dans son éditorial, Philippe Toinard déplore que l’alimentation ne revête point « une importance capitale » chez les gouvernants, lesquels s’obstinent scandaleusement à prioriser « l’agroalimentaire, ce fameux secteur qui nourrit la population à coups de E 330, E 385, E 471 ou E 223 ». Le rédacteur en chef rêve d’un(-e) ministre non à la botte des lobbies, uniquement mû(mue) par les intérêts des consommateurs et qui valoriserait le bio.
Catherine Gerbod dresse un état des lieux de ce mode de production, « entre mode et résilience », alors qu’il suscite un engouement non négligeable (5,8% de la surface utile ; la France occupe le troisième rang en Europe, derrière l’Espagne et l’Italie).
Amélie Cano a rendu visite à des cultivateurs et meuniers bretons qui ont permis au sarrasin, « plante frugale », de recouvrer la clé des champs.

Thermostat 6 (une appellation de circonstance) à Paris édite également depuis septembre 2016, dans la même lignée d’excellence, le « jajazine » vinophile « 12°5 – Des raisins et des hommes ».
Le second volume (176 pages) est en vente depuis le 23 mars. Aymone Vigière d’Anval y détaille le travail minutieux d’Alexandre Bain, vigneron des plus atypiques à Tracy-sur-Loire (Nièvre), qui élève (dans tous les sens du terme) des pouilly-fumé absolument sublimes (j’en ai dégusté plusieurs cuvées). Le cépage sauvignon blanc, il le cultive en biologique et biodynamie. Le 15 septembre 2015, l’Institut national de l’origine et de la qualité (sic) lui a retiré l’appellation d’origine contrôlée, car il ne charge pas ses vignes (onze hectares) de désherbants chimiques polluants... Le sinistre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, justifie pleinement son patronyme...
Les deux revues « hédonistes » valent largement leur prix : vingt euros.

(1) Au Diable Vauvert, Christian Bourgois, Buchet-Chastel, Corti, Denoël, Gallmeister, Joëlle Losfeld, La Table ronde, Liana Levi, Libretto, Mercure de France, Minuit, Noir sur blanc, Nouveau monde, Phaidon, Phébus, P.O.L., Sabine Wespieser, Taillandier, Zulma.

(2) Insultant pour nos amis à poils, plumes ou écailles, non ?

(3) Le quotidien, propriété de Serge Dassault, n’a évidemment plus rien en commun avec le journal fondé, le 15 janvier 1826, par le chansonnier Maurice Alhoy et le dramaturge, politicien républicain très engagé Étienne Arago.

(4) Le contrebandier Louis Mandrin, lequel avait lutté contre les collecteurs d’impôts dans le Dauphiné, périt après avoir subi le supplice de la roue, le 26 mai de la même année à Valence (Drôme).

(5) Un de ses frères se prénommait Corentin...

(6) L’intrigue de « Pas pleurer » se déroule durant la révolution civile d’Espagne (18 juillet 1936 – 1er avril 1939). Lydie Salvayre rend aussi un vibrant hommage à sa maman, Montserrat Monclus Arjona. Par ailleurs, elle déplore l’extrême violence des affrontements entre, d’un côté, les libertaires de la Confédération nationale du travail (C.N.T.) de l’Association internationale des travailleurs (A.I.T.), de la Fédération anarchiste ibérique (F.A.I.) ainsi que le Parti ouvrier d’unification marxiste (P.O.U.M.), en désaccord avec les trois organisations précitées, et, de l’autre, les commissaires politiques des Brigades internationales.

(7) Pseudonyme d’un bibliothécaire, à mon instar fort inquiet des dérives techniciennes que « nos » dirigeants imposent comme inéluctables. Il avait rédigé un autre livre qui eût mérité de frapper bien davantage les esprits : « Crépuscule des bibliothèques », Les Belles Lettres, novembre 2015, 212 pages, 17 €.

René HAMM
Bischoffsheim (Bas-Rhin)
Le 5 mai 2017.
En complément, une pub du GS :

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