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Prends un siège, Ursula...(et autres sièges).

Ainsi commence le Ve Acte de la tragédie de Corneille, Cinna :

« Prends un siège, Cinna », invitation ou injonction qui a donné son nom à une marque de meubles bien connue. Assis sur ce siège, le conspirateur Cinna entendra l’Empereur Auguste lui accorder son pardon, et lui offrir la réconciliation et même une participation au pouvoir.

A Ankara, le scénario a été bien différent, on a plutôt eu affaire à un siège de la discorde. A la façon dont on rapporte parfois l’incident, on peut avoir l’impression que les deux hommes, Erdogan et Michel, ont laissé Ursula debout. En fait, elle était bien assise, mais sur un somptueux sofa, alors qu’elle estimait avoir droit au fauteuil.

On se croirait à la Cour de Versailles, où le Duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, raconte d’épiques querelles de préséance. En effet, selon l’étiquette en vigueur sous Louis XIV, « les duchesses peuvent s’asseoir sur des tabourets au cercle de la reine et aux repas du roi ; les ducs et duchesses ont droit à des pliants chez les petits-enfants de France, un fauteuil chez les princes du sang et un carreau [coussin] de pied à la messe » (source : cairn.info) ; les autres restent bien sûr debout. Mais, ici, l’étiquette est inversée : le prestige est associé au siège le plus modeste (le fauteuil), tandis que le plus majestueux (le sofa) implique une humiliation.

Pourtant, le sofa, et son cousin le divan, sont associés à des idées positives, en particulier celle du pouvoir : le divan, c’est la salle où se réunit le Conseil du sultan (le Diwan désigne par métonymie le gouvernement ottoman) ; dans les maisons particulières, c’est là qu’on reçoit les visites de cérémonie. Quant au sofa, c’était, en Orient, une estrade élevée, couverte de tapis et coussins, où on recevait les personnes qu’on voulait honorer, tel le vizir ; ainsi, le sofa correspond bien aux enjeux de l’incident d’Ankara : Mme von der Leyen, vizir de la Commission, aurait bien voulu être reconnue comme le Calife de l’Europe !

Un autre synonyme conviendrait aussi à cette histoire : le canapé, lui, vient du grec par le latin conopeum, qui signifiait moustiquaire, puis rideau de lit, puis le lit lui-même ; l’origine du mot est donc : kônôps, le moustique : Ursula n’a-t-elle pas voulu jouer la mouche du coche (alors qu’en matière d’affaires étrangères, c’est le Conseil qui a la préséance) ?

On assure du reste que, sur son sofa, ou son ottomane, Ursula a pu tenir sa partie dans les discussions, et si on a envie (pour faire plaisir aux commentateurs qui réduisent tout à l’opposition homme/femme) d’ajouter au premier hémistiche ce deuxième : « Tiens ta langue captive », c’est bien moins du fait du siège que du masque-bâillon, handicap bien plus sérieux pour se faire entendre.

En ce moment où tout est écrasé par le mantra sempiternel covid, vaccin, covid, vaccin..., la moindre anecdote est la bienvenue, et les sièges tiennent décidément la vedette : s’asseoir à la « table » des négociations peut s’avérer scabreux, mais s’asseoir à table tout court est pénalement bien plus dangereux : on nous a montré le salon du Palais Vivienne avec ses tables et ses chaises comme une véritable scène de crime : quoi, les riches s’empiffrent de homard, pendant que les gueux ne peuvent même pas s’offrir un pot chez MacDo ! Quoi, nous nous bâillonnons, nous nous ligotons, et eux s’amusent librement ? Cela tient, à mon avis, de la réaction pavlovienne : n’y aurait-il pas d’autres réflexions à faire ? « Tiens, ces grands bourgeois, ces Beautiful People, si soucieux de leur santé, de leur bien-être, n’hésitent pas à se réunir dans une salle pour goûter au plaisir d’un repas convivial ? Mais alors... »

On rejoint ici une polémique sur l’interprétation du XVIIe siècle et de la montée de l’absolutisme royal (de nouveau Corneille) : Richelieu s’est fixé comme but de supprimer toutes les libertés, ou privilèges, des nobles féodaux, il a donc œuvré dans le sens de l’égalité ; les autres, le peuple, en ont-t-il été plus libres pour autant ? Tocqueville répond qu’en domestiquant les nobles, le pouvoir monarchique a fait disparaître pour tous l’esprit de liberté, préfigurant le régime « démocratique » où les individus égaux et isolés n’ont aucune protection face au « monstre doux », nom tocquevillien du futur totalitarisme. Réduire les riches au pain sec et à l’eau aurait un sens si on avait pour perspective une révolution où tous auraient du pain en suffisance. Mais hurler contre le homard avec les loups médiatiques pour mieux inciter les pauvres à rester sagement à leur place tient plutôt de l’opération de diversion.

Mais concluons plus légèrement avec Molière :

Le véritable Amphitryon
Est l’Amphitryon où l’on dîne.

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Éric Laurent. Le scandale des délocalisations.
Bernard GENSANE
Ce livre remarquable est bien la preuve que, pour l’hyperbourgeoisie, la crise n’est pas le problème, c’est la solution. Éric Laurent n’appartient pas à la gauche. Il est parfois complaisant (voir ses livres sur Hassan II ou Konan Bédié). Mais dans le métier, on dit de lui qu’il est un " journaliste d’investigation " , c’est-à -dire … un journaliste. Un vrai. Sa dénonciation des délocalisations, par les patronats étatsunien et français en particulier, est puissamment (…)
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