Poussée renouvelée pour que l’Australie construise des armes nucléaires

Peter SYMONDS

Une discussion a commencé au cours du dernier mois dans les cercles stratégiques et militaires australiens sur la nécessité de fabriquer des armes nucléaires, ou de développer la capacité de le faire, contre la prétendue menace posée par les puissances nucléaires, surtout la Chine.

Le débat, en public au moins, est assez prudent, compte tenu de l’hostilité populaire généralisée à la guerre et donc de la possibilité que des protestations éclatent contre toute tentative de créer un arsenal nucléaire. Cependant, le fait même que la question soit activement discutée est un autre signe de l’aggravation rapide des tensions géopolitiques et de l’accélération de la course aux armements par les grandes puissances du monde entier.

La poussée renouvelée pour les armes nucléaires est liée à un débat stratégique plus large sur le danger croissant de conflit entre les États-Unis et la Chine. Pour la plupart, le gouvernement Turnbull et les partis d’opposition, ainsi que les médias et les groupes de réflexion, se sont rangés derrière la position belliqueuse de l’administration Trump envers la Chine et la Corée du Nord. Le gouvernement a soutenu la nouvelle stratégie de défense américaine qui identifie la Chine et la Russie, et non le terrorisme, comme la menace dominante.

Cependant, dans les conditions d’un danger croissant de guerre, des doutes ont été exprimés quant à la volonté et la capacité des Etats-Unis de venir en aide à l’Australie, y compris en cas d’attaque nucléaire.

Hugh White, qui encourageait auparavant les États-Unis à conclure un accord avec la Chine pour atténuer les tensions, a écrit un article dans le Quarterly Essay intitulé Without America : Australia in the New Asia (Sans l’Amérique : l’Australie dans la nouvelle Asie). Il a argué que bientôt les Etats-Unis ne seront pas en mesure de rivaliser avec la Chine militairement et l’Australie devra faire cavalier seul.

White, professeur d’études stratégiques à l’Australian National University (ANU), a déclaré sans ambages : « La logique terrifiante stratégique suggère donc que seule une force nucléaire à nous, capable de menacer de manière crédible un adversaire de dommages majeurs, assurerait que nous pourrions dissuader [la Chine] d’une telle menace nous-mêmes. » Ayant soulevé la question, cependant, il a nuancé la remarque en écrivant qu’il ne « prédisait ni ne préconisait que l’Australie doive acquérir des armes nucléaires ».

Paul Dibb, professeur émérite d’études stratégiques à l’ANU, a fait obliquement une suggestion similaire dans un article de l’Australian en octobre dernier, intitulé « Notre position d’armement nucléaire mérite d’être revue. » Dibb a déclaré que l’Australie n’avait pas besoin d’armes nucléaires pour le moment mais que les temps changeaient et qu’« il serait prudent de revenir sur la réduction du retard technologique ».

L’Australie n’a actuellement pas de réacteurs nucléaires pour l’énergie commerciale et un seul établissement de recherche, à Lucas Heights à Sydney, géré par l’Organisation australienne des sciences et technologies nucléaires (ANSTO). Sur le papier, cette installation est consacrée à l’utilisation pacifique de la technologie nucléaire. En conséquence, l’infrastructure nécessaire pour obtenir l’ingrédient de base pour fabriquer des armes nucléaires, l’uranium enrichi ou le plutonium, est absente et prendrait des années à construire.

Ce que Dibb suggérait, c’est que l’Australie, sous prétexte de produire de l’énergie nucléaire ou sous un autre prétexte, doive acquérir la technologie essentielle pour produire les matières fissiles nécessaires à la construction d’une arme nucléaire. L’hypocrisie en est stupéfiante. Les analystes qui font de telles propositions accusent des pays comme l’Iran et la Corée du Nord de mettre ces plans en pratique, et soutiennent une attaque préventive des États-Unis pour éliminer cette menace supposée.

