Dès janvier 2017, les contrôles radars mobiles seront confiés à des sociétés privées. Une première expérimentation débutera en septembre prochain. En confiant cette tâche à des prestataires agréés, l’Etat compte libérer du temps pour les forces de l’ordre mais surtout augmenter le taux d’utilisation des véhicules – à l’heure actuelle, ces véhicules, qui coûtent 70 000 euros l’unité (à quoi il faut ajouter 18 000 euros par an pour l’entretien), circulent en moyenne 1h13 par jour. Avec cette activité accrue, le nombre de contraventions devrait également augmenter.
Il est prévu, avec les recettes ainsi réalisées, que le parc de 319 voitures équipées de radars mobiles nouvelle génération (RMNG) soit porté à 440 véhicules d’ici deux ans. De l’aveu même du gouvernement, cette décision implique « des tabous à dépasser. » Et l’Etat n’a pas lésiné sur la communication pour répondre aux doutes des Français. « Les sociétés feront ça dans le cadre d’un marché public qui sera publié, où on pourra voir noir sur blanc qu’en aucun cas la rémunération de ces entreprises ne sera liée au nombre de contraventions qui ont été envoyées », assure Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la Sécurité routière.
Si cette mesure a de quoi surprendre, il ne s’agit pourtant que d’une nouvelle étape dans l’externalisation d’une mission que l’Etat juge encombrante. Depuis 2006, en effet, la vérification des radars fixes n’est plus confiée à des agents de l’État, mais à la Sagem, le groupe qui fournit la quasi-totalité des radars automatiques en France. De plus, nombre d’activités autrefois régies par des fonctionnaires ont été confiées à des entreprises privées dans l’histoire récente : fourrières, autoroutes, gestion et entretien de certaines bases militaires, etc.
A la différence des exemples précités, la privatisation des radars mobiles touche néanmoins à un domaine particulièrement sensible, puisqu’elle participe d’une privatisation des fonctions régaliennes – soit des pouvoirs exclusifs de l’Etat. En autorisant l’immixtion de sociétés privées dans un processus légal, on organise de facto la partialité du pouvoir coercitif.
Outre le problème d’orientation dans les contrôles, cette mesure renversera concrètement la hiérarchie des normes qui place l’Etat au-dessus des compagnies privées. De fait, les fonctionnaires de police devront donner suite aux infractions constatées par les sociétés qui auront repris cette activité. Ces derniers seront donc dépendants d’organismes externes dont ils entérineront les condamnations – ce qui revient à placer en amont des décisions une entreprise dans l’activité quotidienne qu’ils exercent, puisqu’ils seront réduits au statut de chambre d’enregistrement d’une justice privée.
Par vocation, un organisme privé défend ses intérêts, poursuit ses propres desseins, n’œuvre pas pour l’intérêt général. De plus, il ne fait pas l’objet des mêmes contrôles que les organismes administratifs, non seulement très encadrés, mais dont l’activité est susceptible d’une multitude de recours visant à en contester la validité. Le statut légal des décisions des dépositaires privés d’une mission de service publique est beaucoup plus opaque, et plus dur à contester. A moins que... Pour Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit des automobilistes, « si ce n’est pas un policier ou un gendarme qui rentre toutes ces données, le procès-verbal perd toute sa force probante. En clair, il n’est plus valable ! »
Pour Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes, « chaque année les chiffres de rentabilité de ces machines automatiques confiées à des sociétés privées seront à la hausse car c’est le principe d’une société privée d’être dans la rentabilité et l’efficacité. » Ce stakhanovisme de la contravention déplait fortement aux conducteurs français. Et quand Emmanuel Barbe assure que la rémunération des prestataires agréés sera « fixe », l’argument ne convainc pas : selon une enquête Harris Interactive, commandée par 40 Millions d’automobilistes, 83% des Français voient cette privatisation d’un mauvais œil. 76% des sondés estiment que cette mesure « aura pour objectif d’augmenter le montant des contraventions collectées par l’Etat. »
Mais le reproche principal qu’on peut formuler contre cette mesure, c’est encore son manque de portée sur le plan de la sécurité routière. Nicolas Comte, Secrétaire général du syndicat de policiers Unité SGP-FO, le remarque : « des agents du privé qui se contenteront de rouler avec les radars n’est pas la solution". Les policiers, eux, ne font pas que rouler, « ils peuvent mener des missions de sécurité routière. » Un accident sur trois implique l’alcoolémie – sans parler des stupéfiants. Et pourtant, l’unique avancée proposée par le gouvernement est une répression de la vitesse. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) pointe une autre tendance lourde : l’explosion du nombre de conducteurs sans assurance impliqués dans des accidents. Le FGAO a traité 28.435 dossiers l’an passé, soit une progression de 1,09 % par rapport à 2014 mais de + 40,2 % depuis 2009. Deux aspects cruciaux qui seront une fois encore passés sous silence.