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Poutine : “Lénine est l’auteur de l’Ukraine d’aujourd’hui” ou comment tout ça est la faute à...Lénine et aux bolcheviks !

Que diriez-vous si on s’arrêtait de pérorer sur Poutine, sur ses projets géostratégiques et ses visions politiques, et si on prenait la peine de laisser le principal intéressé, Poutine lui-même, nous en parler ? Que diriez-vous si on s’arrêtait un peu d’imaginer ce qu’il pense et ce qu’il veut faire en envahissant l’Ukraine, et au lieu de ça, lui donner la parole pour qu’il nous explique tout de première main ?

Mais, commençons par un quiz : qu’ont-ils en commun les ennemis anticommunistes occidentaux de Poutine et les défenseurs de gauche de Poutine ? La réponse est que tous les deux perçoivent la Russie de Poutine comme une certaine "continuation" de l’URSS. Les premiers pour la critiquer et la condamner, les seconds pour l’approuver et la défendre. Cependant, tant les uns que les autres comptent sans leur hôte, lequel dans ce cas n’est autre que Poutine lui-même. Alors, nous avons trouvé et lu son discours historique du 22 février, dans lequel il a exposé « longuement et en détail », pendant une heure et demie (!), les raisons de la guerre qu’il a déclarée contre l’Ukraine. Et le résultat de cette lecture a été extrêmement révélateur : ce que Poutine pense et dit est diamétralement opposé à tout ce que disent ses ennemis occidentaux et des admirateurs de gauche. Poutine déteste la révolution russe, les bolcheviks et, en particulier, Vladimir Lénine, plus que tout autre chose ! Alors, écoutons ce qu’il dit dès le début de son discours, dont il avertit qu’”il sera long et détaillé” :

« Permettez-moi donc de commencer par le fait que l’Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie, ou plus précisément, par la Russie bolchevique et communiste. Le processus a commencé presque immédiatement après la révolution de 1917, et Lénine et ses compagnons d’armes l’ont fait d’une manière très grossière à la Russie elle-même – par la sécession, en arrachant des parties de ses propres territoires historiques ».

Et pour qu’il soit plus clair, Poutine ajoute ces phrases dignes d’un nostalgique du régime tsariste :

« Du point de vue du destin historique de la Russie et de son peuple, les principes léninistes de construction de l’État n’étaient pas seulement une erreur, ils étaient, comme nous le disons, encore pire qu’une erreur. »

Ceci étant dit, Poutine pousse sa “logique” jusqu’au bout et tire sa conclusion finale, qui n’est autre que « la politique bolchevique a abouti à l’émergence de l’Ukraine soviétique, qui, même aujourd’hui, peut être appelée à juste titre "Ukraine de Vladimir Lénine".Il en est l’auteur et l’architecte » ! Faites attention à cette phrase de Poutine parce que ce qu’il dit à ses compatriotes est que sa guerre contre l’Ukraine est, ni plus ni moins, une guerre contre “la création de Lénine” ! Évidemment, ni les ennemis anticommunistes occidentaux de Poutine, ni ses apologistes de gauche n’ont montré la moindre envie de mettre en évidence cette phrase, et ont préféré l’enterrer et la passer sous silence pour qu’elle reste inconnue et ne leur crée pas des problèmes...

Nous voici donc au cœur du problème, ce qui nous fait revenir un siècle en arrière, aux premières années du régime soviétique établi après la victoire de la Révolution d’Octobre 1917. Ce que dit d’ailleurs Poutine lui-même quand il prévient ses compatriotes qu’il va « accorder une attention particulière à la période initiale de la création de l’URSS car je pense que c’est très important pour nous », puisqu’il croit que, pour qu’ils comprennent le pourquoi de la guerre contre l’Ukraine, « nous devrons y aller, comme on dit, de loin ». Et juste après, il précise ce qu’il veut dire :

« Permettez-moi de vous rappeler qu’après la révolution d’octobre 1917 et la guerre civile qui a suivi, les bolcheviks ont commencé à construire un nouvel État et qu’il y a eu pas mal de désaccords entre eux. Staline, qui cumule en 1922 les fonctions de secrétaire général du Comité central du PCR(b) et de commissaire du peuple pour les nationalités, propose de construire le pays sur les principes de l’autonomisation, c’est-à-dire de donner aux républiques – les futures unités administratives-territoriales – de larges pouvoirs au fur et à mesure de leur adhésion à l’État unifié ».

