30 août 1918 : La blessure de Lénine ouvre la voie à Staline

Six ans à peine après son arrivée au pouvoir, Lénine disparait. Six années d'une activité politique extraordinaire, abrégées par un coup de pistolet qui va empêcher la finalisation d'une innovation politique qui aurait pu, peut-être, sauver l'URSS. Deng Xiaoping reprendra, un demi-siècle plus tard, la formule proposée par Lénine.

Lorsque le coup de feu de Fanny Kaplan claque (1918) et que seule une éraflure saigne dans le cou de Lénine, nul ne sait que celui-ci (48 ans) n’a plus que quelques années à vivre. Bien que personne ne sache que son geste a finalement atteint son but, Fanny va être fusillée. Elle a tiré parce qu’elle voulait voir la guerre contre l’Allemagne continuer alors que Lénine et les bolcheviks ont stoppé ce massacre inutile. Le sang a coulé, c’est une première, et grave, fracture parmi les révolutionnaires d’octobre.

A l’Ouest aussi, le massacre tire à sa fin. Mais les capitalistes européens, qui ont senti la division chez les soviets, volent au secours des contre-révolutionnaires russes, c’est le début de la guerre civile avec son cortège de massacres, et de famines, que les bolcheviks ne gagnent (1920) qu’à force de rigueur, de mobilisations et de "communisme de guerre". Depuis octobre 17 les bolcheviks on dus signer deux compromis en position de faiblesse, Brest-Litovks contre les allemands en 18, et en 21 contre les polonais à Riga. Dans ces deux situations Lénine a dû batailler ferme pour imposer à ses camarades ces compromis.

En 21 le nouvel état, exsangue, sort enfin de la guerre. Lénine observe la situation ; les spartakistes ont échoué en Allemagne, comme Béla Kun en Hongrie. Ses espoirs se concentrent sur la Chine et l’Inde à cause surtout de leur potentiel de force de travail qui, forcément, va immanquablement, faire exploser le carcan colonial. Mais cela ne règle en rien la situation russe. Le peuple est affamé, la classe ouvrière, minoritaire dés le départ, a pourtant gagné la guerre civile, mais elle est décimée. La paysannerie, largement majoritaire, maintenant propriétaire de la terre, est toujours aussi ignare. Pour s’installer dans le monde moderne, il lui faut apprendre à lire, écrire, compter, acheter, vendre, payer des impôts etc.. c’est cela que Lénine qualifie de "révolution culturelle" et pas le "proletkult" qui à Pétrograd ou Moscou singe les surréalistes français. Lénine préconise la fin du "communisme de guerre" et ses réquisitions arbitraires qui indisposent les paysans, on passe aux impôts en numéraire, ce qui stimule la circulation monétaire. La faim, enfin, recule.

Mais Lénine est conscient du retard économique russe. Il a polémiqué longuement avec Kaustky et les mencheviks qui lui reprochaient d’avoir pris le pouvoir trop tôt, dans un pays trop arriéré, il a répondu que la révolution était arrivée là où la chaîne du capital s’était brisée et pas là où les professeurs l’avaient prévu. Les peuples ne sont pas sagement assis devant les tableaux noirs des pédants....Mais il sait qu’il faut, urgemment, rattraper le retard sur les pays capitalistes avancés. C’est de cette équation qu’il sort, entre deux crises, son cerveau étant de plus en plus mal irrigué, une formule qui surprend tout le monde : La NEP– Nouvelle Politique Economique. En 20-21 il est encore assez solide pour développer de long raisonnements qui finissent par trouver une majorité dans le parti Bolchevik. Mais qu’est-ce que la NEP ? C’est le capital qui manque le plus, Les capitalistes russes ont fuit, les inviter à revenir est illusoire, d’ailleurs la plupart sont ruinés. Non la solution c’est les capitalistes étrangers, allemands et américains en priorité. Lénine leur propose des concessions pour 20, 30 ou 40 années, parfois grandes, en Sibérie, comme la moitié de la France. Là ils paient, à l’état soviétique, des royalties prévues par contrat, ils sont propriétaires de tout, bois, pétrole, fer etc.. qu’ils exploitent avec la main d’oeuvre qu’ils embauchent, et qu’il forment, sur place. Au final, plus d’impôts dans les caisses de l’état, et surtout plus de compétences pour la classe ouvrière, plus de capital humain, plus de prolétaires pour la Révolution !

