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Cuba est un point de référence pour les peuples qui luttent

« Progressisme » (1) à Cuba et Mémoires du sous-développement

La position absurde de l’intellectuel en tant que « conscience critique de la société » – de nouveau l’intellectuel en dehors de la réalité – est une résultante perverse plutôt que d’être la conscience et l’action critique des révolutionnaires sur leur société.

Fernando Martínez Heredia
Le glissement vers le rouge.

L’intellectualisme « progressiste » et ses référents

La classe qui, dans la société moderne, bourgeoise, donne sa couleur politique au pouvoir est celle-là même qui domine sur le plan matériel, et économique. Et sa domination politique est destinée, en fin de compte, à maintenir et reproduire les conditions générales dans lesquelles s’opère son exploitation économique, à savoir les rapports capitalistes de production.

Adolfo Sánchez Vázquez.
Entre réalité et utopie. Essais sur la politique morale et le socialisme.

Certains médias numériques « indépendants », de type journalistique ou universitaire, gagnent du terrain à Cuba, notamment parmi certains secteurs parmi les intellectuels cubains, en se présentant comme des plateformes « plurielles » et « alternatives » de réflexion publique sur le présent et l’avenir du pays. Ceux qui publient dans ces espaces construisent un récit « progressiste » qui assume comme fil conducteur un discours de discrédit, et parfois de ressentiment marqué, à l’égard du système politique cubain. En dépit de leur soi-disant « pluralité », il est difficile de trouver des positions qui s’identifient au processus révolutionnaire de ces dernières décennies, pas même dans une perspective critique. Ce sont ces mêmes auteurs qui publient dans l’un ou l’autre de ces médias, se citant entre eux et créant peu à peu un réseau qui vise à se positionner sur la scène médiatique en ce qui concerne Cuba. Ils s’efforcent d’exercer une influence sur l’opinion publique, en accumulant un capital intellectuel qui, dans certains cas, est déjà devenu rentable et un capital politique qui, peut-être, à un moment donné, pourrait le devenir. Ils tentent de socialiser une façon particulière d’interpréter la réalité cubaine, qui devient de plus en plus populaire au sein de leurs réseaux, sans que sa portée effective ne soit clairement définie.

On trouve des nuances dans le discours des auteurs que l’on peut considérer comme faisant partie de ce courant. Certains d’entre eux s’intéressent davantage au développement économique et défendent le libre marché, tandis que d’autres plaident plus fermement en faveur de l’autonomisation de ladite « société civile ». À grands traits, on pourrait dire que l’éventail s’étend de ceux qui aspirent à la libéralisation définitive de l’économie cubaine, en passant pas ceux qui, sans déclarer aucune position idéologique, se présentent comme des défenseurs de la presse indépendante, de la liberté d’expression, d’autres droits civils et de certaines causes sociales, jusqu’à ceux qui s’orientent vers la possibilité d’une inflexion dans l’institutionnalité juridique et politique cubaine vers un « socialisme démocratique », qui serait l’héritier de la plus pure tradition républicaine.

En dépit de cette diversité, on distingue un centre autour de cinq aspects fondamentaux qui marquent les intérêts au sein de ce courant de pensée « progressiste », caractérisé davantage par l’homogénéité que par la pluralité :

Premièrement, la défense de certains droits limités au sein de la société cubaine actuelle, liés à des limitations de la propriété privée et à l’accumulation des richesses, à la liberté d’association, à la manifestation et à l’expression, au pluralisme politique, au vote direct et à la liberté de la presse.

Deuxièmement, les discours se caractérisent par la dénonciation des conditions de vulnérabilité vécues par certaines couches de la population, c’est-à-dire, des situations de pauvreté, d’insalubrité, de violence de genre, entre autres problèmes susceptibles d’être présentés dans les médias comme des « causes sociales » qui soulèvent une grande émotion.

Troisièmement, leur jugement sur le système politique cubain repose sur le fait de le rendre entièrement responsable, aussi bien quant aux limitations en matière de droits qu’en matière de développement économique et conditions de vie des secteurs vulnérables.

Quatrièmement, la discussion sur certains droits a lieu soit en ignorant le caractère socialiste du système, comme par exemple l’intervention nécessaire de l’État dans les processus de répartition des richesses et de la propriété, soit de manière décontextualisée, dans la mesure où elle omet l’influence du blocus économique et du siège politique, militaire et médiatique des États-Unis, qui limite les conditions qui rendraient possibles la réalisation de ces droits et la résolution des difficultés économiques existantes. Par ailleurs, cette discussion semblerait ignorer ou, du moins, considérer comme une évidence, la large plate-forme de droits effectifs dont jouit la population cubaine dans des conditions d’équité, certains d’entre eux, notamment, ayant un caractère universel et inaliénable, une situation qui plaide en faveur d’une volonté politique claire et soutenue du système cubain de donner toute sa dignité à la vie sur l’Île.

