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Une constitution qui renverse la table

S. Leiv

"Some use for your broken clay pots"

Au printemps 2014 dans le cadre de mon travail - j’étais régisseur général dans un théâtre - j’ai eu l’opportunité de faire un déplacement au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles accompagnant un collègue programmateur qui avait besoin d’un avis technique pour une éventuelle venue d’un spectacle dans notre lieu. Pendant les 3 ou 4 jours de nos pérégrinations j’ai eu la chance d’assister à une représentation du spectacle-conférence de Christophe Meierhans « Some use for your broken clay pots » qui est le prolongement du texte constitutionnel édité en 4 langues par les éditions MER - www.merbooks.be - du même nom. Le public était invité à intervenir au cours du spectacle, ça n’a pas été triste ; il y en a même deux qui sont sortis très en colère ...

La science-fiction vous donne un aperçu d’un avenir possible de notre société en décrivant en général le sort de l’un de ses individus. « De l’utilisation de vos pots de terre cassés » envisage l’avenir avec une approche inversée.
Le projet offre aux spectateurs un aperçu systématique des règles et normes sur lesquelles cette société future est basée et les laisse imaginer comment leurs vies individuelles seraient dans ces nouvelles conditions.

La pierre angulaire de l’ensemble du projet est un texte constitutionnel inventé qui fournit la base juridique pour un futur Etat démocratique hypothétique. Cette nouvelle constitution, qui a été entièrement développé en collaboration avec une équipe de chercheurs de différentes universités belges, prescrit un régime démocratique entièrement basé sur la « disqualification » en lieu et place de nos « élections ». Toutes les institutions, les organes, les lois et les procédures nécessaires à l’établissement d’un système démocratique réaliste et fonctionnel sont dérivés de ce prédicat provocateur. Cet exercice de créativité constitutionnelle vise à produire un système qui est aussi différent que possible de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Mais en même temps, le défi a été de le rendre également aussi crédible et théoriquement réalisable que possible, afin de s’engager dans une réflexion active et critique sur les idéaux de la démocratie, leur mise en œuvre par le droit, et la relation que nous pouvons développer en tant que citoyens avec les normes résultantes et les structures de pouvoir.

Dans « De l’utilisation de vos pots de terre cassés », le texte juridique devient le script pour une pièce de théâtre, fait l’objet d’ une publication et inspirera le scénario d’un court métrage de fiction.
Le titre du projet s’inspire de la pratique de l’ostracisme dans la démocratie athénienne au 5ème siècle avant JC, selon laquelle les citoyens gravaient le nom d’une personne qu’ils pensaient devoir être bannie de la ville sur des poteries (ostrakon) ...

Premières performances et lancement du livre : 25 et 26 Octobre 2013, Festival des Avenirs Possibles, Vooruit,Gand.

Comme précisé dans le texte de présentation ci-dessus, la proposition démocratique est inversée par rapport à celle que nous connaissons depuis un peu plus de deux cents ans.

On n’est plus citoyen automatiquement à sa majorité mais en approuvant par sa signature la constitution.
On n’élit plus mais on disqualifie. Qui et comment ?
Des personnes tirées au sort qui acceptent de se retirer de leur vie active pendant un certain nombre d’années pour rejoindre un pool de formation qui leur donne la possibilité d’accès au sein d’une équipe à un des 15 biens communs définis par la constitution ou à la direction de cette équipe.
Chaque citoyen dispose, une fois par an, de la possibilité d’émettre un avis disqualifiant pour chaque représentant de chaque bien commun ; cet avis doit obligatoirement être assorti d’une proposition à réaliser dans le domaine choisi pour être validé. Le nombre d’avis par rapport au nombre total de citoyens donne de fait un pourcentage, ces pourcentages d’une année sur l’autre s’additionnent et quand le total arrive à 100%, le représentant et son équipe sont disqualifiés ; s’enclenche alors un processus pour désigner une nouvelle équipe dont la mission sera de mettre en oeuvre les 10 propositions les plus émises par les avis disqualifiants .

Exit les politiciens à vie, le parlement et le sénat, les programmes électoraux les campagnes et leurs frais, les heures de blabla sur les radios, les télés et les réseaux.
Exit les abstentionnistes. Vous n’avez pas envie de participer, la vie démocratique ne vous intéresse pas, ce n’est pas grave ceux que ça intéresse s’en occupent.
Et si ça vous chante vous pouvez toujours rejoindre le processus démocratique en signant au risque un jour d’être tiré au sort.

