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Abattoir de Mauléon : des actes de cruauté à l’intimité de la vie privée

Des employés d'abattoir accusés de maltraitance animale et une affaire qui rebondit avec les mêmes employés qui décident de contre-attaquer ...

Des animaux qui morflent

Les faits se déroulent au sein d’un abattoir, pardon, d’une "entreprise de découpe de viande" (c’est plus classe), située dans la petite ville de Mauléon-Licharre dans les Pyrénées-Atlantiques. Ils remontent à mars 2016 et ont été filmés en caméra cachée par l’association de protection animale L214. La vidéo montre des animaux qui reprennent conscience alors qu’ils sont suspendus par les pattes (pour la saignée) ; des employés qui commencent les opérations de découpe (tête, pattes) sur des animaux encore vivants ; d’autres qui frappent ou assomment des ovins à l’aide de crochets, poussent des bovins en leur assénant des coups d’aiguillon électrique à répétition ; ou encore un agneau écartelé vivant, pris entre deux crochets en l’absence de tout opérateur.

Un patron qui n’est pas au courant

L’abattoir intercommunal de Soule (c’est son nom) est pourtant censé être un “ must ” du genre. Comptant une trentaine d’employés, il se présente comme un établissement "résolument tourné vers l’abattage de qualité" et produit des viandes certifiées Ecocert (Bio) et Label Rouge. Qu’en pense son directeur Gérard Clémente ? Interrogé à l’époque des faits, ce dernier affirme tomber des nues : "Je suis dégoûté, c’est inadmissible ... j’ai essayé d’améliorer les conditions d’abattage depuis des années, et là, on tourne le dos, et des employés frappent les bêtes. On est cuit". Encore un patron trop gentil qui se fait bouffer tout cru par ses employés : dégueulasse.

Des employés qui ne font pas exprès

L214 porte plainte et l’affaire est jugée à Pau le 29 octobre 2018. L’ancien directeur (il a pris sa retraite entre-temps) ainsi que quatre employés sont alors condamnés à des peines légères ; le premier écope de six mois de prison avec sursis et 180 € d’amende, tandis que les suivants reçoivent des amendes allant de 80 à 910 € ; l’abattoir, en tant que personne morale, est quant à lui condamné à 10 000 € d’amende. Notons que le gros des sanctions (celles du directeur et de l’abattoir) concernent un "délit de tromperie" (tromperie sur la qualité du produit, équipement non conforme, personnel insuffisamment qualifié), les actes de maltraitance eux ("mauvais traitements infligés sans nécessité à un animal domestique"), n’étant punis que par de légères sanctions (celles des employés).

Des contrôleurs qui ferment les yeux

Indirectement, le procès de Pau est aussi celui des services de l’ État ; à savoir les services vétérinaires de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). Aucun signalement officiel n’ayant précédé la diffusion des images L214, il va quand même falloir s’expliquer un peu. Appelé à la barre, le chef de service "abattoirs et sous-produits" des services vétérinaires, Philippe Barret, admet alors une centaines d’infractions et "des anomalies sur le traitement des animaux", mais ... "pas d’actes de cruauté" (nuance) ; il finira quand même par concéder : "on aurait dû faire preuve de plus de fermeté".

Des spécialistes en santé alimentaire pour enquêter sur des actes de cruauté

Egalement auditionnée lors du procès, Marie-Claude Boucher, de la brigade d’enquêtes vétérinaires (direction de l’alimentation / ministère de l’agriculture), en charge de l’enquête. Et celle-ci de déclarer : "à aucun moment, il n’y a eu de volonté de faire souffrir ... tant sur les vidéos que lors de l’audition du personnel" ; puis d’ajouter : "au visionnage, on voit des animaux qui sursautent, ça ne veut pas dire qu’ils souffrent ... il n’y a que l’opérateur qui peut se convaincre de l’état de conscience de la bête" ; avant de conclure à des pratiques ... "plutôt de bon niveau". Et pour les images horribles alors ? "Des mauvais gestes, du matériel dysfonctionnant peut-être, un manque de personnel certain" et "la cadence exceptionnelle" d’une période avant-Pâques.

Une société qui a du mal à se regarder en face

La faute à pas de chance ? Ou plutôt, un parfait exemple de dilution de la responsabilité. Des employés qui brutalisent les animaux pour répondre aux cadences infernales imposées par la direction. Une direction qui impose ces cadences pour répondre à la demande des consommateurs. Et des consommateurs qui préfèrent ne pas se poser trop de questions (Mmmmh ... l’agneau pascal). Et les contrôleurs dans tout ça ? Des fonctionnaires devant eux aussi répondre aux exigences de leur hiérarchie ; celle du préfet notamment (le chef des services vétérinaires dans le département), lequel doit pour sa part tenir compte des enjeux politico-économiques sur son territoire(acteurs économiques, fournisseurs d’emplois soutenus par les élus locaux ...).

