Dans ce pays, tous les ans avons-nous droit à une nouvelle affaire du voile. Apres l’affaire de la crèche Baby-Loup, celle du refus exprimé par certains aux mères voilées voulant accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, les vœux exprimés par une ancienne ministre en exercice d’interdire le voile à l’université, les hallucinant arrêtés anti-burkini qui ont défrayé la chronique en aout 2017, et la polémique née du fait qu’une jeune femme voilée faisait partie des représentants élus d’un syndicat étudiant, voici qu’arrive l’heure du hijab sportif de Décathlon.
Ne nous voilons pas la face. Cette succession effrénée, égrenant la montée en puissance des logiques identitaires, indique clairement que nous avons, dans cette société, à faire face à un grave problème. Que ce problème est grandissant. Qu’il menace à terme la paix civile à force de pilonner nos esprits de constats prétendument alarmants par médias et réseaux sociaux interposés. Qu’il nous impose enfin de nous dire que, contrairement aux prédictions d’un Francis Fukuyama nous annonçant la Fin de l’Histoire, nous nous dirigeons tout droit vers des inédites tempêtes culturelles qui redessineront, malheureusement à l’aide du rouge vif du sang qui coule, la carte de notre pays.
Pour cette fois, au lieu de nous engouffrer de plain-pied dans la polémique, autorisons-nous un écart de dignité, en suivant la logique du salutaire appel lancé par l’humoriste Yassine Bellatar.
Il est en effet temps de nous ressaisir. De clamer haut et fort l’amour de la paix et du respect mutuel. De défendre coûte que coûte la sauvegarde de la vie de nos enfants et de nos proches.
Nous sommes toutefois cernés de toute part. Et ce combat se joue non pas principalement contre de dangereux groupements idéologiques qu’il faut bien sûr affronter, mais contre nous-mêmes et nos inclinaisons. Ne cédons pas à la tentation de nous avilir en succombant à la haine. Soyons au contraire les défenseurs de la vérité, même quand elle fait mal, car celle-ci paie, à la longue, de revenus autrement plus importants que des gains psychologiques immédiats et court-termistes. Le culte de celle-ci permettra de rehausser le niveau de notre débat collectif, puisqu’il n’est pas faux d’affirmer, avec Natasha Polony, que les frictions au sujet du voile ne font que lever le voile sur les choix de civilisation qui, progressivement, se dévoileront à l’avenir.
Quoique puissent en dire tel ou tel intervenant sur la scène publique, nous sommes tous, sans distinction de race ou de religion, les enfants de la République française. Nous parlons, pensons et rêvons en français. Nous aimons et haïssons dans cette langue. Nous réfléchissons à l’aide de son vocabulaire et, en reprenant le titre d’un ouvrage de l’historien du temps long Fernand Braudel, nous teintons la civilisation française, à laquelle notre génération, d’où que nous soyons, fait indéniablement partie, d’une nuance grammaticale de plus.
C’est donc principalement à ce titre que nous devons vivre et mourir. Débattre et agir. Affronter l’adversaire ou nous écharper nous-mêmes. Bref, développer dans nos esprits l’amour du pays qui nous a vu naitre et que nous changeons continuellement, sans forcément le vouloir, du simple fait de notre présence sur son sol.
Avant de nous laisser aller à la facilité que constitue l’affrontement violent, rappelons-nous tous qu’un jour, nous avons été des enfants. Souvenons-nous que nous étions à cette époque innocemment statiques dans une sorte de présent-être perpétuel. Nous devions alors voir le monde comme une étoile de mer, posée sur le plancher marin qu’elle ne quitte jamais, perçoit l’océan : un immense univers, bien que mystérieux, insondable et sombre, n’ayant aucune prise sur notre développement futur qu’on supposait harmonieux.
Ne perdons pas ce lien avec cet innocent passé. Seul lui nous permettra de vivre heureux et de rompre le cycle nous menant à la rencontre de ces temps de malheur sur le point d’éclore.
Adel Taamalli