Cinquièmement, enfin, bien que ces discours n’utilisent pas le même jargon politique que la droite étasunienne contre Cuba, ils s’appuient sur les mêmes pivots d’ouverture au libre marché, de critique ironique sur l’inefficacité d’une économie socialiste bloquée et de défense de quelques droits spécifiques traditionnellement arborés par les démocraties libérales, ce qui rend ce type d’arguments extrêmement faciles à assimiler ou à coopter par les intérêts extérieurs et leurs salariés sur l’île, ainsi que par le reste de la dissidence cubaine. Quelques intellectuels cubains, qui se définissent comme des représentants de la « gauche », se distinguent dans ce courant de pensée « progressiste ». Ils se prononcent en faveur d’un « socialisme démocratique », avec la nostalgie de la tradition républicaine présente à d’autres périodes de l’histoire de notre pays et, en général, ils discréditent le processus révolutionnaire socialiste à Cuba. En dépit de leur position, tantôt sceptique, tantôt clairement hostile à l’égard des institutions cubaines actuelles, et même s’ils finissent parfois par adopter des positions alignées ou, du moins, opportunes, pour la droite internationale qui attaque le pays, et ses militants politiques sur l’île, il serait difficile de les identifier comme des membres de la dissidence ouverte. Ce sont des intellectuels formés à Cuba, dotés d’un important bagage culturel, qui semblent sincères lorsqu’ils se déclarent très engagés et soucieux d’un meilleur destin pour leur pays.

Nous ne les verrons jamais se prononcer dans les termes de la droite de Miami, une propagande obsolète dont ils se démarquent : la dimension de leur discours est tout autre ; il s’agit d’un discours, en fait, difficile à calibrer dans une première approche.

Leur rhétorique se révèle attrayante, mais sans affiliation claire à aucun projet, ni à une quelconque déclaration de principes que celle de leur foi dans les idéaux de la pureté républicaine et dans certaines de ses catégories formelles. Pour la plupart de leurs partisans sur les réseaux sociaux, il leur suffit de se sentir identifiés à eux, lorsqu’ils avouent souffrir devant une patrie séparée en raison de la migration ; ils se positionnent comme les martyrs d’un État qui les harcèle ; ils flattent l’abondance de Miami et se plaignent des pénuries à Cuba, ou bien ils se placent provisoirement du côté de certains groupes sociaux pour déplorer ce qu’ils présentent comme leur malheur dans le système. Symboles utilisés de façon très opportune dans des articles d’opinion chargés de ressorts émotionnels, destinés à toucher les fibres du cœur d’une nation qui, même après six décennies de processus révolutionnaire anticolonial le plus important de l’histoire contemporaine, continue à lutter pour résoudre, dans ses façons de se produire subjectivement, sa principale contradiction historique, la même depuis octobre 1868, cette tension entre le désir d’être elle-même ou celle d’être à l’image du maître. Parce qu’il nous faut reconnaître qu’il existe des secteurs importants de la population à Cuba qui s’identifient aux valeurs représentées par le projet socialiste et qui souhaitent réellement sa continuité, mais il y a aussi quelques secteurs qui s’identifient aux valeurs du capitalisme et à son affirmation mensongère d’abondance, de démocratie et de liberté.

En principe, personne ne saurait s’opposer à ce qu’une partie des intellectuels « progressistes » à Cuba souhaite publiquement : une institutionnalité juridique et politique garantissant davantage de libertés, de droits et de possibilités de participation réelle pour le peuple. Cependant, le problème se pose lorsqu’ils proposent, comme voie vers davantage de démocratie et de droits, le sillon tracé par les formules des institutions bourgeoises, à un moment historique où les catégories qu’ils défendent sont désormais devenues des euphémismes notoires qui ne résolvent pas les crises structurelles de droits et de la démocratie dans les sociétés capitalistes.

On peut faire valoir que les principes républicains de plus de droits et plus de libertés ne sont pas nécessairement l’apanage des sociétés bourgeoises ; cela dépendra toujours des référents à partir desquels ils sont construits. À cet égard, bien qu’une partie du « progressisme » à Cuba se déclare liée à la gauche, ses discours et ses référents semblent beaucoup plus proches des social-démocraties. À ce stade de l’histoire, il est bien connu que ladite « troisième voie » n’est pas en guerre précisément contre le capitalisme, mais seulement contre son expression la plus sauvage. C’est-à-dire que cette conception est beaucoup plus adaptée à la tolérance d’un système basé sur des relations d’exploitation, conforme à l’idée naïve ou intéressée qu’il existe un « bon » capitalisme et un « mauvais » capitalisme. Or, il n’y a pas de morale intrinsèque au capitalisme qui pourrait contrôler et corriger volontairement les processus d’exploitation et d’accumulation, afin de créer un modèle qui soit bon pour l’humanité et la nature. Cette notion d’un côté noble du capitalisme omet la lutte de classe en tant qu’élément fondamental à l’intérieur d’un système qui utilise tous les moyens possibles pour se reproduire, et qui, dans sa reproduction illimitée, contient la négation de l’humanité et, en même temps, la nécessité de la rébellion.