Dibb sait très bien que l’Australie est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il a noté qu’il serait difficile d’affirmer, dans le cadre de sa clause relative aux « intérêts suprêmes », que l’Australie fait face à une menace existentielle. Toute initiative de l’Australie visant à « réduire le retard » pourrait également « préoccuper sérieusement les États-Unis et d’autres pays […] et pourrait stimuler davantage la prolifération nucléaire ».

En fait, avant de signer le TNP en 1970 et de le ratifier en 1973, le gouvernement australien a élaboré des plans pour une centrale nucléaire commerciale à Jervis Bay, au sud de Sydney, qui fournirait secrètement l’uranium enrichi nécessaire à la fabrication d’armes nucléaires. Le projet de Jervis Bay, promu par le premier ministre John Gorton, a été mis en réserve après son renversement en 1971 par Billy McMahon.

Le professeur associé Wayne Reynolds, auteur du livre Australia’s Bid for the Atomic Bomb (La tentative de l’Australie pour acquérir la bombe atomique), a dit à l’Australian que dans cette période « L’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas – tous voulaient des armes nucléaires, mais l’Australie était en tête de liste à cause de nos ressources en uranium, nos scientifiques et notre programme d’enrichissement. »

Tandis que White et Dibb, qui ont tous deux occupé des postes de responsabilité dans l’establishment australien de la défense et du renseignement, sont réticents à préconiser ouvertement des armes nucléaires, d’autres demandent que l’on discute de la question et que des mesures soient prises.

Dans un article intitulé « Lutter contre un gorille de 400 kilos bardé d’armes nucléaires », Andrew Davies, directeur du programme de défense et de stratégie de l’Institut australien de politique stratégique (ASPI), a réprimandé White et Dibb pour leur « timidité et leur manque de volonté de faire face dès maintenant à la conclusion logique de leurs arguments. »

Davies a écrit : « La question clé, que nous ne devrions pas éviter d’aborder, est de savoir si nous jugeons le risque d’une attaque de la part de la Chine suffisamment élevé et sérieux pour justifier le développement d’un système de dissuasion nucléaire indépendant. » Alors qu’il n’a pas répondu à la question, il a déclaré qu’« il y a un débat stratégique sérieuse à avoir. » ASPI reçoit des fonds du gouvernement et des entreprises d’armement.

Malcolm Davis, collègue analyste de l’ASPI, dans un article intitulé Going nuclear ? (Opter pour le nucléaire ?) du 9 janvier, a ajouté une note d’urgence : « Pour dissuader les menaces nucléaires, il faut des armes nucléaires, et une telle capacité renforcerait toute dissuasion non nucléaire future […] l’Australie n’envisagerait pas une telle mesure à la légère, mais n’attendez pas beaucoup de temps pour une réflexion approfondie si nos décideurs politiques sont contraints de faire face à cette option. »

Peter Layton, analyste de l’Institut Lowy, a proposé dans un article du 17 janvier que l’Australie envisage de « partager les armes nucléaires » plutôt que de développer un arsenal indépendant. Il a suggéré le placement des armes nucléaires américaines sur le sol australien comme c’est le cas en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Italie et en Turquie, ou encore le partage des coûts avec la Grande-Bretagne pour construire sa flotte de sous-marins nucléaires de type Dreadnought dotés de missiles nucléaires Trident.

Ce débat est lié à une poussée plus large pour augmenter les dépenses militaires en préparation à la guerre. Le major-général à la retraite Jim Molan, qui devrait bientôt être confirmé en tant que sénateur du Parti libéral, a soutenu le 4 janvier dans l’Australian que la capacité militaire des États-Unis avait nettement diminué. L’Australie doit « s’attaquer à nos vulnérabilités critiques en matière de sécurité du carburant et de détention d’armes haut de gamme. À défaut de le faire, nous pourrions être réduits à l’impuissance en moins d’une semaine. À moyen et long terme, nous avons besoin de garanties de sécurité plus stables. »

Dans son livre blanc sur la défense de 2016, le gouvernement prévoyait déjà une expansion militaire de plusieurs milliards de dollars, portant le budget de la défense à au moins 2 % du produit intérieur brut et achetant des systèmes d’armes avancés. Sur le même thème, le Premier ministre Malcolm Turnbull a annoncé hier une vaste expansion des industries militaires au nom d’une campagne d’exportation d’armes et pour devenir l’un des dix premiers exportateurs d’armes au monde.

