RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Réformes sociales : le dilemme du prisonnier

La théorie des jeux est une branche des mathématiques à la base de nombreux principes politiques, économiques, sociologiques. En son sein, le Théorème du Prisonnier trouve nombre d'applications pratiques ... jusqu'aux problèmes sociaux actuels.

Le dilemme du prisonnier est une théorie énoncée par Albert W. Tucker à Princeton en 1950. Tucker suppose deux prisonniers (complices d’un crime) retenus dans des cellules séparées et ne pouvant communiquer. On leur propose alors le choix suivant :
- si les deux se taisent (aucun ne dénonce l’autre), les deux font un an de prison.
- si les deux se dénoncent mutuellement, chacun est condamné à 5 ans de prison.
- si l’un dénonce l’autre et que l’autre se tait, le premier est libre tandis que le second écope de 10 ans de prison.

Le choix optimal pour les deux prisonniers est qu’ils se taisent (ils font dans ce cas tous deux un an de prison). Pourtant, les deux choisissent généralement de dénoncer.

L’explication tient en fait à une approche individuelle de la situation, chaque prisonnier raisonnant à partir des deux réactions possibles de son complice :
- soit ce dernier dénonce ... j’ai alors intérêt à dénoncer aussi (pour faire 5 ans de prison au lieu de 10)
- soit il ne dénonce pas ... et j’ai quand même intérêt à dénoncer (pour être libre au lieu de faire un an de prison)

Pierre angulaire dans le domaine de la théorie des jeux (mathématiques), le dilemme du prisonnier trouve nombre d’applications pratiques dans les domaines de l’économie, la politique internationale, la sociologie ...

En économie par exemple, dans la lutte contre les ententes illicites (entreprises qui s’entendent sur les prix ...), la mise en place de procédures de clémence (la première entreprise qui dénonce le cartel est exonérée de peine) est une application directe du dilemme du prisonnier. Au niveau international, la difficile mise en place/coordination de politiques nationales sur les questions environnementales, fiscales, de désarmement ... (peur de perdre un avantage compétitif sur les autres pays ...) est également une illustration pratique de ce dilemme.

En réalité, on retrouve le dilemme du prisonnier dans nombre de situations de la vie politique et sociale et l’actualité du moment en donne une bonne illustration.

Prenons le projet de réforme des retraites. 70 % des français n’en veulent pas et 90 % des actifs (les premiers concernés, excusez du peu) la rejettent catégoriquement. Et pour cause ! Une réforme qui, de par son injustice (faire les poches du petit peuple pendant qu’on goinfre le monde du capital) et le fait qu’elle s’inscrive dans une succession de réformes du même type (Woerth, Touraine, Borne ... à quand la prochaine ?), fait craindre une diminution progressive des retraites, voire à terme, une disparition pure et simple du système de retraites actuel.

Il y a fort à parier que si l’ensemble des travailleurs concernés décidaient, tous ensemble, de se mettre en grève, le gouvernement ne tiendrait pas longtemps. Comme on l’a vu pendant la période Covid, nombre de métiers mal payés, peu considérés (dans les transports, l’énergie ...) s’avèrent (en cas de crise) indispensables pour faire tourner le pays.

Attention, il ne s’agit pas ici de tenir un discours sectaire ou moralisateur : chacun a ses impératifs, contraintes ou problèmes et certains n’ont tout simplement pas les moyens de faire grève. Par contre, il s’agit de remarquer que parmi les "anti-réforme", beaucoup choisissent de ne pas participer au mouvement alors qu’ils pourraient le faire ...

"Ca sert à rien", "Le gouvernement s’en fout", "mon métier n’est pas stratégique", "on va perdre une journée pour rien", "pour que ce soit utile, il faudrait vraiment que tout le monde s’y mette" (sous-entendu "les autres d’abord"), "les syndicats roulent pour eux", "comme à chaque fois, c’est le gouvernement qui va gagner", etc. Moralité : parmi les "anti-réforme" (dont certains parfois très virulents à l’égard de l’actuel gouvernement), seule une petite minorité choisit de participer (d’une manière ou d’une autre) à la grève.