En se référant à Staline et son plan, Poutine entre dans le vif du sujet, qui n’est autre que ce Lénine qu’il hait à mort. Et voici ce qu’il dit :

« Lénine critique ce plan et propose de faire des concessions aux nationalistes, comme il les appelle à l’époque - les "indépendants". Ce sont les idées de Lénine sur une structure étatique essentiellement confédérative et sur le droit des nations à l’autodétermination jusqu’à la sécession qui ont constitué le fondement de l’État soviétique : d’abord en 1922, elles ont été consacrées dans la Déclaration sur l’Union des républiques socialistes soviétiques, puis, après la mort de Lénine, dans la Constitution de l’URSS de 1924 ».

Nous sommes entièrement d’accord avec la description de Poutine. Sauf que nous applaudissons l’application de ces "idées de Lénine" – et plus particulièrement, de ce damné droit à la sécession- non seulement à son époque mais aussi maintenant, et même partout et toujours, tandis que Poutine les hait viscéralement. Alors, il se demande :

« De nombreuses questions se posent immédiatement ici. Et la première d’entre elles, en fait, est la principale : pourquoi était-il nécessaire d’assouvir les ambitions nationalistes sans cesse croissantes aux confins de l’ancien empire ? (...) Pourquoi fallait-il faire des cadeaux aussi généreux dont les nationalistes les plus ardents ne rêvaient même pas auparavant, et en plus donner aux républiques le droit de se séparer de l’État unique sans aucune condition ? A première vue, c’est totalement incompréhensible, c’est de la folie ».

Simple question rhétorique parce que Poutine connaît déjà la réponse :

« Mais ce n’est qu’à première vue. Il y a une explication. Après la révolution, la tâche principale des bolcheviks était de conserver le pouvoir, c’est-à-dire à n’importe quel prix. Pour cela, ils sont allés jusqu’au bout : aux conditions humiliantes traité de Brest-Litovsk, à une époque où l’Allemagne du Kaiser et ses alliés se trouvaient dans la situation militaire et économique la plus difficile, et où l’issue de la Première Guerre mondiale était en fait prédéterminée, et pour satisfaire toutes les exigences, tous les désirs des nationalistes à l’intérieur du pays ».

Évidemment, il est absolument inconcevable pour ce va-t-en-guerre qu’est Poutine que les bolcheviks aient accepté les « conditions humiliantes du traité de Brest-Litovsk » parce qu’ils ont fait leur révolution pour arrêter et pas pour poursuivre la Première boucherie mondiale. Ni que les prétendus « nationalistes » qu’il méprise tellement, pourraient être les nombreuses nations et ethnies opprimées par l’État absolutiste tsariste, lesquelles revendiquaient leur droit élémentaire à l’autodétermination ainsi que les libertés et droits démocratiques dont elles étaient privés depuis des siècles. Tout ça ne sont que des « folies » et des « fantaisies odieuses et utopiques » pour l’obscurantiste ultra-réactionnaire et « chauvin grand-russe » Poutine. Et c’est pour ça qu’il conclut son retour – si révélateur et didactique – au passé bolchevique de Russie, par ces mots si éloquents :

« Il est très regrettable que les fantaisies odieuses et utopiques inspirées par la révolution, mais absolument destructrices pour tout pays normal, n’aient pas été rapidement expurgées des fondations de base, formellement légales, sur les quelles tout notre État a été construit ».

Conclusion ? Nous n’avons rien à ajouter lorsque Poutine lui-même est en total désaccord avec ses ennemis occidentaux et ses amis de gauche qui prétendent que sa Russie est une sorte de substitut de l’URSS, ou qu’il vise – par exemple avec sa guerre en Ukraine – à la faire revivre ! Tant les premiers que les seconds luttent contre des ombres et nous racontent des bobards tout en faisant de la propagande grossière adressée à des idiots : il n’y a probablement pas d’anticommuniste plus juré et d’admirateur plus farouche de l’empire tsariste que Poutine ! Quant au comment est-ce possible que des gens de gauche qui se disent communistes et même léninistes, arrivent à transformer cet anticommuniste invétéré et capitaliste oligarchique ultra-réactionnaire qu’est Poutine en chef d’état progressiste et anti-impérialiste, ceci, plutôt qu’un « mystère », est la preuve du long chemin qui reste à parcourir pour que la gauche redevienne vraiment radicale et donc crédible.

Yorgos Mitralias

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COMMENTAIRES  

11/03/2022 11:18 par Robess73

D accord avec mitralias sur les libertés et raccourcis que prend poutine avec l histoire. Ce que j avais déjà souligné à la lecture de ses discours. Par contre l auteur ne nous parle pas de ce que doit faire la Russie pour stopper l otan et l agression ukrainienne contre les 2 provinces du dombass depuis 8 ans. Regrettable.

