4

Tuer la mémoire et le mythe du CHE pour tuer l’espoir

Nous avions prévu l’opération, mais pas le si joli titre : « Le Che, à mort », un essai de la discrète « chercheuse au CNRS », Mme Marcela Iacub. Pour les classes dominantes et leurs pitbulls médiatiques, il faut en finir avec les résistances, avec « les grands récits » et les mythes porteurs de justice sociale, d’égalité, d’épanouissement de la femme et de l’homme. Le capitalisme, cette « cage invisible » (Che) ne saurait être ni contesté ni dépassé.

Libération a sonné la charge contre ce Che, assassiné le 9 octobre 1967, dont rien ne parvient à écorner l’image fascinante, l’enracinement populaire, la rébellion absolue. Ce Che qui reste un mythe universel, un référent pour la critique du capitalisme, pour les luttes de « los de abajo » (ceux d’en bas). Ce Che obsédé par l’éthique en politique, altruiste, qui éduquait par l’exemple. Ce Che qui fait la nique à tous ceux qui voudraient tuer l’étoile une bonne fois pour toute. Ce Che multiple, dont la pensée et les pratiques militantes, l’héritage, restent encore aujourd’hui un indispensable laboratoire, et dérangent à la fois vraie droite et fausse gauche.

Ce Che, à effacer des mémoires, à criminaliser, ne se battait pas pour la gloriole, mais pour contribuer à libérer les peuples du « Tiers-Monde ». Il est allé jusqu’au bout d’un engagement réfléchi, intellectualisé, responsable, en sachant que dans la lutte à mort contre l’impérialisme, on peut y laisser la peau. Ce Che que Joffrin et Madame la chercheuse cherchent à dépolitiser ; ce Che accablé de lieux communs par les néo-socio-libéraux : « aventurier » « suicidaire », qui se serait « immolé » par culte de la violence, par amour de la guerre.

Les inquisiteurs ont le droit d’être partiaux, mais qu’ils précisent qu’avec l’ouvrage Le Che, à mort, nous sommes dans le fictionnel. Le grand ordonnateur du procès anti-guévarien, une sorte de Torquemada moderne, plaque sur le Che des grilles de lecture relevant d’obsessions personnelles ; ce n’est autre que le journaliste multi-casquettes Laurent Joffrin, directeur de Libération.

Dans sa chronique (« Cité des livres ») du 5 septembre 2017, intitulée « Le Che, double des djihadistes... », il traite le Che de « kamikaze », et l’accuse de manipuler les esprits des djihadistes, n’hésitant pas à jouer sur les peurs actuelles. C’est irresponsable autant qu’intellectuellement peu honnête. Joffrin ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de mettre une plume « mercenaire » au service d’un système dont il est l’un des piliers. Omniprésent dans les médias, allant et venant de l’Obs à Libération, l’homme ne cache pas ses sympathies politiques pour François Hollande, le nec plus ultra de la gauche de droite.

Cette chronique joffrinoise est destinée à promouvoir le nouvel opus de la chercheuse Marcela Iacub. Après Dominique Strauss kahn, Che Guevara !!! L. Joffrin présente sa vision mesurée du Che : « cruel », « le premier Kamikaze », celui qui montre l’exemple de l’engagement sacrificiel aux djihadistes, « une figure christique et maléfique à la fois » « dédiée à sa propre gloire », porteur des « certitudes d’un marxisme d’acier, celui dont on fait les poignards, les balles et les fusils ». On appréciera la subtilité des poncifs idéologiques. La charge ne s’appuie sur aucune référence sérieuse, l’objectif étant de faire vendre du sulfureux, tout en salissant le Che, et les militants, partout dans le monde, qui luttent pour une société plus juste.

Madame Iacub fut en 2012 « maîtresse de Dominique Strauss Kahn » et en publia, en février 2013, le livre Belle et Bête, qui étudie scientifiquement, comme l’on s’en doute, et loin de tout caractère voyeuriste (cela va de soi), la sexualité d’un personnage public jamais nommé. Mais à la veille de la publication de l’ouvrage, la chercheuse au CNRS précise dans le Nouvel Observateur, qu’il s’agit de Dominique Strauss Kahn, « ce cochon sublime », qui se comporte « comme un méchant porc ». Closer (n°582, du 31 août 2016), titre « Pour Marcela Iacub, DSK est le « roi des porcs ». De quoi classer l’ouvrage, si médiatisé, de haute tenue intellectuelle, dans la catégorie : « apologie de la race porcine ».

Aujourd’hui, la chercheuse (de scandales médiatiques), de buzz, réalise une opération similaire avec le Che. Son livre, Le che, à mort, suinte la haine à toutes les pages. Faut-il en parler, ce qui est une façon de le promouvoir, ou l’ignorer ? Toute l’entreprise repose sur une lecture biaisée de la vie du Che, sans cesse ramenée à une dimension psychologisante de quatre sous, un supposé dédoublement de personnalité entre Ernesto et le Che, resucée simplificatrice du Docteur Jekill et Mister Hide. Mais alors que Stevenson cherchait à dénoncer l’hypocrisie de la société londonienne du XIXe siècle, Iacub reconnaît dans sa conclusion ses griefs envers « la légende du Che ».