L’introduction de freins au capitalisme, à certains moments et dans certains contextes, n’a été que le résultat historique des luttes populaires contre le système. Les concessions, en termes de revendications sociales, que l’on a pu arracher au système, doivent être constamment défendues, au risque d’être effacées de l’Histoire, car elles ne s’inscrivent pas dans la logique de ses processus d’accumulation. Et ceci, parce que les droits sociaux représentent en réalité des éléments perturbateurs qui réduisent les opportunités de profit, de sorte qu’ils peuvent être parfaitement inutiles et sans intérêt pour le fonctionnement « sain » du système économique d’accumulation capitaliste, comme cela a été largement démontré dans les pays dévastés sur le plan social par les intérêts du capital.

Par conséquent, le démantèlement total des droits sociaux dans certains lieux et l’existence de concessions arrachées au système dans certains contextes à coup de luttes et de sacrifices collectifs sont les deux faces de la même médaille : le caractère unique et brutal du système. C’est pour cela que, concernant le socialisme à Cuba, les droits liés à la libre association, à la liberté de la presse et de la manifestation, des concepts tellement défendus par le « progressisme » cubain, pris dans l’abstrait, sans tenir compte des conditions objectives et des réalités concrètes auxquelles l’île est confrontée depuis janvier 1959, risquent d’être cooptés par des groupes de pouvoir économiques externes et internes à l’île pour imposer un programme privé et de privatisation en fonction de leurs intérêts de classe, qui viendrait augmenter les périphéries existantes, et les rendrait incroyablement meurtrières. Cuba n’entrera pas par la grande avenue du modèle démocratique bourgeois défendu par le « progressisme » cubain, sans que ne se fissure sa liberté en tant que nation et le projet d’une société pour les humbles. Le vote direct dans les pays, dont les constitutions sont prises en exemple par le « progressisme », ne garantit pas nécessairement que les intérêts de ceux qui votent soient représentés. L’insistance des « progressistes » sur la « pluralité politique », qui pourrait se traduire par un multipartisme et ouvrir un espace à la présence réelle de courants politiques du « centre » et de « droite », dans le cadre d’un projet social où il ne pourrait y avoir de place que pour l’approfondissement du socialisme, au risque de détruire tout projet autonome en tant que nation, conduirait au repositionnement d’une bourgeoisie au pouvoir, qui n’hésiterait pas et ne tarderait pas à rétablir les mécanismes de domination de classe liés à ses intérêts économiques, ce qui impliquerait la liquidation du socialisme.

Il semblerait que cette conception du « progressisme » cubain, dans la défense des droits et des libertés dans l’abstrait, ne parvient pas à voir que, dans l’espace politique formel des sociétés capitalistes, il n’y a en réalité aucune différence effective entre le « centre » et la « gauche », puisque la politique en place est subordonnée aux intérêts du capital, quel que soit son bord. La vraie gauche se bat régulièrement en dehors et en dessous, en marge et contre toute institutionnalité imposée. Le multipartisme se transforme dans la pratique en groupes de pouvoir économique et politique en lutte pour s’emparer des ressources de leur pays à leur profit, dépouillant ainsi d’opportunités de satisfaire leurs besoins fondamentaux de larges secteurs sociaux. Dans les pays dotés de constitutions reconnaissant la liberté d’expression, les manifestations sociales sont brutalement réprimées lorsqu’elles touchent les intérêts des élites économiques et on assassine des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme en toute impunité. En ce sens, l’institutionnalité juridique et politique bourgeoise se caractérise par l’énoncé de droits formels et de libertés relatives subordonnées en dernière instance aux intérêts du capital. Quels droits sont-ils garantis pour les plus pauvres dans de nombreux pays où les constitutions parlent de démocratie, de droits de l’homme et de libertés politiques dans les mêmes termes que le « progressisme » cubain exige qu’ils soient définis dans la constitution à Cuba ?

Aucun droit. Parce qu’il ne s’agit pas de concepts formels, il s’agit de créer des conditions de possibilités réelles dans le contexte d’un projet déterminé de société. Par conséquent, nous ne reconnaissons pas l’ordre conceptuel des droits et des libertés proclamé par l’intellectualisme « progressiste » par opposition au socialisme à Cuba (« pluralité politique », « droits de l’homme », « liberté d’expression », « liberté de la presse », « liberté d’association », « liberté de manifestation », « démocratie »), non parce que ce sont en soi des concepts bourgeois, parce qu’en réalité, ils ne doivent pas nécessairement l’être, mais surtout parce qu’ils ne peuvent pas être pleinement réalisées dans les modèles de société capitaliste que le « progressisme » adopte comme référent, c’est-à-dire qu’il existe une contradiction inhérente à ce système entre l’énonciation formelle et rhétorique des droits et des libertés et leur concrétisation réelle et pratique. Et parce que pour les exhiber, les progressistes passent outre l’Histoire de Cuba, même s’ils s’en déclarent les créanciers ; ils passent outre les conditions géopolitiques auxquelles fait face un projet en transition socialiste et ses circonstances économiques ; ils passent outre les acquis importants de la Révolution en matière de droits et de libertés, en dépit du fait que le pays se trouve aux prises avec un siège militaire, économique, politique et médiatique qui dure déjà depuis plus de six décennies. Ils passent outre l’espace où les libertés et les droits se trouvent en conflit, c’est-à-dire la confrontation entre deux modèles de société antagonistes, un modèle basé sur le lucre et le profit, à partir de l’exploitation du travail au service de l’accumulation du capital pour une minorité et un autre basé sur la distribution et l’équité au service de la société tout entière.

