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Poésie et révolution (10)

Henri Rochefort. Un sacré personnage. Fils d’un faux comte (de Rochefort-Luçay), expéditionnaire à l’Hôtel de ville de Paris pendant dix ans, il a suffisamment de loisirs pour collaborer au Charivari. Calembourreur de première bourre, il écrit une quinzaine de pièces de boulevard (à succès) en quatre ans.

Il fonde son propre journal en mai 1868 : La Lanterne, un brûlot d’opposition pamphlétaire. Très gros succès (100000 exemplaires vendus). L’éditorial du premier numéro restera célèbre : « La France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement… » (il sera également l’auteur de la célèbre formule : « Ce n’est pas cela qui nous rendra l’Alsace et la Lorraine »). Après une interdiction à la vente publique, il est attaqué en justice et condamné à des amendes et de la prison. Il rejoint alors à Bruxelles Victor Hugo, chez qui plusieurs mois.

Il rentre en France fin 1869 et sort le premier numéro de son nouveau journal, La Marseillaise, co-créé avec le révolutionnaire Lissagaray. Le quotidien accueille les collaborations de Jules Vallès et de Victor Noir. Celui-ci est assassiné le 10 janvier 1870 par un des neveux de l’empereur, passablement caractériel. Rochefort est condamné à six mois de prison pour menées subversives.

Il est libéré le 4 septembre 1870 et fonde un nouveau quotidien : Le Mot d’Ordre. Le 8 février, il est élu député de Paris. Il soutient la Commune. A la veille de l’entrée des Versaillais, il est arrêté et condamné à la détention à perpétuité. Il est déporté en Nouvelle-Calédonie. Au cours de la traversée, il écrit pour Louise Michel " A ma voisine de tribord arrière " :

Non loin du pôle où nous passons,

Nous nous frottons à des glaçons,

Poussés par la vitesse acquise.

Je songe alors à nos vainqueurs :

Ne savons-nous point que leurs cours

Sont plus dures que la banquise ?

Il s’évade et gagne l’Australie, puis les Etats-Unis , puis l’Angleterre.

Après l’amnistie, il fonde L’Intransigeant, quotidien socialiste. Puis il soutient le boulangisme et sombre dans l’antisémitisme lors de l’affaire Dreyfus.

Comme on dit en Afrique de l’Ouest : « Qui est fou ? »

Ouvrier tapissier, Théodore Six participe à la révolution de 1848. Il participe à la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851. Il est condamné à la déportation en Algérie. Il organise des coopératives ouvrières. Il publie ce texte saisissant : " Du peuple au peuple " le 24 février 1871, à la veille de la Commune :

Un jour m’élançant sur la place publique

J’ai dit : vivre en travaillant, mourir en combattant.

J’ai dit : l’air de ma mansarde m’étouffe

Je veux respirer.

J’ai dit : les hommes sont égaux

J’ai dit : république universelle.

Alors ils m’ont saisi

Ils m’ont enfermé dans de noirs cachots,

Ils m’int laissé pendant de longues semaines

Couché sur la paille infecte,

Et puis une nuit, ils m’ont enchaîné ;

Ils m’ont emmené dans un entrepont de vaisseau,

Rempli de vermine

Côte ç côte avec les enfants du crime,

Les forçats de leur société ;

Après ils m’ont emmené bien loin,

Bien loin de mon pays,

De la terre où j’étais né,

Où vivaient ma femme et mes petits enfants.

Bien loin,

Dans le pays où le soleil brûle,

Où la terre brûle,

Où l’air brûle l’âme du prisonnier ;

Puis ils ont mis dans mes mains une pioche,

Ils m’ont dit en ricanant :

Forçat, tu veux le droit au travaille ?

Travaille !

Forçat, l’air de ta mansarde t’étouffe ?

Respire !

Ils m’ont battu à coups de pied, lls m’ont insulté,

Ils m’ont appelé pillard, bandit.

Mon âme séchée par la douleur, l’incertitude, la torture

Demanda justice.

Ils ont ri.

Alors, la douleur, l’incertitude, la torture, la transportation

Lentement, bien lentement, m’ont donné la mort.

Loin de ceux que j’aimais

Et qui m’aimaient.

Dis, ne m’ont-ils pas assassiné ?

...
Tout autour de moi, demandait l’égalité ;

Tout me démontrait

Que ma chair était semblable à la chair du riche.

Tout me démontrait que

Riche et pauvre voulait dire usure et esclavage,

Voulait dire : Pauvre, moi capital,

Je poserai les bases de ton salaire,

Pauvre, tu mangeras selon mon bon plaisir,

Je te pressurerai

Comme le pressoir pressure la grappe

Pour lui faire rendre tout le sang de la terre.

Alors j’ai dit :

Abolition de l’explotation de l’homme par l’homme.

J’ai dit :

La terre à celui qui la cultive.

J’ai dit :

Celui qui ne produit pas n’est pas digne de vivre.

C’est alors qu’ils m’ont assassiné

...
J’ai publié ceci pour pouvoir dire : à tous par tous.

Peuple, médite et souviens-toi

Que tu es force et nombre,

Mais que

Tant que tu seras force et nombre sans idée

Tu ne seras qu’une bête de somme.