Jusqu’à sa mort, lorsque l’artère carotide, blessée par Fanny Kaplan et mal cicatrisée, se bouchera complètement, Lénine se battra pour la NEP, c’est même dans le cadre de la NEP qu’il incitera les paysans à constituer des coopératives pour doper la productivité de la terre que leur a remise la Révolution. Mais force est de constater qu’il est quasi seul sur ce terrain, si Trotski le soutient sans trop de réticence, les autres, Staline, Kaménev, Boukharine... se taisent. Ils sont dubitatifs, les résultats comptables sont indéniables, mais les cadres de ces entreprises étrangères qui affichent leur aisance nouvelle choque ceux qui pensent que le communisme c’est d’abord, et avant tout, l’égalité.

Seul Lénine pouvait expliquer, à ces jeunes communistes sommaires, que les revenus des "nepmans" étaient fonction de leurs apports directs ou indirects à la société soviètique. Seul, il avait la carrure pour faire sentir la différence entre un capitaliste américain qui investit des milliards de dollars au Kamtchaka et les ex-nobles qui se prélassaient à la cour de Nicolas II.

Mais Lénine meurt le 21 janvier 1924 et, faute d’impulsion politique, la NEP va péricliter jusqu’en 1927, quand Staline pourra, sans aucune contestation, troquer la NEP contre le "socialisme dans un seul pays" qui, malgré son caractère totalement non marxiste, ne fera tousser que Trotski. Lequel obtiendra le retrait de la formule, mais pas de la chose qui, en fait, sous différents aspects, survivra jusqu’en 1991.

Le projet de Staline est simple, il s’agit de construire, en autarcie, une société idyllique qui, par son exemple, attirera les prolétaires de tous les pays. Les partis communistes n’ont plus qu’un objectif : défendre en toute circonstance la patrie du socialisme ! Plus de capital étranger, plus de nepmans, du volontarisme....

En fait, comme Lénine et les autres, Staline est persuadé que dès que le capital mondial sera en capacité, il attaquera militairement l’URSS. Mais contrairement à Lénine, il ne croit pas qu’il soit possible de le neutraliser en l’intéressant, même partiellement, au développement de l’URSS. Pour Staline, l’industrialisation, plus qu’à développer les compétence du peuple est surtout envisagée pour mettre, militairement, le pays en capacité de soutenir n’importe qu’elle agression. C’est ainsi qu’on peut comprendre le stalinisme sous toutes ses faces, goulag, culte, procès fabriqués, terreur,... etc mais aussi l’extraordinaire victoire de 1945, magistralement maîtrisée, du début à la fin, par le dictateur.

Sauf que lorsque Staline meurt, la victoire de 45 n’incite pas les successeurs à remettre en question la méthode. C’est pourtant des conséquences de l’autarcie et de la valeur insuffisante de la force de travail, conséquence de la faiblesse de l’industrie légère, que le régime va s’écrouler en 91. Si les Khroutchev, Gorbatchev et consort, qui n’ont pas su tirer d’autres leçons que superficielles (le culte, le goulag...) du stalinisme, sont évidemment les responsables ultimes de l’échec, ils ne sont que les produits d’un choix politique antérieur qui a broyé physiquement leurs prédécesseurs bien que ceux-ci (Trotski...) n’aient pas osés, en 27 et avant, contredire Staline sur l’abandon de la NEP.

Que serait devenu l’URSS, et l’Europe, et le Monde si la NEP avait survécu à Lénine ? Personne ne peut le dire, mais si le pire, ou le meilleur, ne sont jamais sûr, il n’est pas interdit de penser que l’histoire de cette Révolution, aurait pu, pour le peuple soviétique, et pour les autres, mieux se terminer.