Ceci étant, nous critiquons la manière dont ces concepts de libertés et de droits sont utilisés par le « progressisme » cubain, calqué sur la manière dont ils sont utilisés en permanence dans l’ordre discursif imposé par les institutions bourgeoises pour se légitimer, sans qu’ils ne soient nécessairement mis en pratique, car ils sont toujours limités par le cadre étroit des intérêts de classe de l’élite dominante, à savoir, qu’ils finissent toujours par être des droits et des libertés pour une minorité. Leur seule possibilité de réalisation universelle effective se trouve dans une société qui transcende l’ordre établi par le modèle bourgeois et les développe à partir d’un nouveau cadre, en dépassant les limitations imposées par la société capitaliste, en d’autres termes, dans laquelle la liberté n’est pas réduite à des possibilités de profit pour quelques-uns ; la démocratie ne se limite pas à l’impératif des intérêts de ceux qui ont l’argent ; la liberté de la presse ne se réduit pas à l’opinion des propriétaires des médias représentants les propriétaires du capital ; la liberté d’association n’est pas exclusive des privilégiés et la liberté d’expression ne se réduit pas à ce que les intérêts du marché tolèrent.

L’énonciation en termes abstraits de chacun de ces concepts, utilisant comme référent des modèles de sociétés capitalistes fondées sur des droits formels et des libertés relatives au profit des intérêts d’une minorité, diffère de ce que ces mêmes concepts peuvent effectivement devenir dans un modèle de société socialiste qui aspire à la réalisation effective des droits et libertés pour tous.

En ce sens, tant que les discours « progressistes » à Cuba importeront en tant que référents les concepts de libertés, de droits et de démocratie depuis la dynamique de l’institutionnalité bourgeoise (caractérisée par la régulation des relations d’exploitation en vue de la reproduction d’une société divisée en classes), dans le but de juger un projet en transition socialiste (qui, au contraire, aspire à la suppression des relations d’exploitation et à l’élimination des classes sociales), on peut parler avec raison de l’utilisation de concepts bourgeois ou de l’usage bourgeois des concepts.

Lorsque le discours « progressiste », qui se définit lui-même comme de « gauche », fait appel comme modèle et référent à des éléments de la structure, de l’idéologie et de l’institutionnalité de la société capitaliste qui doivent être dépassés dans le socialisme, on peut clairement l’identifier comme un courant conservateur de la pensée intellectuelle, complètement contraire à une authentique position de gauche. Ce qu’il fait, c’est recréer des hybrides sous-développés de la culture institutionnelle bourgeoise cubaine d’avant la Révolution. Aussi, incombe-t-il à la pensée critique révolutionnaire de démasquer ce type de jeux rhétoriques de la pensée conservatrice déguisés en « progressisme » ou de « gauche ».

S’il est une chose qu’il nous faut combattre dans une Révolution socialiste, c’est aussi l’appropriation bourgeoise des concepts fondamentaux pour le développement de son caractère démocratique ; chacun des concepts et des valeurs qui sert à approfondir la démocratie socialiste doit être socialisé et radicalisé durant le processus. Ce qui permet ainsi l’émergence de nouvelles façons d’être du travail intellectuel, en déplaçant la figure des intellectuels en tant que conscience critique de la société, dont les tendances conservatrices ont tellement tiré profit, et laissant au peuple révolutionnaire le soin d’assumer l’action critique sur sa société (Martínez, 2001).

Pour le reste, le capitalisme et son institutionnalité juridique et politique ont largement démontré leur incapacité à mettre en œuvre ces droits et ces libertés dans le monde entier. Là où le capitalisme a triomphé strictement, son triomphe a représenté pour la plupart des peuples, l’exploitation, la dévastation, le pillage et l’extermination, c’est-à-dire la destruction de cultures et de sociétés entières. Les « progressistes » cubains pourront toujours dire que Cuba n’aura pas nécessairement le même destin que ceux du Sud, et y compris, que tous ceux du Sud ne s’en sont pas sortis aussi mal. Et là, ils se tromperont encore, en pensant que le capitalisme a un « bon » et un « mauvais » côté, en regardant vers l’ouest avec l’espoir que Cuba pourrait s’en sortir aussi bien que les élites des puissances coloniales, alors que le monde entier s’effondre.

Les puissances coloniales historiques sont toujours présentées comme des référents de tout ce que peut avoir de bon le système capitaliste et les démocraties sociales. La pensée libérale, selon laquelle ils s’en sortent bien parce qu’ils ont su développer un capitalisme bienveillant et que le Sud va mal à cause de la grande corruption qui existe, est une pensée largement répandue dans des secteurs importants des sociétés du Sud. Nombre d’intellectuels progressistes en Amérique latine citent comme de bons exemples les progrès sociaux atteints dans certaines de ces sociétés capitalistes économiquement développées. Mais les acquis positifs en termes de droits et de libertés au sein de ces sociétés sont précisément dus aux freins qui, pour des raisons historiques (États providence), ont été imposés au mode d’accumulation capitaliste. Bien qu’il ne soit pas possible d’oublier que pour maintenir leur hégémonie économique, les élites de ces gouvernements appliquent à l’étranger les mêmes modes sauvages d’exploitation et mettent en œuvre les mécanismes caractéristiques de la domination capitaliste sur la politique d’autres pays, en utilisant y compris la violence pour supprimer les droits et libertés d’autres peuples. Le capitalisme est un système mondial dans un monde unipolaire. C’est donc le système responsable de l’ordre des choses dont nous sommes témoins sur notre planète. La richesse des sociétés les plus développées économiquement repose aujourd’hui sur un système qui, pour se reproduire, dévaste la majeure partie de la population et de la nature du monde. Où que nous vivions, nous ne pouvons pas tourner le dos à cette réalité.