Ceci n’est qu’un aperçu de la démarche. La constitution compte 350 articles.
Vu la tournure des événements actuels et le manque d’imagination politicienne,
on peut toujours rêver à des jours meilleurs ...

S. LEIV

 https://borgerhoff-lamberigts.be/boeken/some-use-for-your-broken-clay-pots
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COMMENTAIRES  

22/06/2021 12:03 par Assimbonanga

C’est un programme de Nazis ?
Gouverner par poubellisation, jettage à la poubelle ? Et pourquoi pas en prison ? Et remettre la peine de mort pour être vraiment "efficace", sans blabla. J’adore aussi le bannissement, la fabrication de proscrits, c’est de haute tenue ! Peut-être même un corps de sous-hommes, privés de droits civiles, civiques et familiaux ? Il est vrai qu’Athènes pratiquait l’esclavage...

N’importe quoi ! La démocratie n’a pas à être efficace. La démocratie est lente, la démocratie c’est des discussions infinies.

22/06/2021 15:00 par Yannis

Espérience littéraire intéressante. Attention au fait que le "dégagisme" tant en vogue ne soustende pas un tel projet d’avenir.

22/06/2021 18:17 par babelouest

Peut-être pas de la même façon qu’Assimbonanga, qui a poussé l’hypothèse de dégagisme trop loin, je pense malgré tout que ce programme dégage un gros malaise : déjà, un seul humain peut ruiner une équipe entière, où certains plus timides ou plus discrets ne pourront avancer idées, objections ou solutions : je vois mal l’avantage par rapport au système actuel.

22/06/2021 20:20 par Xiao Pignouf

la vie démocratique ne vous intéresse pas, ce n’est pas grave ceux que ça intéresse s’en occupent.

C’est pas dores et déjà un peu ce qui se passe ?

23/06/2021 12:12 par Assimbonanga

 "Des personnes tirées au sort qui acceptent de se retirer de leur vie active pendant un certain nombre d’années pour rejoindre un pool de formation qui leur donne la possibilité d’accès au sein d’une équipe à un des 15 biens communs définis par la constitution ou à la direction de cette équipe. " ??
 "Exit les politiciens à vie, le parlement et le sénat, les programmes électoraux les campagnes et leurs frais... " ??
 "les heures de blabla sur les radios, les télés et les réseaux... " ??

Rien que des perdreaux de l’année ? Des volontaires qui se sacrifient pour quels motifs ? Parce que leur vie s’enlise et donc pourquoi pas ? Des gens qui vont briser leur élan professionnel avec ce sacerdoce ? Des gens qu’on va former ? Comme à la convention citoyenne pour le climat ? Une sorte de bourrage de crâne accéléré ? Plus de maturation personnelle ? Plus de programmes mais alors vers quoi va-t-on ? Plus de campagnes mais alors comment la population reçoit-elle les informations ? Plus de place pour les personnalités qui ont une fibre politique ? Quelle émergence pour des partis contestataires, issus de la vie citoyenne, les militants confrontés aux pollutions, spoliations, vol de leurs terres et de leur environnement, droits sociaux , droits humains ? Plus de blablas, mais alors, parler est réservé à une cellule et interdit au reste de la population qui perd son droit civique du fait qu’elle ne signe pas le traité constitutionnel ?

Non, je t’assure @babel, ce projet me fait froid dans le dos, j’oserais même le qualifier de... glaçant !!
 :))

23/06/2021 14:49 par Auguste Vannier

Je trouve que ces travaux d’imagination concrétisés dans des oeuvres réelles (textes littéraires, fictions, théatre, film,...) sont intéressants et comme le relève @xiao pignouf, une "vérité de situation" y apparaît : « Vous n’avez pas envie de participer, la vie démocratique ne vous intéresse pas, ce n’est pas grave ceux que ça intéresse s’en occupent. ».
C’est ce que je dis aux abstentionnistes et adeptes du "tous pareils" voire "tous pourris" qui m’entourent : vous ne vous occupez pas de politique, c’est "cool", mais la politique s’occupe de vous, là ça craint, comme vous vous en apercevez déjà, et ça ne fait qu’empirer...

24/06/2021 08:15 par Charly

@Assibonanga

L’esclavage, nous le pratiquons aussi, nous le délocalisons pour qu’il ne soit pas sous nos yeux et pouvoir écrire sans honte qu’à Athènes on pratiquait l’esclavage.