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COMMENTAIRES  

09/10/2015 19:24 par Ahmed

Si j’ai bien compris c’est encore la faute à Staline, et même à la victoire sur le nazisme (citation : "Sauf que lorsque Staline meurt, la victoire de 45 n’incite pas les successeurs à remettre en question la méthode. ").
Il faudrait mieux une analyse de classes et dans ce cadre montrer les interactions entre classes, les combats menés par la classe ouvrière, ne pas transformer ses victoires en défaites par la bouche. Cet article ne cite les capitalistes que pour s’imaginer qu’on peut les amadouer. Non, on peut à la limite les duper momentanément et c’est ce à quoi a servi la NEP en partie et les NEP en général mais cela ne dure jamais bien longtemps car les NEP développent aussi la classe bourgeoise dans les pays qui la pratiquent et il faut se satisfaire d’un embourgeoisement des esprits, composer momentanément avec et ensuite ne pas perdre la main. Plutôt que d’attribuer les défaites à un homme ou un groupe d’hommes, il vaut mieux essayer de comprendre comment les défaites de la classe ouvrière se sont produites et surtout aussi puisque c’est l’objectif d’un révolutionnaire comment les victoires ont été obtenues, et se réjouir de ses victoires si on n’est un vrai communiste. Pour comprendre ces victoires et ces défaites fulgurantes il n’y a pas mieux que de relire les préfaces et le texte du livre d’Engels sur la guerre des paysans en Allemagne au XVe siècle. S’imaginer les forces en présences et se les imaginer aujourd’hui dans notre période de transition historique entre le capitalisme et le socialisme. Il est facile de dénicher les paysans et les nobles d’hier puisqu’Engels a fait le travail à notre place. Il est extrêmement difficile pour certains de songer à s’imaginer des chevaliers du XXIe siècle venant à la rescousse des paysans surtout quand leur sigle officiel est un glaive et un bouclier et que leur chef est le petit fils d’un cuisinier d’un chef honni par la bourgeoisie qui montre ses dents de loup mais sait aussi se déguiser en mouton.

10/10/2015 08:47 par CN46400

" Plutôt que d’attribuer les défaites à un homme ou un groupe d’hommes, il vaut mieux essayer de comprendre comment les défaites de la classe ouvrière se sont produites et surtout aussi puisque c’est l’objectif d’un révolutionnaire comment les victoires ont été obtenues, et se réjouir de ses victoires si on n’est un vrai communiste."

C’est précisément ce que j’ai essayé, maladroitement sans doute, de faire. Mais puisque le temps est venu ses citations, je propose de goûter celle-là : (T32 OC-p 388-389) Nous sommes le 21 avril 1921, la guerre civile vient de s’achever, la pensée de Lénine dérive vers la NEP, formule non encore inventée.

" Les communistes ne doivent pas avoir peur de s’instruire auprès des spécialistes bourgeois, y compris les négociants, les les petits capitalistes coopérateurs et les capitalistes. S’instruire auprès d’eux sous une forme, mais somme toute, de la même manière qu’ils ont étudié et se sont instruits auprès des spécialistes militaires. Les résultats de cette leçon devront être vérifiés par la seule expérience : Fait mieux que les spécialistes bourgeois d’à coté ; sache arriver d’une manière ou de l’autre à relever l’agriculture et l’industrie. Ne lésine pas sur le prix de la leçon, ne regarde pas à la dépense si la leçon est profitable.

10/10/2015 18:45 par btourne

Une belle analyse trotskyste que voilà ... Et donc d’une inconséquence totale et qui révise bien entendu l’histoire. La nep n’a jamais été rien d’autre qu’une solution à court terme pour sortir de la guerre civile et reconstruire. Mais le socialisme c’est l’expropriation du capital repris au bourgeois, en l’occurrence les koulaks car il n’y avait pas d’industrie en Russie en 1920. C’est le socialisme qui a créé l’industrie en URSS. Et c’est l’abandon de cette politique par le révisionniste Kroutchev, parachevé par le brigand Gorbatchev qui a assassiné le socialisme.

10/10/2015 20:20 par CN46400

"Le capitalisme d’état qui est un des éléments essentiel de la NEP, c’est , dans les conditions du pouvoir soviétique, un capitalisme consciemment admis par la classe ouvrière dans les limites qu’elle a elle-même fixées. Notre capitalisme d’état se distingue fondamentalement de celui des pays où il existe un gouvernement bourgeois, du fait précisément que, chez nous, l’Etat est représenté non par la bourgeoisie, mais par le prolétariat qui a su gagner la confiance totale de la paysannerie.