Et des lanceurs d’alerte sur le banc des accusés

Dans ce système monstrueux où chacun se dédouane, quelques uns ont décidé d’agir. C’est le cas des militants de L214, qui, grâce à leurs caméras cachées, révèlent la réalité de certains élevages et abattoirs. Or, c’est précisément parce qu’ils ont été filmés à leur insu, que certains employés de l’abattoir de Mauléon ont décidé de contre-attaquer. Et viennent d’obtenir (l’affaire ayant été jugée à Pau le 18 novembre dernier) une condamnation de l’association pour ... "atteinte à l’intimité de la vie privée" (5 000 € d’amende + 1 500 € de dommages et intérêts). Curieuse application d’une loi censée protéger la sphère intime et personnelle, à des actes commis sur un lieu de travail. Et curieuse démocratie que celle qui dézingue ses lanceurs d’alerte. La justice est-elle elle aussi vouée à entériner ce système injuste et cruel ? La maltraitance animale a encore de beaux jours devant elle ...

Quelques liens

Les images de l’abattoir de Mauléon filmées par L214

La révélation d’actes de cruauté à l’abattoir de Mauléon (mars 2016)

Les plaidoiries au procès de Pau (29 octobre 2018)

Les services vétérinaires avouant avoir été "un peu légers"

Les missions de la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires

Les condamnations au procès de Pau

La "maltraitance animale" n’est punie que par une amende de 750 € maximum ; les "actes de cruauté" sont quant à eux punis par des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.

L’association L214 condamnée pour "atteinte à l’intimité de la vie privée" (18 novembre 2019)

Article 226-1 du Code pénal (sur l’atteinte à l’intimité de la vie privée)

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COMMENTAIRES  

25/11/2019 18:23 par robess73

les images parlent d elles meme !ce sont des actes de cruautes qui méritent la prison ferme pour les employés et le patron qui laisse faire ces ignominies.

26/11/2019 09:58 par Assimbonanga

Gardons-nous des ces volontés punitives. Tondre les femmes quand la guerre est finie, non.
Travailler dans ces abattoirs est immonde. Mettez-vous à la place de ces travailleurs et imaginez le cheminement mental qui s’ensuit et qui, par ricochet, vous amène à vous foutre de tout et vous défouler sur ces pauvres bêtes alors que le consommateur, lui, est épargné de toute culpabilité.
Non, c’est notre fonctionnement de société, notre industrie, qui sont dévoilés. Faut-il réduire les travailleurs au piloris pour expier le reste de leur vie ?
Il faut que tout cela cesse, c’est certain. Faut-il pour autant exercer notre cruauté sur les lampistes ? Ce serait toujours de la cruauté, car sur les prisons, il y aurait beaucoup à dire. Peut-on croire qu’elles soient indemnes de maltraitance institutionnelle ? Les prisons sont, comme les abattoirs, des lieux de cruauté.

26/11/2019 14:47 par Toff de Aix

Ce qu’il faut que les gens comprennent, c’est que ces conditions ne sont pas un accident, ou une exception : elles sont obligatoirement constitutives d’une société tout entière tournée vers le taux de profit, car capitaliste. Le capitaliste ne pense qu’au taux de profit, tous ses actes, que cela soit de licencier 3000 travailleurs dans une usine qui rapporte, ou que ce soi de vendre de la camelote certifiée ecocert (pour déculpabiliser le consommateur et invisibiliser la souffrance animale), tout ceci, est uniquement motivé par le taux de profit, rien d’autre. Il ne se sent pas responsable de ses actions. Si demain, tuer des gens devenait plus rentable que de les nourrir, il le ferait, sans états d’âme. Il faut le dire et le répéter : le capital n’a aucune âme, et c’est pour ça qu’il faut detruire de toute urgence le capitalisme.

26/11/2019 20:11 par bostephbesac

Vous savez bien que les véritables "lanceurs d’ alertes", c’ est ceux qui ne gèneront psurtout pas le système ! Génez le, et vous êtes bon pour être abattu/disqualifié/diffamé sans possibilité de vous défendre.

27/11/2019 11:48 par Georges SPORRI

Je ne connais rien de précis sur les abattoirs. Par contre dans les EHPAD, les lieux de vie des grands handicapés, les internats et autres foyers sociaux éducatifs lorsqu’il y a des faits de maltraitance ou des abus de pouvoir c’est presque toujours causé par une maltraitance du personnel. Parfois l’institution est "maltraitante" officiellement (par exemple : un seul menu, pas de choix ! Très fréquent)

01/12/2019 09:59 par eric

Arrêtons de tourner autour du pot. Ce qu’il faut c’est arrêter de manger de la viande. La science nous a prouvé depuis belle lurette que les animaux non-humains étaient conscients de leur vie, ressentaient la douleur comme la joie tout comme nous et que manger des protéines d’origines animales n’était pas nécessaire pire ça nous détruit et á détruit l’environnement.
Si un être souffre, il n’y a aucune excuse hormis notre plaisir égoîste et tyrannique d’abréger cette souffrance. Mais pour cela il faut sortir de notre zone de confort capitaliste et c’est là qu’on voit la différence entre la parole et les actes.

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