Aucune de ces étapes n’a quelque chose à voir avec la « défense » ou la préservation de la paix.

Dans un monde où les tensions géopolitiques s’accélèrent, l’Australie cherche en réalité les moyens militaires de poursuivre ses propres intérêts impérialistes, soit en se liguant avec les États-Unis, comme elle le fait depuis la Seconde Guerre mondiale, soit de façon indépendante si nécessaire. L’establishment militaire et politique arrive à la conclusion que pour ce faire, il a besoin de l’ultime « arme haut de gamme » – un arsenal nucléaire.

Peter Symonds

(Article paru en anglais le 30 janvier 2018)

 https://www.wsws.org/fr/articles/2018/01/31/aust-j31.html

COMMENTAIRES  

01/02/2018 09:43 par Vagabond

Je rêve ! Qu’est-ce qu’ils ont dans les yeux ? Du sable qui a atteint jusque leurs cerveaux ?
L’Australie comme le reste du monde est en train de subir les résultats du réchauffement climatique et le problème de ce caillou c’est la Chine ?
Je n’ai aucune sympathie particulière pour la Chine et ne me tirez pas dessus, pas non plus très grande pour le communisme, tous les mouvements humains ont failli. Cependant, mon rejet du capitalisme est supérieur à toutes ces considérations. Je ne peux pas admettre que des êtres humains se retrouvent à la place d’objets.
Je vous lie parce que vous dites encore certaines vérités et on peut s’exprimer sur votre site.
Ces US corrompent tout ce qu’ils touchent !

02/02/2018 13:28 par UBU 53

Chouette !!!!
Une nouvelle guerre contre les kangourous et les cocaburas en perspective pour le si génial et pacifiste Trump
Ses caniches de OTAN dont la France doivent se frotter les mains ...
A qui le tour ensuite ???

03/02/2018 20:50 par Roger

Je rêve ! Qu’est-ce qu’ils ont dans les yeux ? Du sable qui a atteint jusque leurs cerveaux ?

Moi je cauchemarde...Les Sénateurs US préviennent qu’ils sont prêts à utiliser des armes nucléaires même dans un conflit classique !
En somme, la grande intelligence de Truman (l’homme vrai !?) distille encore dans les cerveaux de ces fous furieux, n’est-ce pas lui qui a justifié (en off, bien entendu) l’horreur d’Hiroshima et Nagasaki par le fait que puisqu’on avait tant dépensé pour cette bombe A, ce serait dommage de ne pas s’en servir !
Donc la dissuasion ne va plus tenir avec ces fous furieux pour lesquels il semble normal d’envisager l’arme nucléaire comme une autre...Non ce n’est pas la catastrophe écologique qui va nous éradiquer, mais l’hiver nucléaire et ses radioactivités infinies.
L’horloge de Bloomsfield vient encore d’avancer d’1 minute...minuit moins 2 minutes avant les jolis champignons autour de la planète !

04/02/2018 09:16 par Assimbonanga

À compter de ce vendredi 2 février, l’administration Trump permettra aux citoyens et aux entreprises de revendiquer des concessions sur les parties déclassées des parcs nationaux de Bears Ears et du Grand Staircase-Escalante, dans l’Utah, en vue d’ouvrir des mines sur ces terres jusque-là protégées. La déclassement a réduit de plus de 80 % la superficie du monument Bears Ears de 500.000 hectares, créé par le président Barack Obama en 2016. Il a réduit de moitié le monument Grand Staircase-Escalante (dont la superficie est de 769.000 hectares), protégé par le président Bill Clinton en 1996.

