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A l’Elysée, dans la cour des Illusions

Le nouveau gouvernement de François Hollande a décidé d’adopter une stratégie plus conciliatrice que celle de son prédécesseur à l’égard des organisations syndicales. Les travailleurs verront-ils la couleur de ces changements de façade ?

Le renouvellement de personnel politique à la tête de l’Etat entraîne à chaque occasion des changements de style. A cet égard, le dialogue avec les organisations syndicales a singulièrement évolué. Frustrées de n’avoir pas eu la moindre compensation leur permettant de sauver la face durant le mouvement des retraites de l’automne 2010, les relations des principales centrales syndicales avec Nicolas Sarkozy étaient notoirement mauvaises. Certaines d’entre elles, comme la CGT, la FSU ou SUD, se faisant l’écho de la vague anti-Sarko qui se faisait sentir dès avant les élections, mais aussi de leurs liens avec le PS ou le Front de gauche, ont appelé ouvertement à voter Hollande au second tour.

Celui-ci élu, il tient à montrer qu’il entend bien rétablir le « dialogue social ». Ce qu’il faut lire entre les lignes, c’est qu’il essaiera, mieux que son prédécesseur, se servir des organisations syndicales pour canaliser la colère des travailleurs. Pour cela, il faut d’abord gagner leur confiance. Toute la mise en scène d’un « sommet social » le 29 mai, puis d’une « conférence de la méthode » le 5 juin dernier avant la « grande conférence sociale » des 9 et 10 juillet sert à cela. Contrairement à son prédécesseur qui avait organisé l’événement en une demi-journée en 2007, François Hollande tient à prendre son temps et à étaler l’événement sur deux jours. Une question se pose : ces sirènes parviendront-elles à endormir les organisations syndicales ?

« Un retour à la normale du dialogue social » ?

Ce jeu de séduction du gouvernement Hollande semble produire ses effets. Pascal Pavagneau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière a ainsi déclaré au Nouvel Observateur en sortant de la réunion du 29 mais : « Nous nous félicitons que les choses respectent de nouveau le cadre républicain (…). Nous retrouvons enfin dans les ministres, et dans le Premier ministre, des interlocuteurs crédibles qui soient légitimes pour pouvoir prendre des décisions ou des orientations très positives. C’est un retour à la normale du dialogue dit "social’ entre organisations syndicales et le gouvernement » [1]. Humiliés et ignorés pendant la quasi-totalité du quinquennat précédent par Nicolas Sarkozy, les dirigeants syndicaux se satisfont, avant la moindre annonce améliorant concrètement la vie des travailleurs, de retrouver les honneurs qui les amènent à flâner, quelques heures durant, dans les salons des grands ministères et du palais présidentiel.

Que cette manoeuvre impressionne Force Ouvrière n’étonnera que ceux qui nourrissent de fortes illusions sur les directions des principales confédérations syndicales. En revanche, on pourrait attendre un discours plus combatif de la plus petite et la plus radicale des organisations syndicales, l’Union syndicale Solidaires. Malheureusement, le chant des sirènes charme plus qu’on ne pourrait l’imaginer. En sortant du « sommet social », Solidaires a publié un communiqué saluant « positivement le fait d’être reçu par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault » louant « sa volonté de développer une réelle démocratie sociale » [2].

Les illusions atteignent également l’intersyndicale des travailleurs de l’entreprise qui se bat depuis des années contre sa fermeture, ArcelorMittal. Ainsi, le délégué de Force Ouvrière, Walter Broccoli, constate : « On a pu parler franchement, sans a priori ». Celui de la CFDT, Jean-Marc Vécrin juge : « Nous avons pu entrer vraiment dans le vif du sujet ». Quant au représentant de la CGT, Yves Fabbri, il a estimé le rendez-vous « valorisant ». « On avance », a-t-il ajouté [3].

On peut comprendre que des dirigeants syndicaux saluent la fin du mépris qui était la règle du Président enfin sorti. Personne dans le monde du travail ne regrette la bande de Nicolas Sarkozy qui a attaché à se montrer aussi servile avec le patronat qu’impitoyable avec les travailleurs ou leurs syndicats. Mais défendre les travailleurs ne peut pas être confondu au plaisir d’être « valorisé » dans un salon parisien. A quoi servent ces grandes discussions médiatisées si rien ne change pour les salariés ? Quelles pistes sont avancées par le gouvernement de François Hollande pour revenir sur les dix années de contre-réformes mises en oeuvre par les différents gouvernements de l’UMP ?

