En fin de compte, Hillary Clinton devint le visage d’une élite corrompue, arrogante et déconnectée des réalités, tandis que Donald Trump apparaissait comme le symbole presque parfaitement imparfait d’une fureur populiste qui bouillonnait sous la surface des Etats-Unis.
Il y a manifestement beaucoup à craindre d’une présidence Trump, en particulier couplé avec le contrôle républicain du Congrès. Trump et de nombreux républicains ont nié la réalité du changement climatique ; Ils favorisent davantage de réductions d’impôt pour les riches ; Ils veulent déréglementer Wall Street et d’autres industries puissantes – toutes les politiques qui ont contribué à créer le désordre actuel dans lequel les États-Unis et une grande partie du monde sont actuellement plongés.
En outre, la personnalité de Trump est pour le moins problématique. Il n’a pas les connaissances et le tempérament que l’on aimerait voir chez un président – ou même chez un fonctionnaire beaucoup moins puissant. Il a fait appel au racisme, à la misogynie, à la suprématie blanche, au fanatisme envers les immigrants et aux préjugés envers les musulmans. Il est favorable à la torture et veut construire un mur géant à travers la frontière sud des Etats-Unis.
Mais les électeurs étasuniens l’ont choisi en partie parce qu’ils ont senti qu’ils avaient besoin d’un instrument contondant pour écraser l’élite qui a gouverné et méconnu l’Amérique depuis au moins les dernières décennies. Il s’agit d’une élite qui non seulement s’est emparé de presque toutes les richesses produites par le pays, mais a envoyé avec désinvolture des soldats étasuniens dans des guerres de choix, comme si la vie des soldats de la classe ouvrière n’avaient que peu de valeur.
En ce qui concerne la politique étrangère, l’élite avait confié la prise de décision aux néoconservateurs et à leurs collègues interventionnistes libéraux, une coalition arrogante d’élitistes qui subordonnaient souvent les intérêts des États-Unis à ceux d’Israël et de l’Arabie saoudite pour un avantage politique ou financier.
Les choix de guerre de la coalition libéraux-faucons/néoconservateurs ont été désastreux – de l’Irak à l’Afghanistan en passant par la Libye, la Syrie et l’Ukraine – pourtant cette coalition de je-sais-tout n’a jamais eu de comptes à rendre. Les mêmes personnes, y compris les guerriers en pantoufles des médias et les « spécialistes » des think-tanks, se relèvent d’une catastrophe à l’autre sans aucune conséquence pour leur « pensée de groupe » fallacieuse. Plus récemment, ils ont lancé une nouvelle, coûteuse et dangereuse guerre froide avec la Russie.
Malgré tous ses défauts, Trump a été l’une des rares personnalités publiques à avoir osé défier la « pensée de groupe » sur les points chauds actuels en Syrie et en Russie. En réponse, Clinton et de nombreux démocrates ont choisi de s’engager dans un macarthysisme sans fard, où on a vu Clinton elle-même qualifier Trump de « marionnette » de Vladimir Poutine lors du dernier débat présidentiel.
Il est quand même remarquable que ces tactiques aient échoué ; que Trump ait parlé de coopération avec la Russie, plutôt que de confrontation, et qu’il ait gagné. La victoire de Trump pourrait signifier qu’au lieu d’escalader la Nouvelle Guerre Froide avec la Russie, il y a la possibilité d’une réduction des tensions.
Le rejet des néoconservateurs
Ainsi, la victoire de Trump marque une répudiation de l’orthodoxie des libéraux-faucons/néocons parce que la Nouvelle Guerre Froide a été largement incubée dans des think tanks néoconservateurs, ressuscitée par des fonctionnaires interchangeables au sein du Département d’Etat et nourrie par la propagande des médias occidentaux.
C’était l’Occident, pas la Russie, qui a provoqué la confrontation sur l’Ukraine en aidant à installer un régime farouchement anti-russe sur les frontières de la Russie. Je sais que les grands médias occidentaux ont qualifié l’histoire d"’agression russe", mais ce fut toujours une distorsion grossière.
