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Retraites des avocats : malgré des critiques acerbes, le Conseil d’État valide la réforme

Dalloz Actualité

Le Conseil d’État a publié vendredi 24 janvier un avis de 60 pages sur les projets de loi de réforme des retraites et son étude d’impact de 1 029 pages. Il publie des réserves sévères en forme d’avertissement mais valide globalement les projets de loi, notamment en ce qui concerne les avocats. Le Conseil national des barreaux a voté, samedi 25, le maintien de la grève.

Les vingt premières pages de l’avis émettent des critiques sur la méthode employée par le gouvernement. Il étrille aussi une étude d’impact qui, malgré son millier de pages, « est insuffisante », alors même qu’une deuxième copie avait été demandée à l’exécutif tant étaient indigentes « les projections financières de la mise en œuvre de la réforme, indispensables pour apprécier la nécessité et la pertinence des mesures ». Ces projections restent au final « lacunaires », l’étude d’impact étant toujours « en deçà de ce qu’elle devrait être » pour pouvoir « éclairer » les députés et les sénateurs. Bref, le gouvernement doit revoir sa copie « avant le dépôt de la loi au parlement », soit... vendredi dernier.

Si la juridiction administrative salue « la procédure approfondie de concertation », « novatrice » et « fructueuse », elle tacle la saisine tardive de certains intéressés et craint un « examen en urgence » d’un texte « d’une grande ampleur ». Tout aussi grave, avec des délais contraints, la possibilité de prendre en compte les avis des uns et des autres est « extrêmement réduite ». En trois semaines, le Conseil d’État lui-même estime qu’il n’a pu mener sa mission « avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen ».

Que dire du recours à vingt-neuf ordonnances sur une quarantaine de questions ? C’est un risque pour le Conseil d’État, la réforme perdra en « visibilité d’ensemble » pour l’appréciation des conséquences qu’elle induit et comment juger correctement de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ?

Et puis, un système universel de retraite, vraiment ? Certes, estime l’avis, la réforme met en place « un système universel » par points, mais à l’intérieur de ce « système » cohabitent cinq régimes – « créés ou maintenus » –, à l’intérieur desquels existent des règles dérogatoires, avec quelques caisses distinctes. Cela ne pose pas de difficultés « au plan juridique » mais « les régimes d’assurance-vieillesse voient leur consistance réduite à leur plus simple expression, celle du rattachement juridique que constitue l’affiliation des assurés ».

Un niveau de normes pour les avocats « adéquat »

Concernant le rattachement des avocats à la branche retraite du régime général, le Conseil d’État – qui fait référence aux travailleurs indépendants sans distinction, le mot « avocat » ne trouvant que deux occurrences dans le rapport – estime que « le niveau de normes retenu pour définir l’affiliation de chaque catégorie d’assurés est adéquat » (p. 16). Le projet de loi est validé pour les avocats.

L’étude d’impact de Matignon, qui d’emblée tente de déminer les revendications des avocats (p. 454 s.), qui se battent depuis plusieurs semaines contre la hausse annoncée de leurs cotisations avec une baisse de leurs pensions. Le système universel, écrit le gouvernement, « conduit en apparence à devoir fortement augmenter les cotisations dues par les avocats. Cette hausse, qui ne concerne pas tous les avocats, doit néanmoins être relativisée » en raison d’une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) et des cotisations hors assurance-vieillesse, d’une augmentation des taux du régime complémentaire d’ici 2029 déjà prévues par la caisse des avocats (la CNBF), et puis, rappelle l’étude, le projet de loi prévoit que des tiers pourront prendre en charge une partie des cotisations des travailleurs indépendants. « La profession pourra ainsi concevoir un dispositif de solidarité permettant aux avocats aux revenus les plus élevés de contribuer à la couverture d’assurance de leurs confrères aux revenus plus faibles. »

Résultat, « au terme d’une période de convergence s’étalant jusqu’en 2040, l’application des taux de cotisation du système universel de retraites (et de la réforme de l’assiette sociale) se traduirait par une hausse des cotisations pour les avocats dont les revenus se situent entre 50 % et 190 % du PASS [plafond annuel de la sécurité sociale, ndlr], soit un peu moins de la moitié de la profession. Au maximum, la hausse de cotisation serait égale à 30 % des cotisations d’assurance-vieillesse calculées selon le barème 2040 de la CNBF et concernerait les avocats dont le revenu est égal au PASS ». Le gouvernement table sur la réforme de l’assiette sociale pour démontrer que l’avocat, selon les cas, paiera au final moins que ce qu’il devrait acquitter sans réforme.