Pour les perdreaux de l’année, on les a à l’Assemblée avec Macron.

On voit bien avec ce quinquennat que la Constitution française permet à un camp de faire absolument ce qu’il veut : que pendant toutes les mandatures précédentes, il n’était dû qu’au bon vouloir du prince de bien vouloir prendre en compte l’avis des autres parties de la société et de faire les lois aussi pour elles. Mais si tu as la majorité absolue, comme Macron, en fait, avec ton petit 16% du premier tour, tu as la possibilité de mener la politique que tu veux, quitte à mutiler les opposants. C’est un tel système que vous plébiscitez.

Et non, il n’est pas dévoyé : ses institutions permettent très exactement que Macron fasse ce qu’il veut. Il n’existe aucun mécanisme de contrôle qui soit élaboré pour être efficace (et encore moins le fameux équilibre des pouvoirs). On se demande pourquoi la possibilité de révoquer ses élus serait pire. Il ne s’agit pas juste d’un citoyen qui va dire qu’il veut se débarrasser de l’équipe ou de tel ou tel représentant pour que cela advienne (ce n’est pas développé dans le texte). Et les discussions étaient nombreuses et vives à Athènes.

Quant aux personnes qui seraient intéressées à participer à la vie politique, en quoi serait-ce différent de nos élus ? Vous semblez suggérer que nos élus ne sont pas là parce qu’ils sont fous de pouvoir, qu’ils s’ennuient, qu’ils ne savent rien faire d’autre, qu’ils sont paresseux et incapables de gagner de l’argent en montant leur propre boîte, que ce sont des ambitieux sans substance, etc. La garantie d’avoir une "vie réussie" n’est pas une panacée : le nombre de médecins et d’avocats à l’Assemblée n’est pas un gage de vertu civique. Au contraire, ces gens font du lobbying en permanence pour leur caste.

Enfin, quant à l’élection majoritaire, elle exclut mécaniquement de la citoyenneté les vaincus si les vainqueurs n’ont pas besoin d’eux pour gouverner. Si, autour d’une table de 10, on décide de voter quoi manger à chaque repas, les 6 mangeurs de viande pourraient légalement imposer à tous les repas, matin-midi-soir de la viande comme plat exclusif aux 4 autres. C’est ça, la fameuse démocratie actuelle. C’est exactement ce que fait Macron. En toute constitutionnalité.

24/06/2021 12:06 par Assimbonanga

@Charly, je vais vous reprendre sur vos propres projections que vous faites sur moi (que vous ne connaissez pas !) pour en tirer des déductions hâtives.

1/ « Vous semblez suggérer que nos élus ne sont pas là parce qu’ils sont fous de pouvoir, qu’ils s’ennuient, qu’ils ne savent rien faire d’autre, qu’ils sont paresseux et incapables de gagner de l’argent en montant leur propre boîte »
Ah, non, non, non. Mon crédo dans la vie n’est pas qu’on réalise sa capacité d’Homme en montant une boîte !!! Je pense que c’est vous qui pensez cela. Ne m’impliquez pas dans cette vision du monde, qui, entre parenthèses, s’accorde parfaitement avec le macronisme. Le macronisme, c’est la gestion d’entreprise, la rentabilité, pas la démocratie.

2/ « C’est un tel système que vous plébiscitez. » Vous allez un peu vite, Charly, pour déterminer que je plébiscite un système du seul fait que j’émets des objections à cet article.

Ce n’est pas parce que Macron écrase toutes les oppositions, en particulier celle de gauche, contestataire, que je soutiens l’exorbitant de sa pléthorique majorité obtenue grâce à un déplacement du calendrier des élections législatives. Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas aujourd’hui sous cette Vème République qu’on peut se permettre d’inventer n’importe quoi pour remplacer sans réfléchir aux conséquences. Méfions-nous de pas inventer des trucs encore pire en croyant bien faire !

Il manque actuellement une opposition parlementaire et, avec ce conseil sanitaire d’urgence, confidentiel, on est tout simplement passé sous dictature. Macron et sa majorité méprisent les députés LFI, s’en méfient, rejettent toutes leurs propositions, toutes. N’oublions pas tous les députés, maires, sénateurs, gazés en manif ou frappés depuis l’Avènement de Macron. Pensez-vous que des citoyens tirés au sort auront le cran d’aller s’opposer à la force oppressive avec la même foi ? Auront-ils seulement le temps de réaliser dans quelle farine on les roule avant d’être renvoyés à leurs pénates ?

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