Les néoconservateurs, tels que la secrétaire d’Etat adjointe Victoria Nuland, et les riches néolibéraux, comme le spéculateur financier George Soros, ont fait pression pour un putsch qui a renversé le président élu Viktor Ianoukovitch, en février 2014.
La réaction de Poutine, y compris son acceptation du référendum largement majoritaire en Crimée pour sa réintégration à la Russie, et son soutien aux rebelles russes ethniques dans l’Ukraine orientale opposés au régime issu du coup d’état à Kiev, fut une réaction aux actions déstabilisantes et violentes de l’Occident. Poutine n’était pas l’instigateur des troubles.
De même, en Syrie, la stratégie de « changement de régime » de l’Occident, qui remonte à la planification néoconservatrice au milieu des années 1990, a impliqué la collaboration avec Al-Qaïda et d’autres djihadistes islamiques pour renverser le gouvernement laïc de Bashar al-Assad. Encore une fois, le Washington officiel et les grands médias ont dépeint le conflit comme entièrement de la faute d’Assad, mais ce n’était pas le tableau complet.
Depuis le début du conflit syrien en 2011, les alliés des États-Unis, y compris l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël, ont aidé la rébellion, la Turquie et les États du Golfe acheminant de l’argent et des armes au Front Nusra d’Al Qaïda et même à une filiale d’Al-Qaïda, l’Etat islamique.
Bien que le président Barack Obama ait traîné les pieds pour une intervention directe préconisée par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, Obama a finalement fait la moitié du chemin, cédant sous la pression politique en acceptant de former et d’armer les soi-disant « modérés » qui ont fini par se battre aux côtés d’Al-Qaïda et autres djihadistes d’Ahrar al-Sham.
Trump a été peu loquace et imprécis sur sa politique envers la Syrie, à part de suggérer qu’il coopérerait avec les Russes dans la destruction de l’Etat islamique. Mais Trump ne semblait pas comprendre le rôle d’Al-Qaïda dans le contrôle de l’est d’Alep et d’autres territoires syriens.
Territoire inexploré
Ainsi, les électeurs américains ont plongé les États-Unis et le monde dans un territoire inexploré derrière un président élu qui manque de connaissances approfondies sur une grande variété de sujets. Qui guidera le président Trump est la question la plus urgente aujourd’hui.
Va-t-il s’appuyer sur des républicains traditionnels qui ont tant fait pour gâcher le pays et le monde ou trouvera-t-il des réalistes avec de nouvelles idées qui réaligneront la politique avec les intérêts et les valeurs américaines fondamentaux.
Ce moment est dangereux et incertain et l’élite du Parti démocratique en porte une grande responsabilité. Malgré les signes annonciateurs que 2016 allait être l’année d’un candidat anti-élite – peut-être quelqu’un comme le sénateur Elizabeth Warren ou le sénateur Bernie Sanders – la direction démocratique a décidé que c’était « au tour de Hillary ».
Des alternatives comme Warren ont été découragées afin d’offrir un « couronnement » à Clinton. Ce qui a laissé le socialiste de 74 ans du Vermont comme seul obstacle à la nomination de Clinton, et il s’est avéré que Sanders était un challenger formidable. Mais sa candidature fut finalement bloquée par la nomenklatura démocrate, y compris les « super-délégués » non élus qui ont donné à Clinton une avance précoce et apparemment insurmontable.
Les Démocrates se sont attachés au carrosse doré de Clinton et ont tenté de la traîner jusqu’à la Maison Blanche. Mais ils ont ignoré le fait que beaucoup d’Étasuniens en étaient arrivés à voir Clinton comme la personnification de tout ce qui va mal dans le monde officiel insulaire et corrompu de Washington. Et le résultat fut le président Trump.
Robert Parry
Traduction "avouez que nous n’arrêtez pas de faire des parallèles avec la France..." par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.