11/03/2022 11:40 par CN46400

La France vit un moment politique curieux, il est impossible, pour tout les partis de dire le fond de leur pensée, ils sont tous, 100%, anti Poutine, et les médias tronquent, sans retenue, leur infos. Ils ne savent plus, ce qu’ils pouvaient écrire il y a un mois, à savoir que l’irrédentisme nazi avait, militairement et clandestinement, survécu dans l’Ukraine jusqu’en 1954, soit 9 années après la chute de Berlin...
Me revient au passage les critiques qui se sont abattues sur Staline, pour lui reprocher d’avoir refusé, compte tenu des infos dont il disposait, d’attaquer le premier en 41, comme l’ont, parait-il, proposé quelques généraux, à la Stavka. Il aurait répondu : "L’attaque préventive est interdite à l’état socialiste" (Volkogonov).... Poutine n’est pas tenu par ces préventions. Mais sa victoire, plus facile peut-être, sera infiniment moins glorieuse....!
Et puis, le spectre hante toujours l’Europe et en Russie ce spectre a un nom et un visage : Lénine !
Curieusement Poutine ne relie pas l’ouest de l’Ukraine d’où viennent toutes ces tendances néo-nazies, qui ont capté le pouvoir à Kiev, au pacte Hitler-Staline et à la soviétisation forcée de ces contrées en 39-40. Comme si Staline, pour Poutine, c’était mieux que Lénine....

11/03/2022 12:14 par Mf

Après nous avoir expliqué dans un précédent article combien il était important que les démocrates US remportent les élections, voilà que ce clown de mitralias revient dans le site du grand soir, cette fois-ci pour nous donner des leçons de léninisme et d’anti-impérialisme afin qu’on ne veuille surtout pas d’une défaite de l’OTAN en ukraine.

Que le régime ukrainien ait affirmé vouloir l’arme nucléaire, qu’il ait tué 14 000 civils russes, qu’il ait persécuté les communistes et les russophones d’ukraine, qu’il soit infiltré de néonazis, qu’il glorifie le nazisme, qu’il ait accueilli en son sein 26 laboratoires US d’armes bactériologiques, qu’il soit issu d’un putsch US, qu’il veuille intégrer l’OTAN et des missiles nucléaires US, que Poutine ait contribué à redonner à la Russie sa souveraineté et qu’il ait décrit dans son même discours la disparition de l’URSS comme une tragédie, tout ceci pour Mitralias ne compte pas, car Poutine a critiqué dans son discours la décision de Lénine d’accorder l’autonomie à l’Ukraine.

Evidemment, pour le clown Mitralias, les "idiots" sont ceux qui approuvent l’intervention russe tandis que la radicalité et la crédibilité c’est vouloir que les démocrates US gagnent les élections. Et surtout il faut "arrêter de pérorer sur Poutine, sur ses projets géostratégiques et ses visions politiques", c’est Mitralias le représentant de l’intelligence, de la radicalité et de la crédibilité de gauche qui l’exige !

11/03/2022 15:07 par cunégonde godot

Excellente leçon d’histoire de M. Poutine. Certainement pas anti-communiste, ni même fondamentalement anti-marxiste à mon avis...

11/03/2022 23:29 par Danael

C’est vraiment prendre les autres pour des imbéciles de prétendre que parce que nous sommes contre le régime pro-nazi en Ukraine et les agressions de l’Otan envers la Russie, nous confondons forcément cette dernière avec l’URSS. Il ne vous a pas échappé de toute façon qu’une URSS communiste ou une Russie capitaliste c’est du pareil au même pour l’impérialisme américain qui a l’ambition d’épuiser et détruire tout pays puissant qui lui tient tête, surtout en Europe, sa chasse gardée. D’accord pour la partie Lénine mais cela ne fait pas pour autant de Poutine un anticommuniste acharné vu que le deuxième parti le plus important en Russie est le parti communiste.