Parmi les simulations présentées dans le document, certaines ont fait sourire les avocats. Ainsi peut-on y lire : « pour chaque carrière, le revenu est supposé augmenter chaque année comme le salaire moyen par tête, c’est-à-dire de 3,05 % ». Un avocat s’esclaffe : « Là, je me dis que j’ai dû rater quelque chose dans ce métier ». Autre exemple : « En bas de la page 454, explique un membre du CNB, il est indiqué que la hausse des cotisations affectera les revenus situés en dessous de 190 % du PASS (c’est-à-dire 78 000[ESPACE€]), soit “un peu moins de la moitié de la profession”. Or le revenu médian de la profession est de 43 000 €, c’est-à-dire que 50 % des avocats gagnent moins. Il est donc inexact de dire qu’une mesure qui affecte les revenus inférieurs à 78 000 € ne concerne que la moitié de la profession ! Manifestement, la Chancellerie confond le revenu médian (43 000 €) avec le revenu moyen (77 000 €)... »

Le Conseil national des barreaux a voté, samedi 25 janvier, à l’unanimité, la poursuite du mouvement et a appelé tous les avocats à se joindre à la manifestation nationale prévue lundi 3 février, jour de l’ouverture de l’examen des deux projets de loi par l’Assemblée nationale. Les instances de la profession seront reçues une deuxième fois par Matignon le 2 février.

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COMMENTAIRES  

30/01/2020 12:05 par Assimbonanga

Pour créer un rapport de force, il faut que beaucoup de forces convergent afin de faire levier. Peut-être que la révolution à Cuba n’a pu fédérer que parce que le dictateur n’avait préservé personne et que tout le monde était réduit à la misère, dans toutes les professions et catégories de la population...
Bref, la force des avocats qui s’ajoute à la révolte globale, c’est important, utile.
Je soumets à la sagacité de tous cette vidéo assez surprenante, sise sur le site QG, nouveau média youtube. Maxime Nicolle, Gilet-Jaune, bombardé journaliste de plateau, interroge un avocat. Quartier Jaune – Maxime Nicolle « Balance ta robe » (Lien rejeté par le formulaire électronique du grand soir.)
Je garde mes commentaires à ce sujet pour plus tard...

31/01/2020 00:57 par Danael

Un avocat parle des revendications et de la réalité de sa profession dans l’entrevue dont parle Assimbonanga. Cela vaut le coup de mettre le lien pour l’écouter car il y a pas mal de préjugés qui circulent sur cette profession aussi, comme sur celle des cheminots.
https://qg.media/programme/quartier-jaune/#

01/02/2020 16:55 par Assimbonanga

Merci pour le lien @Danaël. Je ne comprends pas pourquoi je n’arrive plus à insérer des liens.
Oui, il faut écouter attentivement cette interviouve. Et de façon critique. Il est malin le gars, Avi Bitton, du Conseil de l’Ordre des avocats, du Conseil national des Barreaux, du syndicat Manifeste des Avocats Collaborateurs. Bravo l’artiste. A certains égards, il me fait penser aux ploucs. Certains de ses arguments sont spécieux. Fly-Rider n’y voit que du feu. Mais... je vous laisse seuls juges !
Et puis, nous avons besoin de ces alliés de circonstance !

03/02/2020 23:09 par Danael

Je constate que l’esprit versaillais est toujours en bonne santé pour se faufiler partout !

