RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

27 décembre 2008 - Guernica à Gaza

Le document publié ici est extrait du livre de Vittorio Arrigoni, Rester Humain à Gaza, publié aux éditions Scribest. Vittorio Arrigoni a été assassiné le 15 avril 2011 à Gaza.

Mon logement à Gaza donne sur la mer. La vue panoramique m’a souvent remonté le moral ; chaque fois quand je me sentais complètement épuisé par les conditions misérables d’une vie vécue sous le blocus. Jusqu’à ce matin. Ce fut là que le feu de l’enfer se déclencha devant ma fenêtre.

Aujourd’hui nous avons été réveillés tôt par les bombes et un grand nombre est tombé à une centaine de mètres de mon domicile. Beaucoup de mes amis sont enterrés sous les décombres.

Actuellement, nous comptons 210 tués, mais ce chiffre va encore grimper. Un bain de sang sans précédent. Ils ont rasé le port et ramené le commissariat central de police au niveau du sol.

On m’annonce que les médias occidentaux ont avalé la pilule, rabâchant à l’unisson les communiqués de l’armée israélienne, largement propagés, selon lesquels les attaques étaient ciblées de manière « chirurgicale » sur les bases du Hamas.

En réalité, nous avons vu à l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de la ville de Gaza, les corps allongés dans la cour certains dans l’attente de soins, toutefois la plupart sans aucun doute morts et parmi eux des dizaines de civils.

Pouvez-vous imaginer ce qu’est Gaza ? Chaque maison est imbriquée dans l’autre, chaque construction appuyée sur une autre. Gaza est l’endroit au monde avec la plus forte densité humaine, ce qui rend inévitable le fait qu’en lâchant des bombes depuis 10 000 mètres d’altitude tu vas provoquer un massacre au sein de la population civile. Tu sais cela et tu en prends la responsabilité ; il ne s’agit pas d’une « erreur », de « dommages collatéraux ». Et au moment où le commissariat central de police saute en l’air en plein centre du quartier d’Al-Abbas, l’école primaire juste à côté est endommagée par les explosions. C’était la fin des cours et les enfants venaient de sortir dans la rue, lorsque des dizaines de sacs d’écoliers bleus tachés de sang volèrent à travers les airs.

Lors de l’attaque contre l’école de police Daïr Al-Balah, des personnes présentes au souk tout proche — le marché central de Gaza, furent également tuées et blessées. Nous vîmes s’écouler en ruisseaux sur l’asphalte le sang d’animaux et d’êtres humains se mélangeant. Un Guernica sorti de son cadre pour se transformer en réalité. J’ai vu de nombreux cadavres difformes dans les différents hôpitaux que j’ai visités. Je connaissais un grand nombre de jeunes gens. Nous échangions nos saluts tous les jours sur le chemin menant au port, ou le soir, lorsque je me rendais dans les cafés du centre. J’en connaissais certains par leur nom. Un nom, une histoire, une famille déchirée.

La grande majorité étaient des jeunes gens, âgés de 18 à 20 ans, la plupart d’entre eux n’appartenaient ni au Fatah ni au Hamas : après leurs études, ils avaient présenté leur candidature auprès de la police, à la recherche d’un emploi stable dans un Gaza qui connaissait un taux de chômage de 60 % dû au blocus criminel des Israéliens. Je ne m’occupe pas de propagande, je laisse s’exprimer mon regard, mon ouïe résonnant des hurlements des sirènes et du grondement des explosions.

Je n’ai pas vu de terroristes parmi les victimes, uniquement des civils et des policiers. Le jour d’avant, j’avais plaisanté avec eux parce qu’ils s’étaient emmitouflés contre le froid.

Je souhaite que justice puisse au moins être rendue à ces morts par la restitution de la vérité.

Au grand jamais ils n’ont tiré le moindre coup de feu en direction d’Israël, ni même essayé de le faire, parce que ce n’était pas leur tâche. Ils étaient occupés à régler la circulation et à assurer la sécurité intérieure, d’autant plus que le port se trouvait à l’opposé de toute frontière israélienne.

Je dispose d’une petite caméra vidéo et me rends compte aujourd’hui que je suis un bien mauvais caméraman ; je suis incapable de filmer les corps broyés et les visages noyés sous les larmes. Je n’y arrive pas, tout simplement. Je n’y arrive pas, parce qu’à ce moment précis, moi aussi je fonds en larmes. Je suis parti en compagnie d’autres membres d’ISM [1] (International Solidarity Movement) à l’hôpital Al-Shifa pour donner notre sang. Sur place, nous reçûmes un appel téléphonique : Sara, notre chère amie, avait été mortellement blessée par les éclats d’une bombe dans son logis du camp de réfugiés de Jabalia. Personne chaleureuse au tempérament enjoué, elle était partie peu avant chercher du pain pour sa famille. Partie en laissant treize enfants.

Il y a peu, Tofiq m’a appelé de Chypre. Tofiq est l’un des étudiants palestiniens qui ont eu de la chance. Grâce à nos bateaux du Free Gaza Movement, il a pu quitter l’immense prison à ciel ouvert de la Bande et commencer une nouvelle vie ailleurs. Il m’a demandé si j’étais allé rendre visite à son oncle et si, comme promis, je lui avais transmis son bonjour. J’ai hésité, puis je me suis excusé parce que je n’avais pas encore eu le temps de le faire. Trop tard. Avec beaucoup d’autres, il est resté sous les décombres du port.

Une terrible menace nous arrive d’Israël : ce n’est que le premier jour d’une campagne de bombardements qui pourrait s’étendre sur deux semaines. Ils feront le vide et ils l’appelleront paix. Le silence du « monde civilisé » est beaucoup plus assourdissant que les explosions qui couvrent la ville comme un suaire de terreur et de mort.

Vittorio Arrigoni, Rester humain à Gaza

Publié le dimanche 29 décembre 2013 - 08h:20 sur Info-Palestine.net avec l’aimable autorisation des éditions Scribest.

»» http://www.info-palestine.net/spip.php++cs_INTERRO++article14296

[1ISM : Ong regroupant des pacifistes du monde entier, fondée en 2001 par le Palestinien Ghassan Andoni et l’Israélien Neta Golan. L’organisation est engagée dans la lutte pour la liberté en Palestine et milite pour la fin de l’occupation israélienne de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Elle travaille en coordination avec des associations palestiniennes, israéliennes et internationales. (N.d.T.)


URL de cet article 23882
  

Même Thème
Israël, Les 100 pires citations
Jean-Pierre Bouché, Michel Collon
Ce livre contient 100 citations de dirigeants, stratèges et penseurs sionistes, des origines du mouvement jusqu’à aujourd’hui. À partir de ces citations, il s’agit pour les auteurs de faire une analyse à la fois documentée et ludique de la pensée sioniste à travers les années. Les auteurs montrent ainsi qu’il y a bien une pensée sioniste cohérente qui se perpétue à travers le temps. Le conflit israélo-palestinien ne vient pas de nulle part : il prend sa source au moment même où le projet sioniste s’est (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Les moyens de défense contre un danger extérieur deviennent historiquement les instruments d’une tyrannie intérieure.

James Madison
4ème président des Etats-Unis, 1751-1836

La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.