12/03/2022 11:02 par Auguste Vannier

Réduire causalement une situation historique à l’action d’un ou quelques humains est une erreur épistémologique largement documentée (malgré tous les efforts de l’Histoire officielle par les grands personnages : rois, empereurs, militaires, politiques, pour nous faire croire le contraire.)
Ramener la guerre en Ukraine à la seule volonté de Poutine, repeint en autocrate anticommuniste et pro-stalinien, ne nous aide pas à comprendre. Il est évident que les évènements sont multifactoriels. En l’espèce il y a toutes les conséquences du démantèlemnt de l’empire Austro-Hongrois d’après 14-18 et le charcutage de toutes les frontières, il y a le nationalisme et l’extrème droitisation de la Galicie (Ouest de l’Ukraine), l’holodomore stalinien des années 30 (Famines—>6 à 8 millions de morts), la "libération" par Hitler en 40 et l’alliance des bandéristes avec l’armée Nazi, la fin de l’URSS et la stratégie anti-russie des USA et de l’Europe atlantiste, le non respect des accords de Minsk 1 et 2, l’installation de bases nucléaires offensives aux frontières de la Russie, la guerre civile en Ukraine contre Donentz et Loubantsk, la corruption à tous les étages de l’administration Ukrainienne, et l’impossibilité de compter sur une diplomatie responsable... Et tellement d’autres facteurs.
Alors, l’antiléninisme supposé de Poutine...une goutte d’eau.

12/03/2022 19:06 par Geb

Il y a parfois des moments où je me demande comment çà aurait été reçu chez les camardes résistants du Camp de Concentration de Buchenwald, (Camp où étaient internés mon Père en compagnie de Marcel Paul, Simon Lagunas, et autres communistes, mais aussi d’autres plus atypiques comme Léon Blum, Marcel Dassault, et même le Colonel Delaroque), si un "camarade" avait émis l’idée que Staline était un dictateur qui avait assassiné des millions d’opposants.

Je pense qu’en pleine offensive victorieuse antinazie, après Koursk et Stalingrad alors que les détenus retenaient leur souffle et se préparaient à se libérer eux-mêmes face aux Américains qui trainaient les pieds pour le faire, ça aurait été très mal accueilli aussi bien par les Communiste du CDIF mais même par un Fasciste nationaliste comme Delaroque, un Industriel juif comme Dassault, ou un Social Démocrate comme Blum.

La question d’actualité pour les peuples du monde entier qui prétendent à une réelle autonomie politique et économique n’est pas de connaître la couleur de ceux qui briseront leurs chaînes actuelles et enverront leurs tortionnaires aux galères.

Il s’est "posé des questions", Lénine, quand l’Empereur d’Allemagne a mis un train a sa disposition pour rejoindre Petrograd et déstabiliser le Régime tsariste ? Ou quand Trotsky a rendu visite à Rockfeller pour trouver des fonds toujours pour les mêmes raisons ?

Certainement,.. Mais il y a répondu à sa façon et au bénéfice de la Révolution prolétarienne russe et pour le plus grand dam de ceux qui s’étaient imaginé l’utiliser à leur profit parce qu’ils le finançaient.

Ensuite si Poutine était si "anti-léniniste" que ça il n’aurait pas refusé la demande de démantèlement du Mausolée de la Place Rouge ou Lénine est exposé embaumé. Ca n’est pas parce qu’on critique un acte qu’on pense être un acte manqué par un dirigeant politique qu’on met en cause toute son oeuvre.

Pour le reste je vais pas tirer sur les ambulances. Monsieur Mitralias a le droit de penser ce qu’il veut de Poutine, et nous aussi.

Mais les seuls qui ont le vrai droit de le juger ce sont ceux que Poutine a tirés et qu’il continue à tirer de la merde ou les ont mis les Khroutchev, Gorbatchev, et autres apparatchiki en coupant la Malorossyia de la Russie historique et en rattachant la Crimée à l’Ukraine sous prétexte de fédéralisme tout en détruisant les acquis de la Révolution soviétique et l’URSS au passage..

Les "seuls", c’est à dire les Citoyens de la CEI.

Ca n’a pas été une bonne idée de Lénine de tailler dans un morceau de la Russie historique pour le rattacher à un état artificiel composé de morceaux arrachés à leurs racines historiques et ethniques. Comme ça n’aurait pas été une bonne idée de n’importe quel dirigeant français, de rattacher l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne ou les Hauts de France à la Belgique lors de la création d’une Union Européenne qui tôt ou tard va imploser.

Et puis le mieux ça serait quand même qu’il demande aux Communistes russes, qui sont concernés au premier degré en tant que deuxième parti organisé, et premier parti d’opposition de Russie, ce qu’ils pensent de la chose ??? Non ?

13/03/2022 00:42 par Xiao Pignouf

Ca n’est pas parce qu’on critique un acte qu’on pense être un acte manqué par un dirigeant politique qu’on met en cause toute son oeuvre.

Merci Geb, difficile de mieux le dire.

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