Le « progressisme » à Cuba se fait l’écho d’une pensée franchement coloniale ; il oublie de quel côté de l’histoire nous devons nous situer et que, c’est avec les pauvres, parce que c’est ce que nous sommes, que nous devons partager notre sort. Bercés par cette illusion, les annexionnistes cubains éblouis se tournaient vers le Nord, à l’époque où Martí avouait avoir su à quel point celui-ci pouvait être troublé et brutal et combien il nous méprisait, quelques heures avant de mourir, et nous savons désormais comment s’est achevé ce chapitre de l’histoire de Cuba.

Nous savons que le « progressisme » veut maintenant réécrire cette histoire, et prétendre que la république bourgeoise fut tellement bonne, en dépit de ses maux, parce que ce fut une république, mais tout en reconnaissant les avancées relatives qu’elle a représentées, nous ne pourrons jamais oublier que, c’est en luttant contre les formes effectives dans lesquelles cette république s’est consolidée que les jeunes rebelles cubains les plus précieux de l’époque ont perdu la vie. En fin de compte, à leur manière, ils ne font rien d’autre que ce qu’a fait et continue de faire le récit de la droite internationale à l’égard de Cuba : une lecture du socialisme cubain, sous le prisme de l’ordre de la rationalité émanant des démocraties libérales. Bien qu’ils se définissent comme les représentants d’une pensée « de gauche », nous réaffirmons qu’ils représentent une ligne conservatrice au sein de la pensée intellectuelle cubaine contemporaine, en contradiction flagrante avec les nouvelles formes d’organisation de la vie sociale qui sont mises en œuvre à Cuba depuis le triomphe de la Révolution et qui devront continuer à se réinventer, car le socialisme, contrairement au capitalisme dans toutes ses variantes, est un système encore à construire.

Concernant Cuba, il ne s’agit pas de défendre un gouvernement comme une fin en soi, ni les intérêts d’un groupe au pouvoir. Il s’agit de préserver les conditions pour rendre possible un projet de société socialiste garantissant les droits du peuple ou, en d’autres termes, défendre la souveraineté et l’indépendance d’une nation qui, même s’ils veulent l’ignorer, fait face à un siège permanent, précisément pour ne pas s’être rendue et n’avoir pas cédé dans cet effort. La guerre contre la Révolution cubaine a été le prix qu’il a fallu payer pour le simple fait d’être libres et conséquents. Si un groupe devait mettre en péril la souveraineté de la nation, qu’il soit au pouvoir ou non ; si, à un moment donné, les véritables droits dont jouissait le peuple étaient bafoués dans l’intérêt d’une minorité ; si la spoliation, l’exploitation, le mépris de la valeur de la vie humaine, l’humiliation, l’annexionnisme, la subordination au puissant du Nord prétendaient s’imposer comme norme au pouvoir et si la Révolution en venait ainsi à être trahie, il faudra descendre dans la rue, maintenant oui, que la Constitution le permette ou non, pour reprendre le cours de l’histoire, non pas celui de l’histoire de la domination et de la répression qui a commencé en 1901, même s’il y avait une République, mais celui de l’histoire de la souveraineté nationale et de la dignité de la vie humaine qui s’est amorcé en janvier 1959.

Nul doute que le socialisme cubain doit se radicaliser, et le faire en visant l’approfondissement de l’équité sociale et l’amélioration des mécanismes de participation politique, mais il doit créer ses propres formes pour y parvenir. Il est vrai que dans cette tentative, il y a des exemples vers où se tourner, mais ce ne sont pas ceux des démocraties libérales. Les mouvements de gauche anticapitalistes en Amérique latine, par exemple, font beaucoup en ce sens, pourquoi ne pas regarder vers eux, alors qu’eux regardent vers Cuba.

« Progressisme », influenceurs cubains et capital intellectuel rentable

L’impérialisme, qui a été très habile dans ce domaine précis de la culture, a tenté de semer la confusion, de s’approprier la terminologie de la gauche, de faire pression sur les vanités les plus vulnérables et les tempéraments les plus complaisants, d’acheter des comportements avec une autre monnaie (bourses d’étude, voyages, succès, possibilités de publication, etc) qui ne soit pas le dollar sonnant et trébuchant.

Mario Benedetti
Cahier cubain.