Malgré les protestations des défenseurs de l’environnement, des chefs de tribu locaux, de législateurs démocrates et même de Victoria Tauli-Corpuz, rapporteure spéciale des Nations Unies sur les droits indigènes, le Bureau of land management (BLM) de l’administration Trump prévoit de permettre la revendication de terrains suivant le processus régi par la loi générale de 1872 sur les mines, cuivre, l’or, l’argent et uranium (mais pas le charbon et le pétrole). D’après l’agence Reuters, « le processus de dépôt d’une réclamation reste à peu près semblable à ce qu’il était lors de la ruée vers l’or » :
Il suffit qu’un prospecteur enfonce quatre poteaux dans le sol correspondant aux quatre points d’une parcelle pouvant atteindre 20 acres (8ha environ) et accroche sur l’un d’entre eux, une description écrite de sa revendication. Il dispose alors de 30 jours pour enregistrer sa propriété au bureau local du BLM. Frais de dépôt : 212 $ et frais d’entretien annuels : 150 $. Contrairement aux lois régissant l’extraction du pétrole, il n’y a pas de directives environnementales spécifiques à l’exploitation de roches dures et aucune obligation de payer une redevance. Les revendications fournissent aux prospecteurs des droits miniers mais pas la propriété de la terre.

La décision de Trump livre des milliers de sites sacrés essentiels à la préservation de la nature et des cultures autochtones régionales, ainsi que des sites archéologiques, à des profanations, contaminations et destructions irréversibles.

Source : Reporterre (Trump livre les parcs nationaux américains à l’extractivisme )

04/02/2018 15:21 par vagabond

C’est le crépuscule de l’humanité.
Malgré toute son intelligence, inutile à l’espèce à l’évidence, l’humanité place des hommes comme Trump à sa tête. Nous méritons ce qui nous atteint. Il ne reste plus qu’à disparaître.

Quand je lis que l’IA est l’avenir de l’humanité, je comprends que certains se fichent autant de l’environnement, des guerres nucléaires et de toute calamité pouvant détruire notre nature organique. Ils comptent fabriquer des humains modifiés qui pourraient survivre à l’annihilation de l’espèce.
Cette nouvelle espèce bionique dotée de systèmes artificiels mécaniques imitant nos systèmes biologiques ne serait pas inquiétée par les retombées radioactives, pourquoi craindre la corruption de l’air, l’eau, la terre quand nous disposons de systèmes non biologiques ?
Voyons déjà à quel point les villes sont envahies par l’acier et le béton sans plus aucune trace de verdure et combien la technologie remplace nos facultés.
Certains enfants ne connaissent même plus les fruits et légumes, d’autres ne lèvent plus leurs têtes de leurs extensions artificielles comme les smartphones, les tablettes, les PS. Je n’ose même pas penser à la réalité virtuelle et les schizophrènes que ça va générer.

La technologie capitalisée finira par détruire notre mémoire déjà débilitée. Je le crains bien que je sois pour les avancées scientifiques et que je ne mets en rien en doute la valeur de ces acquis. C’est leur détournement qui me dégoûte.

Certains pensent à quitter la planète pour bien répandre leur civilisation destructrice ailleurs, d’autres comptent sur des stations en orbite...

Du moment que des chercheurs ne se projettent plus sur cette planète, croyez-vous que son avenir leur importe ? Que dire des incultes politiciens qui dirigent le monde par leurs bas instinct et leurs minables ego gonflés comme des ballons de baudruche ?

Ils détruiront jusqu’à le dernière herbe puisque nous les laissons faire.

Notre inertie est inexplicable vu notre nombre. A moins que nous soyions tous suicidaires ?

(Commentaires désactivés)