L’héroïsme du Che ne serait qu’une névrose narcissique, à tout le mieux l’inversion du mythe sacrificiel, due à la perversion de sa mère, qui aurait falsifié sa date de naissance pour la faire correspondre à celle d’un héros de l’Indépendance cubaine selon Iacub (page 20) ; dans la biographie d’Anderson qu’elle utilise par ailleurs, ce dernier évoque un docker assassiné lors d’une grève portuaire à Rosario. Instrumentalisation des sources ? L’auteure recourt évidemment à la figure « romantique » du héros perdant, don Quichotte, dont l’auteur serait un doux rêveur, oubliant un peu facilement que Cervantès fut écrivain et soldat.

Ne pouvant véritablement le salir, l’auteure cherche à changer la signification de la vie du Che. Tout en prétendant discréditer l’espoir et l’exemple qu’il constitue pour des milliers de jeunes dont les raisons de désespérance ne sont jamais ne serait-ce qu’évoquées.

L’opération Le Che, à mort, (en fait : à mort le Che !) repose sur l’amalgame facile, sur une accumulation d’analyses de bazar, sur des interprétations très néo-libéralement manichéennes. Dans la « guerre idéologique » que mènent les puissants, tout fait ventre.

Jean ORTIZ

universitaire, auteur de Vive le Che ! Editions Arcane 17.

Préface du poète Serge Pey.

Chez votre libraire ou, pour réception postale : Librairie L’Autre Rive de Toulouse : Téléphone / Fax : 05 61 31 92 65
Mail : lautreriv@orange.fr

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

09/09/2017 12:26 par Georges SPORRI

Idem pour la Révolution d’octobre ... on va en entendre des fadaises ! Idem pour le marxisme : plus la réalité en confirme les thèses, plus il est incongru et "ringard" de s’y référer... Et l’an prochain on va nous dire que Mai 68 "blabla ! bla ! blabla" et c’est l’ami de pravij sektor. Raphael Glucksman, qui va nous raconter ça dans un éco village des Vosges avant de bouffer une flämmenküche végan avec Jadot... Et puis si il y en a qui ont besoin de se défouler on va leur proposer des luttes féroces pour l’interdiction du méchant foie gras, l’interdiction des corridas méchantes, la fermeture des méchants abattoirs et la sédentarité obligatoire pour les "pauvres" pendant les week end et les vacances... Cette arnaque est un peu grosse mais ça marche quand même ...un peu !

10/09/2017 19:29 par pauvred'eux

Sur ce sujet lire aussi l’article de Vladimir Marciac. "Alors Laurent Joffrin Le Pen ou le Che ?" Du 07 09 2017 (LGS) où il est précisé qui est cette Lacub, avouant avoir menti dans son livre (à succès) sur DSK. Une menteuse donc !!

11/09/2017 10:50 par Assimbonanga

Je me rappelle avoir entendu Macha Meril s’exprimer dans une émission de divertissement ( Si tu écoutes j’annule tout) et elle témoignait que ses parents ( ou grands-parents ?) possédaient en Russie un domaine où ils avaient 100 domestiques. Le soir, leurs gens dormaient à même le sol dans la cuisine. Autrement dit, c’était de l’esclavage et il ne faut pas s’étonner que la dictature du prolétariat fut prônée comme remède à ce mal absolu.
Si Marx revenait, peut-être déclarerait-il illico la dictature de l’écologie afin de pouvoir espérer sauver, simplement, la vie sur terre.
Et je crois que cette possible dictature de l’écologie vous terrorise, Georges Sporri. En effet, il y a à craindre qu’elle ne fasse pas dans la nuance et que les masses populaires soient les premières pénalisées par les restrictions, tandis que les nantis se débrouilleraient pour obtenir des passe-droits ou des refuges obtenus avec leur fric....
Je crois pourtant que vous ne pouvez pas pour autant faire l’autruche au nom de cette crainte. Il faut de toute urgence intégrer l’écologie dans votre banque de données et réfléchir à des solutions qui tiennent compte de l’ensemble du tableau.
Un petit cadeau, si vous permettez : https://www.youtube.com/watch?v=K7wbDr_P8NU

15/12/2017 00:44 par Hervé

Je ne comprends simplement pas pourquoi, à ma connaissance, aucun collectif ne s’est créé depuis la sortie de ce nouveau "torchon" de Mme Iacub, pour protester, tenter de le faire interdire (par exemple pour atteinte à la mémoire du personnage concerné), voire obtenir la condamnation de son auteure.

Peut-être suis-je mal renseigné, et un tel mouvement existe-t-il en fait ? Si vous avez connaissance de quelque chose de ce genre, merci de me l’indiquer, afin que je puisse au plus vite m’y associer et tenter d’apporter une modeste - mais convaincue - contribution ! J’ai déjà en tête un slogan pour un tel mouvement, qui prenne le contre-pied de la "chercheuse" : on pourrait s’intituler "Le che, amor !" :).

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft : Diffusion du contenu autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
 Contact |   Faire un don