Au sein du « progressisme » à Cuba et grâce à sa présence dans les médias numériques et les réseaux sociaux, certaines voix se configurent progressivement comme des « influenceurs ». L’arrivée à Cuba des réseaux sociaux n’a pas seulement permis l’émergence des youtubers cubains, qui gagnent de plus en plus d’abonnés, pour la plupart en donnant des nouvelles, des spécificités et des attraits de l’île, pour un public assez divers, à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba. Dans le monde universitaire, certains ont vu également dans le phénomène des réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter, les blogues et certains médias numériques, l’occasion de se positionner, de gagner en visibilité et d’accumuler un capital intellectuel rentable. Il n’y aurait rien de négatif si, pour ce faire, ils n’exploitaient pas les problèmes sociaux et les causes sociales comme carte de visite. Ils se comportent comme une sorte d’influenceurs universitaires.

En général, les influenceurs numériques sont un phénomène qui a gagné en présence et en force au cours des dernières décennies en raison de l’irruption de l’Internet en tant que réseau des réseaux dans tous les scénarios de la vie quotidienne et du changement de modèle de consommation des médias vers las appareils mobiles. En général, il s’agit de jeunes qui gagnent en présence et en notoriété sur les réseaux, en abordant un sujet spécifique, jusqu’à devenir une référence, marquer un style et avoir un pouvoir d’influence considérable. Certains influenceurs deviennent des célébrités et ont des millions d’adeptes. Il est clair que d’importants capitaux de pouvoir économique et politique se déplacent derrière ce nouveau scénario d’influence médiatique.

Dans la même optique, les influenceurs universitaires sont ces chercheurs, enseignants ou spécialistes qui gagnent en popularité grâce aux environnements numériques dans lesquels ils transmettent leurs connaissances et leurs points de vue sur certains sujets, en devenant des leaders d’opinion capables d’influencer la façon de penser des secteurs qui les suivent et d’être un support dans la promotion de certains récits. Qu’est-ce qui distingue les influenceurs universitaires cubains.

Premièrement, ils choisissent et se spécialisent dans un sujet qui peut être lié à la vie sociale à Cuba et qui est bien coté dans les médias, à la mode ou facilement vendable. Cet aspect favorise l’application des mêmes critères que ceux utilisés dans d’autres réalités pour juger la société cubaine, d’une manière décontextualisée et en accord avec les récits en vogue. Quels sont ces thèmes ? Des sujets autour desquels les universités, les fondations, les organisations de la société civile, gouvernementales ou les ONG, y compris des groupes de pouvoir politique extérieurs, investissent des capitaux, allouent des ressources, financent des projets, des événements, des congrès, des salaires pour des chercheurs, des conférences, des publications, etc. Un aspect important : ces questions doivent pouvoir être présentées comme des « causes sociales », éveiller une forte émotion chez le grand public et, en même temps, soulever suffisamment de polémiques Les intellectuels qui traitent de ces questions deviennent facilement des défenseurs passionnés de « nobles causes » et sont en contact avec des secteurs de la population cubaine touchés par les problèmes qu’ils abordent. Il s’agit généralement de questions relatives aux droits de l’homme qui figurent à l’ordre du jour de grandes organisations internationales et des centres du pouvoir politique et médiatique.

Deuxièmement, ils sont à la recherche des dernières données, des événements ou des faits les plus récents sur lesquels ils peuvent écrire des articles d’opinion, en faisant appel plutôt qu’à l’analyse critique rigoureuse (c’est-à-dire systémique et structurelle), aux ressorts émotionnels des lecteurs. Se présentant comme des intellectuels critiques ou « de gauche », ils apparaissent auréolés du discours « progressiste » postmoderne. Ils affichent des principes formels qui jouissent de prestige dans les circuits narratifs des démocraties libérales, tels que la société civile, la citoyenneté, les droits de l’homme, la démocratie, etc., de manière abstraite, sans tenir compte des conditions historiques, sociopolitiques et socio-économiques des réalités et des groupes sociaux sur lesquels ils écrivent.

Troisièmement, ils agissent en réseau, c’est-à-dire que leur présence sur les réseaux répond à une stratégie médiatique, à travers laquelle les amis, les collègues et/ou les médias numériques avec lesquels ils collaborent contribuent à en promouvoir une image favorable et à attaquer quiconque émet un jugement critique. Ils justifient le mordant avec lequel ils peuvent s’opposer à des opinions contraires par la gravité des questions qu’ils traitent, sous prétexte de défendre les droits des groupes qu’ils prétendent défendre par leur activité.

En général, ils gèrent les réseaux sociaux de façon professionnelle, afin de gagner en visibilité, de se promouvoir et de se construire un CV virtuel qui pourrait leur permettre d’établir un certain leadership d’opinion. Ils sont même reconnus dans certains contextes comme des voix faisant autorité et des leaders d’opinion sur certaines questions de la réalité cubaine ou comme des « cubanologues ».

Quatrièmement, le capital intellectuel qu’ils accumulent est rentable et c’est pourquoi nous les verrons voyager à travers le monde en tant que porte-parole des « nobles causes », lors de séjours universitaires, des échanges, des collaborations avec des fondations, des universités prestigieuses, notamment dans des pays comme les États-Unis, certains pays d’Amérique latine ou d’Europe ; ils bénéficient de bourses, sont invités dans certains milieux universitaires dotés d’un grand capital intellectuel, culturel, économique et politique.