Dans le concret, rien de nouveau

Les deux premières annonces d’importance du nouveau gouvernement dans le champ des relations de travail donnent le ton des débats à venir : la hausse du SMIC et la réforme des retraites. La première mesure n’est pas encore officielle. Le Premier ministre a toutefois indiqué la semaine passée que la hausse, « juste et mesurée », serait inférieure à 5%. On a l’habitude de parler de « coup de pouce » pour parler de l’augmentation du salaire minimum. Mais à ce niveau là , il serait plus judicieux de parler de « coup d’auriculaire ». Que va changer une augmentation aussi dérisoire dans le salaire des travailleurs ? Les travailleurs auront moins de 50 euros de plus dans leur salaire pendant que le prix des loyers et de la nourriture ne cesse d’augmenter.

Le combat contre la réforme des retraites a été le moment social le plus « chaud » du mandat de Nicolas Sarkozy. Le mouvement social massif qui l’a combattu a donné à cette réforme une dimension symbolique particulière. Le gouvernement de François Hollande propose le retour au droit à partir en retraite dès l’âge de 60 ans pour les seuls travailleurs ayant 41 annuités de cotisation. Cette mesure ne concerne donc pas les millions de salariés ayant commencé à après 19 ans, ni même ceux qui auraient validé leurs annuités en comptant des périodes de chômage. Pour ce qui est des congés maternité, qui concernent, a priori, des centaines de milliers de salariées, ce n’est pas encore garanti. Au total, l’amélioration Hollande ne touchera qu’un peu plus de 100 000 personnes sans remettre en cause pour les dizaines de millions de travailleurs, le décalage de 60 à 62 ans pour l’ouverture des droits et de 65 à 67 ans pour le droit à une retraite à taux plein. Le démantèlement des droits sociaux est toujours à l’oeuvre. Alors bien entendu, on ne peut que se réjouir du fait que des salariés pourront partir plus tôt. Ce qui est révoltant cependant, c’est que cet aménagement de la loi Woerth serve au gouvernement Hollande pour mieux entériner la contre-réforme des retraites.

Le discours de François Hollande est sans aucun doute moins insupportable à entendre que celui de Nicolas Sarkozy. Désormais, le Président de la République n’apparaît plus aussi explicitement comme l’agent du patronat, provoquant le mouvement ouvrier en déclarant que « quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit ». Aujourd’hui, les dirigeants syndicaux sont courtoisement invités à discuter dans de beaux salons où ils se sentent « valorisés » dans le cadre d’une « réelle démocratie sociale ». Mais qu’est-ce que les travailleurs ont à faire de cette « démocratie sociale », pratiquée avec succès, par exemple, par le patronat allemand, depuis des décennies, avec des chanceliers sociaux-démocrates ou chrétiens démocrates, avec la complaisance de la bureaucratie syndicale de la DGB, si les salaires sont toujours aussi bas, l’âge de départ continue à reculer et les prix toujours aussi hauts ?

Hollande souhaite de cette manière, gagner du temps et prolonger « l’état de grâce » en insistant sur la « normalité » du nouveau pouvoir. En attendant, par-delà quelques annonces (parité au gouvernement, réduction du traitement des ministres, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, etc.), Les Echos ont l’occasion de souligner, non sans satisfaction, combien « la rupture avec les réformes du quinquennat précédent apparaît souvent plus cosmétique que profonde, plus marginale que générale » [4]. A la vue de tous ces syndicalistes qui se bousculent sur le perron de Matignon pour la photo et qui vont bientôt nous dire que « Hollande, c’est toujours moins pire que Sarko », ou qu’il « faut donner du temps au temps », les travailleurs peuvent déjà tirer un premier bilan de la nouvelle séquence politique. Plus que jamais, ils savent aujourd’hui que s’ils veulent se défendre contre l’avalanche de plans sociaux qui s’annoncent et contre une austérité qui pourrait être mise en musique par le gouvernement plus rapidement que prévu, ce ne sera qu’en s’appuyant sur leurs propres forces, par leurs luttes et leur convergence, qu’ils pourront gagner.

Romain Lamel

Source : http://www.ccr4.org/A-l-Elysee-dans-la-cour-des-Illusions

09/06/12

[2Communiqué « L’Union syndicale Solidaires reçue par le Premier ministre », 31 mai 2012.

[3« L’Intersyndicale d’Arcelormittal salue l’engagement du gouvernement », Le Monde, 04/06/2012.

[4JF Pécresse, « Quand François Hollande adopte les réformes Sarkozy », Les Echos, 07/06/12.


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