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«  L’Affaire de Hama » ou comment 10.000 manifestants se multiplient en 500.000 dans les dépêches de l’AFP

SYRIE - Mensonges et manipulations

Durant ce mois de juillet 2011, je me suis rendu en Syrie, dans le but d’y vérifier une hypothèse relative aux origines de la contestation.

J’ai pu circuler en toute liberté et indépendance dans tout le pays, de Deraa à Damas et de Damas à Alep, en croisant tout le Djebel druze, au sud, en passant par Homs, Hama, Maarat-an-Nouman, Jisr-al-Shugur, en longeant la frontière turque et en inspectant les points de passage vers la Turquie, par lesquels, comme on sait, les réfugiés ont quitté la Syrie, puis de Alep à Deir-ez-Zor, tout à l’est du pays, en traversant le désert syrien suivant plusieurs itinéraires…

J’ai ainsi pu vérifier que, d’une part, le mouvement issu de la société civile aspirant à la démocratisation du régime s’essouffle et que, d’autre part, il existe d’autres mouvances d’opposition, parfois violentes et dont les objectifs ne sont pas identiques à ceux des démocrates pacifiques.

C’est notamment le cas de la fraction islamiste de la communauté sunnite, organisée autour des Frères musulmans, qui ambitionnent l’instauration d’une république islamique en Syrie, ce qui terrifie les Chrétiens et la plupart des autres minorités, dès lors favorables au statu quo actuel et au parti Baath, garant de la laïcité de l’État.

Mais, outre cette vérification de mon hypothèse, j’ai aussi été confronté, de facto, à une constatation qui m’a stupéfait, alors que je m’attendais à trouver un pays en révolution : l’image de la Syrie qui est proposée dans les médias occidentaux, image d’un pays en en plein chaos régulièrement ébranlé par des manifestations gigantesques rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, ne correspond en aucun cas à la réalité observable sur le terrain.

En effet, déjà minoritaire à l’origine, la contestation démocratique des débuts s’est progressivement étiolée, notamment du fait de la répression exercée par le gouvernement, et se limite aujourd’hui à quelques quartiers périphériques des grandes villes, où se rassemblent épisodiquement quelques centaines de personnes seulement, quelques milliers parfois, le plus souvent le vendredi, à la sortie des mosquées, non sans une certaine influence islamiste, très présente dans ces quartiers défavorisés. Ces manifestations n’ont que peu de conséquence sur le régime.

A côté de ce mouvement démocratique, la contestation se traduit aussi dans l’action de bandes armées, principalement à Homs, en une forme de guérilla urbaine, dont il est bien difficile de déterminer l’origine et les objectifs. Ces jeunes, cagoulés et violents, peu nombreux, ne constituent pas non plus une réelle menace pour le gouvernement.

Par contre, une contestation plus ample se poursuit à Hama, fief des Frères musulmans, la seule ville de Syrie, quasiment en état de siège, où ont encore lieu de grandes manifestations.

Hama avait été le centre d’une violente révolte, en 1982, qui avait été écrasée par Hafez al-Assad, le père de l’actuel président, Bashar al-Assad. Le bilan de la répression avait été estimé entre dix et quarante mille morts.

Lorsque la contestation a commencé, en février dernier, les Frères ont relancé leur mouvement à Hama et le régime, craignant une insurrection similaire à celle de 1982, a directement ouvert le feu contre un mouvement qui, cette fois, s’est révélé, à ce stade, non-violent (à Hama du moins).

Les habitants de Hama ont dès lors fortifié les entrées de la ville, dont l’armée s’est aujourd’hui retirée et qu’elle a encerclée de blindés prêts à intervenir en cas de débordement. Le gouvernement, de toute évidence, a choisi d’éviter le bain de sang, par crainte des réactions de la communauté internationale, et, la contestation s’essoufflant partout ailleurs, a opté pour le pourrissement.

Le vendredi 15 juillet, je suis entré dans Hama, sans être arrêté aux barrages routiers. Dans la ville, déserte, c’est le chaos : voitures et autocars calcinés, gravats, rues fermées par des barricades de fortunes, immondices qui ne sont plus enlevés… L’ordre y est maintenu par des groupes de jeunes en moto qui sillonnent les boulevards.