Cinquièmement, le bénéfice de ces alliances avec certains centres de pouvoir est réciproque. En même temps qu’ils utilisent ces alliances pour s’implanter sur la scène universitaire et médiatique internationale, ce qui peut être interprété comme une accumulation de capital intellectuel et politique très rentable, ces organisations en tirent profit en les utilisant comme carte de présentation de leurs récits et de l’ordre de rationalité hégémonique qu’elles veulent soutenir. Ce sont leurs « ambassadeurs de bonne volonté ». En définitive, leurs récits sont suffisamment critiques pour être attrayants et suffisamment conservateurs pour ne pas représenter un danger pour le statu quo bourgeois.

C’est ainsi que le « progressisme » cubain enflamme de plus en plus les réseaux, qui deviennent des voix autorisées à parler de Cuba dans le troisième environnement, et tandis qu’ils accumulent des « j’aime », ils finissent par être de plus en plus des influenceurs ; ils voyagent de plus en plus vers le Nord, accumulent un précieux capital intellectuel et politique qui, collatéralement, devient rentable, tandis que les causes sociales et un projet de nation dont dépendent des millions de Cubains servent de tremplin à leur gloire

Pensée critique et socialisme à Cuba

Et si la contradiction entre démocratie formelle et démocratie réelle est insurmontable dans le cadre du système social actuel, même si elle être atténuée, il s’agit alors de dépasser le système lui-même, et ce dépassement porte un nom : le socialisme. C’est pourquoi la lutte pour la démocratie, lorsqu’elle est cohérente en tant que processus d’élargissement et d’approfondissement, est indissociable de la lutte pour le socialisme.

Adolfo Sánchez Vázquez
Entre la réalité et l’utopie. Essais sur la politique morale et le socialisme.

Le socialisme à Cuba trouve les bases de sa démocratie dans la révolution populaire qui se nourrit de l’une des expressions les plus radicales de la pensée critique de l’Histoire, le marxisme, qui dans son courant transformateur fixe des objectifs beaucoup plus profonds que ceux qui se discutent dans les espaces « alternatifs » du « progressisme » à Cuba, à savoir qu’il va au-delà d’une critique formelle de l’exercice du pouvoir politique dans le cadre des sociétés bourgeoises.

Il propose d’éliminer, comme point de départ pour mettre fin aux formes antidémocratiques de l’exercice du pouvoir politique, les relations sociales d’exploitation qui soutiennent la société capitaliste divisée en classes. C’est l’un des principes les plus radicaux et peut-être contient-il également l’une des critiques les plus virulentes du marxisme à l’égard de la pensée libérale. C’est aussi de là que la Révolution cubaine lance l’un des plus grands défis aux démocraties libérales : la possibilité de construire un véritable pouvoir populaire basé sur un autre type de relations sociales comme fondement d’une véritable démocratie.

Alors que les relations de domination maintenues dans l’exploitation du travail déterminent les relations sociales dans leur ensemble, il n’y a aucune possibilité de consolider une authentique démocratie à partir du pouvoir politique, car elle sera toujours limitée par les intérêts exclusifs de la classe économique dominante, et non par le bien commun comme principe fondamental du peuple devenu pouvoir.

En ce sens, la société cubaine en transition socialiste se situe à l’avant-garde de la construction d’une authentique démocratie, puisqu’elle a d’abord conquis la liberté nécessaire pour construire et, le cas échéant, rectifier, à partir de son expérience historique, ses propres référents qui lui permettront d’améliorer les pratiques démocratiques à partir de l’exercice du pouvoir populaire, toujours susceptible d’être perfectionné, à mesure que le pouvoir politique approfondira sa socialisation dans le processus révolutionnaire. Même si les défis à relever dans ce domaine et les limitations à surmonter restent encore nombreux.

Le démantèlement des relations d’exploitation du travail, ainsi que la socialisation des moyens fondamentaux de production sont un point de départ incontournable pour la construction de la démocratie. Ils représentent, en premier lieu, la possibilité de dépasser une démocratie formelle qui sert une minorité pour permettre l’émergence d’une véritable démocratie au service de la majorité. En ce sens, socialisme et démocratie sont des concepts interdépendants.

Le débat sur la démocratie à Cuba ne saurait être réduit à des termes abstraits tels que le « progressisme » le prétend. Au contraire, il doit prendre pour plate-forme deux questions fondamentales : la continuité du socialisme révolutionnaire cubain, qui est en même temps sa garantie, et les conditions historiques et sociales dans lesquelles il doit se défendre. Ce n’est qu’à la lumière de ces deux questions clés que peuvent aussi être discutés avec rigueur certains droits et libertés, leur viabilité et les conditions de possibilité qui délimiteront les marges de leur réalisation.

Dans la Révolution cubaine, il n’y a pas d’option pour revenir à des étapes précédentes, caractérisées par l’accumulation de richesses entre les mains d’une classe qui utilise le pouvoir politique, comme cela se produit dans la plupart des pays capitalistes du monde.