Derrière ces excuses plus ou moins sincères, une peur de perdre "quelque chose" (ou de perdre quelque chose par rapport aux autres) : une journée de salaire, une (demi-journée de congé, du temps (dans les manifs), l’estime de la hiérarchie, un déclassement ("d’autres auront la promo à ma place") avec en trame de fond l’idée que, tout le monde ne jouant pas le jeu (ou pouvant de ne pas jouer le jeu), autant ne pas le jouer non plus (et éviter ainsi d’être le "dindon de la farce").

Certes, on pourrait avancer que la notion d’incertitude dans le dilemme (les prisonniers ne peuvent pas communiquer) est ici absente puisque les travailleurs ont tout le loisir de communiquer (de se regrouper, s’organiser ...). C’est en parti vrai et certaines formes d’union populaire (l’union syndicale notamment) constituent heureusement un contrepoids important à certaines politiques libérales.

Mais la capacité d’entente à l’échelle de deux individus n’a rien à voir avec celle d’un peuple (d’une nation) où la notion d’incertitude (que vont faire des millions d’autres individus ?) s’apparente finalement à celle du prisonnier (isolé). Nos gouvernants l’ont bien compris qui savent manier le "diviser pour mieux régner" pour cloisonner la base et casser les luttes : les français (de souche) contre les étrangers, le public contre le privé, les travailleurs contre les fainéants, les citoyens respectueux contre les bloqueurs (preneurs d’otages) ...

Il est à ce propos intéressant d’observer, à la veille de grands mouvements sociaux, le gouvernement dévoiler lui-même ses inquiétudes. Ainsi tous ces ministres qui répètent à l’envi qu"ils respectent le droit de grève, inscrit dans la constitution, tout à fait normal ... mais qu’il ne faut surtout pas bloquer le pays ..." Comme s’ils reconnaissaient eux-même qu’ils considèrent les grèves (manifs) comme une sorte de folklore (carnaval) éphémère et inoffensif (auquel ils ne se donnent même pas la peine de répondre d’ailleurs), mais qu’un mouvement de grande ampleur (avec blocage, dans la durée ...) pourrait réellement changer la donne.

L’union fait la force dit le proverbe. Et la résignation du peuple la meilleure arme du gouvernement pour lui permettre de détricoter un à un l’ensemble des droits sociaux obtenus par nos ancêtres. Pendant que l’État se soumet aux banques (plus de 3 000 milliards de dette) et se désengage de ses missions régaliennes (école, santé ...), pendant que la société s’uberise et que des cabinets de conseil privés décident de la politique à mener dans le pays, il est peut-être bon de se poser la question : jusqu’où allons-nous aller ?

Dans la nature, le gnou se dit qu’il n’a pas besoin de courir plus vite que le lion : il a juste besoin de courir plus vite que le plus lent de son troupeau. Il sauve ainsi sa vie une fois, deux fois, n fois ... jusqu’au jour ou il se fait bouffer lui aussi. S’ils décidaient de faire bloc, (ce qui arrive parfois), les gnous arriveraient sûrement à mettre en fuite (voire en danger avec leurs cornes ...), le lion qui les poursuit.

Nous ne sommes pas des gnous. Nous avons la possibilité de penser (la société que nous voulons), nous coordonner, agir. Nous avons aussi la capacité de comprendre que l’acceptation d’une énième réforme (paramétrique) fait aussi office d’acceptation (du moins d’encouragement) pour la n+1-ième. Et que seul un mouvement social de grande ampleur, c’est à dire avec l’effort de tous, permettrait de peser dans le rapport de force. Ça ne sert à rien de râler, seuls les actes comptent. Bref, tous dans la rue le 7 mars.

URL de cet article 38549
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Venezuela – Chronique d’une déstabilisation
Maurice LEMOINE
A la mort de Chávez, et afin de neutraliser définitivement la « révolution bolivarienne », les secteurs radicaux de l’opposition ont entrepris d’empêcher à n’importe quel prix son successeur Maduro, bien qu’élu démocratiquement, de consolider son pouvoir. Se référant de façon subliminale aux « révolutions de couleur », jouissant d’un fort appui international, ils ont lancé de violentes offensives de guérilla urbaine en 2014 et 2017 (45 et 125 morts), dont une partie importante des victimes, contrairement à ce (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.