Malheureusement, l’instauration du capitalisme d’Etat, dans notre pays, n’est pas aussi rapide que nous le voudrions. Jusqu’à présent, par exemple, nous n’avons pratiquement aucune concession sérieuse ; or, si le capital étranger ne particiqpe pas au développement de notre économie on ne peut espérer la rétablir rapidement." (Lénine : Lettre à la colonie russe d’Amérique du Nord-14 nov 1922- OC T42 p451)

Question
 : En quoi consiste le projet de contrat sur le Kamtchaka ?
Réponse de Lénine : J’ai dit que le délai de la concession serait de 50 à 60 ans. Nous obtenons une part des produits, ils obtiennent le droit d’installer une base militaire dans un golfe près duquel se trouve une source de pétrole. (8° congrès des soviets de Russie-27 décembre 1920-OC-T42-P247)

13/10/2015 11:47 par vila

Si Lenine a su avaler son chapeau a brest litovsk et avec les NEP, c’est évidemment bien pour mieux rebondir ce qui a été fait. Car en 40 ans on est passé des moujik au spoutnik. et si l’urss est tombé ce n’est pas a cause du socialisme mais de l’instillation du capitalisme dans la société (seconde economie) par l’incompétent Khrouchtchev puis par le traitre Gorbatchev. A ce sujet je vous conseille de relire le livre

http://editionsdelga.fr/portfolio/le-socialisme-trahi-les-causes-de-la-chutes-de-lurss/

si on doit loger une balle dans la nuque d’un des secrétaires général du PCUS, c’est bien dans celle du dernier.

16/10/2015 01:15 par KERVILLERM

"le "proletkult" qui à Pétrograd ou Moscou singe les surréalistes français."

il y a confusion. le surréalisme n’apparait en France qu’en 1924. De plus le proletkult en tant qu’en mouvement artistique est très éloignées des thèses surréalistes. On peut même dire que l’un et l’autre en tant que mouvement artistique s’opposent radicalement. Donc en aucun cas le proletkult a un moment ou à un autre n’a pu vouloir singer le surréalisme.

16/10/2015 08:20 par CN46400

Vous avez évidemment raison factuellement, mais si Lénine, et Trotski, ont condamné le "proletcult" ce fût surtout à cause de sa prétention à vouloir monopoliser l’action culturelle de la Révolution. Lénine faisant remarquer que le prolétariat russe devait d’abord assimiler tous les aspects positifs de la culture bourgeoise qui, dans la Russie de l’époque était aussi retardataire que dans le domaine économique. Encore la NEP...

26/11/2015 13:38 par Xuan

Il y a des éléments intéressants sur la NEP mais ce texte comporte aussi des aspects critiquables :

L’argument du "socialisme dans un seul pays" totalement non marxiste est un peu rapide.
Dans tous les cas la révolution se développe d’abord en fonction des conditions nationales et dans le cadre du développement inégal des différents pays. Le socialisme simultané dans tous les pays est une vue de l’esprit et Lénine a fait avec ce socialisme dans un seul pays parce qu’il n’avait pas le choix et ne pouvait pas attendre d’autres révolutions ailleurs.
Le socialisme se développe dans un seul pays parce qu’il ne peut pas en être autrement. Le socialisme à la chinoise en est un autre exemple.

Il y a autre chose qui me gène beaucoup dans ce texte : on dirait que le PCUS se réduisait à Lénine, ou encore à Staline, qu’il n’existait aucune direction collégiale.
Les bourgeois prétendent que les partis communiste fonctionnent ainsi. Il faut reconnaître que le Panthéon communiste a mis en avant les dirigeants, mais cela n’exclut pas la direction collective.

Assimiler Staline à Khrouchtchev ne me semble pas juste. C’est atténuer la fracture entre révisionnisme et marxisme-léninisme.
Affirmer que le « socialisme dans un seul pays » s’est prolongé jusqu’en 1991, c’est prétendre que la Russie était encore socialiste sous Brejnev et que ses interventions armées l’étaient aussi. La restauration du capitalisme apparaît brutalement mais elle n’est pas le seul résultat d’erreurs accumulées. Il faut qu’une orientation ouvertement rétrograde l’emporte, et c’est Khrouchtchev qui l’a initiée.
Lors du 20e congrès il s’est opposé de façon irréversible à la ligne de Staline et l’a fait savoir au camp occidental à travers son "rapport secret" avant même que l’ensemble des partis communistes en soient informés.

Quoi qu’il en soit, n’oublions pas que la révolution bourgeoise dans notre pays a connu deux restaurations avant d’établir définitivement le pouvoir de la classe capitaliste, précisément au moment où la classe ouvrière ouvrait l’espoir de la révolution prolétarienne en 1971.
Comme si les aristocrates et les bourgeois enterraient leurs querelles pour éviter une punition collective.

Amitiés à toutes et à tous

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