En ce sens, l’approche du gouvernement révolutionnaire sur le fait qu’il ne peut y avoir de place à Cuba que pour la continuité et l’approfondissement du socialisme dans un processus au caractère irréversible est tout à fait claire. C’est à partir de la cohérence avec les principes solides de la Révolution socialiste cubaine, et non à partir de la pensée libérale bourgeoise, qu’une nouvelle société peut continuer à être créée. C’est à partir de la continuité que la démocratie socialiste peut être approfondie, à partir de la lutte radicale contre les relations d’exploitation, de la lutte sans relâche pour la justice sociale, l’amélioration des mécanismes de participation politique du peuple, le perfectionnement des organisations de formation idéologique et politique de base, le combat contre les écarts sociaux existants dans un contexte économique défavorable, la mise en place des mécanismes nécessaires pour éviter l’accumulation des richesses et garantir une répartition de plus en plus équitable ; la sauvegarde des droits sociaux effectifs ; l’approfondissement du rôle des travailleurs dans l’organisation de l’économie locale et nationale, ainsi que la promotion de nouvelles formes socialistes d’organisation de la production qui élargissent la portée de la participation démocratique dans la prise de décision dans chaque espace de la société, à savoir l’optimisation des différents mécanismes de socialisation du pouvoir politique que la Révolution exige. Toutes ces activités impliquent le rôle et la participation directe du peuple à la vie politique à travers la prise de décision aussi bien au niveau local que national, représentant en même temps la continuité du processus révolutionnaire, l’approfondissement du socialisme et le perfectionnement de sa démocratie. Pour ces tâches, il n’existe pas de formules, la révolution socialiste est une œuvre de création propre et unique qui, dans le contexte mondial actuel, fait face à de multiples obstacles. Elle est aussi l’espoir d’un monde meilleur pour tous, ce qui est déjà, en partie, une réalité à Cuba.

Certains intellectuels cubains « progressistes » prétendent qu’ils sont critiqués à partir de positions extrémistes, radicales et orthodoxes afin de discréditer la dissidence, la diversité et la pluralité. Ils oublient que ce n’est qu’au sein de la Révolution socialiste que la diversité à Cuba a pu s’exprimer véritablement, car les formes de domination qui, dans d’autres parties du monde, suppriment historiquement la dissidence et la différence par la violence ont été surmontées. Et c’est précisément aussi le libre exercice de la pensée critique à partir de la Révolution qui permet de revendiquer le socialisme cubain et de dénoncer la manipulation médiatique des courants intellectuels « progressistes » à Cuba.

Il n’est pas si difficile de démasquer la pensée conservatrice derrière la rhétorique « progressiste ». Il suffit d’identifier l’idéologie derrière le regard. Pour cela, il est important de reconnaître non seulement d’où on regarde, mais aussi vers où on regarde.

Ceux qui regardent vers le haut et surtout vers la droite, comme l’est le spectre étroit de la pensée conservatrice, dans leur recherche fébrile du « progrès » dans les modèles des institutions bourgeoises, avec leurs libertés relatives et leurs droits formels, ne trouveront en réalité que les diktats des puissants du monde qui administrent le système et ne se lassent jamais de tenter d’imposer à Cuba un passé indésirable dans le cauchemar actuel auquel le système capitaliste condamne le monde entier.

Ceux qui regardent vers le bas et vers la gauche verront dans leur vaste spectre l’effort insensé pour créer quelque chose de différent, les rêves des peuples, c’est-à-dire les luttes pour un monde où il y aura de la place pour de nombreux mondes. Ils estimeront la valeur de leurs réussites et de leurs défis, les leçons enseignées par la voie de la résistance ; ils seront capables de reconnaître le défi triomphant que représente la Révolution cubaine face au pouvoir mondial hégémonique, son sens et sa transcendance. Mais, surtout, ils pourront comprendre que la Révolution ne navigue pas seule, qu’elle est accompagnée dans sa volonté de créer de meilleures formes de coexistence dans le monde par l’immense marée de la gauche anticapitaliste mondiale. Ils trouveront aussi solidarité et réciprocité pour tout ce que la Révolution a donné à ces luttes par sa seule existence et sa cohérence ; ils reconnaîtront les colères contre l’injustice, y compris dans les coins les plus reculés du monde, où ils pourront aussi voir la résistance face à la destruction, la rébellion face à la domination et, surtout, la dignité.

Cuba est plus que le long caïman vert des Caraïbes. C’est un point de référence dont l’expérience sera vitale pour les peuples qui luttent, surtout en ces temps d’obscurantisme où l’on vit aujourd’hui et qui se poursuivront encore pendant un certain temps. Contre les agendas et les géographies de la destruction, il y a à Cuba un agenda et une géographie de l’espoir.

Sous-commandant Insurgente Marcos
Ni le Centre ni la Périphérie.

Karima OLIVA et Vibani B. JIMENEZ

Traduction Gloria González Justo

(1) Il faut entendre le progressisme à Cuba dans cet essai comme un courant de pensée qui réfléchit sur le présent et sur l’avenir de l’île. Ses représentants se présentent comme une conscience critique de la société cubaine ; ils revendiquent certains droits civils en utilisant comme référent le modèle libéral de l’institutionnalité juridique et politique des sociétés capitalistes, tout en jugeant et en discréditant le socialisme cubain.

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