04/02/2020 12:07 par Assimbonanga

Tss, tss, tss. Les professions libérales prétendent qu’elles ont été exclues du régime général en 1945. Hum, pardon, mais je crois plutôt que c’est elles qui n’ont pas voulu y adhérer, comme les ploucs d’ailleurs.
Vidéo sur RTFrance, titre : Réforme des retraites : « On est en face d’un hold-up en col blanc » selon Jérôme Marty (Evidemment le lien vers RT est considéré comme un spam par le formulaire électronique, donc je ne peux pas vous le joindre)
Il faut absolument le retrait de cette contre-réforme des retraites mais en attendant, on en aura appris !
Je crois que les cotisations ne sont passez connues des citoyens. On découvre que les salariés génèrent le plus de cotisations. On ne connaît pas assez les taux de cotisations que l’on verse soi-même et encore moins celles versées par les autres corporations. Je crois que savoir lire une fiche de paye doit être au programme de tous les collèges et lycées. Et pour un député, savoir déchiffrer une déclaration de revenu de salarié, d’agriculteur, de profession libérale devrait constituer son premier devoir de formation afin de ne pas se laisser manipuler par les larmes des crocodiles.

05/02/2020 10:54 par Danael

@Assimbonanga
Et si on partait du présent ? Doubler les cotisations pour faire couler ces professions et les rendre encore plus inaccessibles au public ? Organiser une sécu par point pour contenter les caisses vautours du capital , perspective tout à fait catastrophique vu la prochaine grande crise financière qui s’en vient ? Partir de ce présent pour forcer la réflexion sur ce système convient bien plus à mon avis pour envisager un autre futur plutôt que de pointer du doigt les uns et les autres qui n’ont rien compris à Ambroise Croizat dès le début ( ça , je vous l’accorde). Les protestations de différents secteurs de la société concernés par cette réforme est peut-être aussi une occasion de rencontres et d’idées échangées dans l’urgence qui portera fruit tôt ou tard, je l’espère. De toute façon plus rien n’est soutenable.

05/02/2020 11:47 par Assimbonanga

@danaël, tu fais bien de dire : "c’est peut-être aussi une occasion de rencontres et d’idées échangées dans l’urgence qui portera fruit tôt ou tard, je l’espère."
Je l’espère aussi. Je pense qu’il faut retirer ce projet. Mais que nous avons appris beaucoup de choses au passage.
Les professions libérales ne sont pas assujetties aux mêmes règles que les professions salariées. Une infirmière d’hôpital n’a pas le même statut qu’une infirmière libérale. Macron, dans son immense impréparation, a voulu tout défoncer à coups de massue.
Désormais, ne pourrait-on réfléchir à des mesures plus nuancées ? Pourquoi mettre tout le monde à 28 % ? Et pourquoi pas trouver un chiffre intermédiaire ?
Et Macron, dans son immense génie de patron pâtissier de préfecture, a voulu nous asséner que les cheminots étaient les privilégiés, étaient un régime spécial. On s’aperçoit que le régime spécial est plutôt celui des indépendants... Et celui des ploucs est encore plus spécial, où le conjoint-collaborateur acquiert des trimestres sans payer de cotisations, et le chef d’exploitation verse des cotisations dérisoires. Va-t-on pour autant relever leur taux de cotisation ? J’ai pas l’impression. Raison de plus pour retirer le projet de loi.
Les indépendants ont malgré tout bien des soucis, selon qu’ils sont en bas ou en haut de l’échelle des revenus. Pourquoi ne pas faire des cotisations, impôts sur les sociétés, progressifs ? Comme c’est déjà le cas pour les impôts sur le revenu ? Il y a beaucoup à réfléchir avant de se lancer dans une réforme "universelle" !!!
As-tu noté au passage que, pour ce roublard de Avi Bitton, les cotisations sociales sont des charges ?

09/02/2020 11:25 par Assimbonanga

Là où je me dis que Macron est complètement givré, c’est quand je vois qu’il s’attaque à ceux qui ont voté pour lui, les avocats... Bon enfin, laissons macérer ! Il en sortira bien quelque chose, au moins un peu de savoir supplémentaire. Les avocats acquérant de la conscience politique, quelle bonne initiative ! Ça fera le tri évidemment mais il en ressortira quelques progrès pour certains.
Notice : pas croire que les avocats ne plaident que de grands dossiers d’assise ni ne défendent que la veuve et l’orphelin. La plupart sont au service du monde des affaires, y compris louches. Leur pragmatisme les tient fort éloignés de l’idéal socialiste !!! Icône je ris.

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