J’ai publié ceci pour te dire, peuple,

Que ton émancipation réside dans ta solidarité ;

Pour te dire que l’heure la plus sombre

Est celle qui précède l’aurore.

Jules Vallès sut prendre de la distance avec son oeuvre poétique : « La strophe, le décamètre, la stance, l’alexandrin, des bêtises ! Nos coquins d’enfants feront des cocottes avec nos poésies, je vous le promets ! »

Le père de l’auteur de L’Insurgé fut instituteur puis agrégé de grammaire. A seize ans, alors qu’il est lycéen, Jules Vallès participe aux événements révolutionnaires de 1848. En 1851, Vallès et son camarade Charles-Louis Chassin fondent un Comité des Jeunes pour lutter contre Louis-Napoléon Bonaparte, dont ils suspectent les intentions ; après le 2 décembre, ils essaient de mobiliser les étudiants parisiens.

En 1867, Vallès fonde son premier journal, La Rue. En 1869, il est candidat aux législatives. Dans son programme, cette phrase : « Son programme : « J’ai toujours été l’avocat des pauvres, je deviens le candidat du travail, je serai le député de la misère ! La misère ! Tant qu’il y aura un soldat, un bourreau, un prêtre, un gabelou, un rat-de-cave, un sergent de ville cru sur serment, un fonctionnaire irresponsable, un magistrat inamovible ; tant qu’il y aura tout cela à payer, peuple, tu seras misérable ! » Il n’est pas élu.

En 1870 : Jules Vallès relance son journal La Rue. Jules Vallès, pacifiste, est arrêté lors de la déclaration de guerre contre la Prusse. La République est proclamée le 4 septembre. Vallès est opposé au « Gouvernement de la Défense nationale ».

Le 6 janvier : Vallès est un des quatre rédacteurs de l’Affiche rouge qui dénonce « la trahison du gouvernement du 4 septembre » et réclame « la réquisition générale, le rationnement gratuit, l’attaque en masse ». le texte se termine par : « Place au peuple ! Place à la Commune ! ».
En février, Vallès fonde le Cri du Peuple. « La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut. » Le 26 mars, il est élu à la Commune dans le XVe arrondissement. il intervient contre les arbitraires, pour la liberté de la presse. il siége à la commission de l’enseignement, puis à celle des relations extérieures. Durant la Semaine sanglante durant laquelle 20000 personnes sont fusillées, deux faux Vallès seront exécutés par erreur.

Vallès s’enfuit en Belgique, puis en Angleterre. Il est condamné à mort par contumace. Il rentre à Paris en 1880. Il meurt épuisé par la maladie en 1885. Des dizaines de milliers de Parisiens l’accompagnent au Père-Lachaise. Charles Longuet, le gendre de Marx, prononce cet éloge funèbre : « L’humanité n’oublie jamais ceux qui ont lutté avec éclat pour accroître sa somme de liberté, de justice, de bonheur. »

Dans le n° 1 de son journal Le Peuple, Vallès explique à qui il veut s’adresser :

Cet homme a peau de bête, coiffé comme un pendu, que la pluie glace, que la vapeur brûle, debout sur la locomotive, coupant le vent, avalant la neige, mécanicien, chauffeur, c’est le Peuple !

L’animal qui, là -bas dans les champs, redresse son échine cassée et levant son cou maigre aux muscles tendus comme des cordes, regarde d’un oeil terne le wagon qui s’enfuit, le paysan brun comme une feuille de vigne ou blanc comme une rave, c’est le Peuple !

Ce barbu aux épaules larges, à chapeau de goudron, qui, sur la rivière muette, mène dans le courant le radeau de bois noyé, seul entre le ciel et l’eau, le flotteur mouillé jusqu’au ventre et perclus jusqu’au coeur, c’est le Peuple !

Ce mineur qui vient, la lampe accrochée à son front, traverser la chambre du feu grisou, et qui est resté l’autre jour enfoui dix heures sous un éblouissement - on ne voyait que ses grands yeux blancs dans le trou noir - ce mineur, c’est le Peuple !

Ce couvreur qui tombe du toit comme un oiseau mort, ce verrier dont la vie fond avec le verre dans le braiser, ce tourneur que la poussière de cuivre étouffe, ce peintre que la céruse mort, ce mitron, pâle comme sa farine, c’est le Peuple ! Il suffit à tout, contre l’eau, le vent, la terre et le feu, ce peuple héroïque et misérable ! C’est de ce peuple-là que nous allons parler. »

En 1878, Vallès rendit cet hommage à Gustave Courbet : « [...] Il a eu la vie plus belle que ceux qui sentent, dès la jeunesse et jusqu’à la mort, l’odeur des ministères, le moisi des commandes. Il a traversé les grands courants, il a plongé dans l’océan des foules, il a entendu battre comme des coups de canon le coeur d’un peuple, et il a fini en pleine nature, au milieu des arbres, en respirant les parfums qui avaient enivré sa jeunesse, sous un ciel que n’a pas terni la vapeur des grands massacres, mais, qui, ce soir peut-être, embrasé par le soleil couchant, s’étendra sur la maison du mort, comme un grand drapeau rouge. »

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