Très vite, j’ai été entouré par ces jeunes, inquiets de me voir prendre des photographies. Quand j’ai montré mon passeport belge, la situation s’est détendue : «  Belgîcaa !, Belgîcaa ! » ; seul observateur étranger sur place (le régime refuse l’entrée dans le pays aux journalistes), j’ai été encadré par ces jeunes qui m’ont fait toute une fête ; j’ai pu me déplacer parmi les manifestants, puis accéder à un haut immeuble, d’où j’ai pris une série de clichés d’ensemble.

Sur la place Asidi, au bas de la grande avenue al-Alhamein, la prière terminée, des milliers de personnes sont sorties des mosquées et ont déboulé de tous les quartiers de la ville. Au cri de «  Allah akbar », elles ont invectivé le régime. «  Voulez-vous de Bashar ? » ; «  Non ! ». Un long cortège a ensuite fait le tour de la place, déployant un drapeau syrien de plusieurs dizaines de mètres. L’armée n’est pas intervenue ; il n’y a pas eu de violence. J’ai ensuite eu l’occasion de m’entretenir avec ces jeunes, qui m’ont demandé de témoigner de leur mouvement.

Le soir même, rentré dans ma chambre d’hôtel, quelle ne fut pas ma surprise de lire la dépêche de l’AFP, qui annonçait un million de manifestants à travers la Syrie, ce 15 juillet, considéré comme la journée ayant connu la plus forte mobilisation depuis le début de la contestation, dont 500.000 à Hama.

A Hama, ils n’étaient, en réalité, pas 10.000.

Cette «  information » est d’autant plus absurde que la ville de Hama ne compte que 370.000 habitants. D’autres dépêches ont suivi, tout aussi absurdes : 450.000, puis 650.000 manifestants à Deir ez-Zor, une ville de 240.000 habitants. Je m’y suis rendu ; la ville est l’une des plus calmes du pays.

Certes, les chiffres sont toujours différents, d’une source à l’autre ; ils varient parfois très sensiblement ; et les estimations ne sont pas toujours aisées.

Mais, dans ce cas-ci, il ne s’agit plus d’estimations difficiles ou de variantes ; dans ce cas, il s’agit «  d’intox », de désinformation, de propagande. 500.000 manifestants peuvent ébranler le régime ; 10.000 n’ont que peu de conséquence.

Et toutes les «  informations » qui sont diffusées sur la Syrie depuis des mois sont du même ordre.

Comment ces 10.000 manifestants ont-ils pu ainsi miraculeusement se multiplier en 500.000 dans les dépêches de l’AFP ?

La source de l’AFP ? Celle qui revient et revient, systématiquement, depuis des mois, dans tous les médias. Celle qui est devenue, peu à peu, quasiment la seule source sur les événements qui touchent la Syrie. C’est l’Observatoire syrien des droits de l’homme (l’OSDH).

Je me suis immédiatement intéressé à cet OSDH. Il ne m’a pas fallu bien longtemps pour découvrir que, derrière cette étiquette aux apparences honorables, comme peuvent l’être des associations telles qu’Amnesty International ou la Ligue des droits de l’homme, se cache une organisation politique, basée à Londres, dont le président, Rami Abdel Ramane, opposant de longue date au régime baathiste, est très connu en Syrie où l’on sait les rapports étroits qu’il entretient avec les Frères musulmans, dont il serait lui-même membre.

C’est cette même organisation, l’OSDH, qui multiplie les vidéos sur Youtube, montrant des «  dizaines de milliers de manifestants », dans toutes les grandes ville de Syrie, alors que, si l’on examine ces vidéos, on ne peut compter que quelques dizaines de personnes, filmées en plans rapprochés, qui, certes, donnent une impression de masse, mais ne trompent pas l’oeil critique.

Ainsi, depuis plusieurs mois, c’est une réalité imaginaire que les médias diffusent à propos de la Syrie, une réalité revue et corrigée par une source unique sur laquelle personne, semble-t-il, n’a jugé utile de s’interroger.

Cette image d’une Syrie en pleine révolution et d’un parti Baath au bord du gouffre ne correspond en aucun cas à la réalité du terrain, où le pouvoir contrôle la situation et où la contestation s’est considérablement réduite.

Mais, au-delà de cette désinformation relative au cas syrien, il y a plus grave : de manière générale, les leçons de Timisoara, de la Guerre du Golfe ou des événements de Yougoslavie n’ont toujours pas porté. Et les médias, même les plus fiables, continuent de se laisser prendre au piège des dépêches hâtives, sans prendre davantage le temps d’en vérifier ni le contenu, ni l’origine, au risque de servir à leurs lecteurs une réalité virtuelle et de leur construire un monde imaginaire...

Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
(de retour de Syrie)

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