RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Le marché haïtien du riz : un cas emblématique de la dérégulation capitaliste

Le cas de Haïti est révélateur. Comme l’a noté Bill Quigle |1|, il y a trente ans ce pays produisait la quantité de riz nécessaire pour nourrir sa population, mais, au milieu des années 1980, face à une crise économique aiguë, lorsque le dictateur Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier a fui le pays en vidant les coffres, Haïti a dû s’endetter auprès du FMI. Une spirale de « domination » a alors commencé, plongeant le pays sous la dépendance économique et politique profonde des institutions financières internationales et, tout particulièrement, des États-Unis.

Pour obtenir les prêts, Haïti fut contraint de mettre en oeuvre une série de politiques d’ajustement structurel : la libéralisation du commerce et la réduction des tarifs douaniers qui protégeaient la production agricole, y compris celle du riz. Cette ouverture des frontières commerciales a permis l’importation sans discernement du riz américain subventionné, vendu bien en dessous du prix auquel les agriculteurs locaux pouvaient en produire. Citant le prêtre haïtien Gérard Jean-Juste, Bill Quigley explique : « Au cours de la décennie 1980 le riz importé, vendu à un prix inférieur au coût de la production des agriculteurs locaux, a envahi le pays. Les agriculteurs haïtiens ont perdu leur travail et ont fui vers les villes. En quelques années la production locale s’est effondrée. » Les paysans, incapables de rivaliser avec le riz importé ont abandonné leurs cultures et Haïti est devenu un des principaux importateurs du riz états-unien.

En conséquence, lorsqu’en avril 2008 le prix du riz, des haricots et des fruits a augmenté de plus de 50 %, la majorité de la population haïtienne fut incapable d’y accéder. Plusieurs jours d’émeutes dans le pays le plus pauvre de l’Amérique du sud (où le régime alimentaire moyen d’un adulte se limite à 1 640 calories par jour, soit 640 de moins que la moyenne requise selon le Programme alimentaire mondial de l’ONU) ont souligné l’ampleur de la tragédie. Devant l’impossibilité d’acheter la nourriture, la consommation des tortillas (crêpe à base de farine de maïs salée) s’est accrue.

Quel intérêt pourraient avoir les États-Unis pour ce marché haïtien du riz, alors qu’il s’agit d’un des pays les plus pauvres ? Environ 78 % de la population de Haïti survit avec moins de 2 dollars par jour et plus de la moitié avec moins d’un dollar. L’espérance de vie y est de 59 ans. Pourtant, selon les chiffres du Département de l’agriculture des États-Unis, en 2008 Haïti a été le troisième plus important importateur de riz états-unien, une culture subventionnée par le gouvernement à la hauteur d’un milliard de dollars par an. Qui en sont les bénéficiaires ? Entre 1995 et 2006, par exemple, un seul producteur, Riceland Foods Inc., a reçu 500 millions de dollars de subvention. Et ce n’est pas tout. Les subventions gouvernementales pour l’exportation du riz ont atteint de tels sommets que, selon les informations publiées en 2006 par « The Washington Post », le gouvernement avait versé au moins 1,3 milliard de dollars depuis 2000 à ceux qui n’ont jamais rien cultivé, dont 490 000 dollars à un chirurgien de Huston qui avait acquis des terres près de cette ville sur lesquelles le riz n’avait jamais été cultivé |2|. Notons, qu’en ce qui concerne les tarifs douaniers, les États-Unis ont établi des barrières de 3 % à 24 % pour les importations du riz, soit exactement la même protection que celle que Haïti a été forcé de supprimer au cours des années 1980 et 1990.

Le cas de Haïti est loin d’être isolé. Il peut être extrapolé à de nombreux autres pays du Sud, où l’application systématique des politiques néolibérales au cours des dernières années a non seulement démantelé un système autochtone de production agricole, d’élevage et d’alimentation, mais a aussi liquidé toute protection de leurs communautés, de leurs industries et des services publics. Ainsi, en se fondant sur les mêmes préceptes, la Banque mondiale a proposé de supprimer la production du riz au Sri Lanka " une culture traditionnelle depuis plus de trois mille ans et le fondement de l’alimentation locale " car il serait moins cher de l’importer du Viêt Nam ou de la Thaïlande |3|. La restructuration économique néolibérale tout au long des années 1990 aux Philippines a transformé ce pays d’exportateur net d’aliments en plus grand importateur mondial de riz, qui achète chaque année sur le marché mondial entre un et deux millions de tonnes pour sa demande interne |4|. La logique du marché libre a condamné ce pays à une spirale de domination et de misère.

Esther Vivas

* Article extrait de Contradictions du système alimentaire mondial, à Inprecor, décembre 2009 - janvier 2010, n° 556-557, p. 22.

** Esther Vivas a publié en français En campagne contre la dette (Syllepse, 2008), est coordinatrice des livres en espagnol Supermarchés, non merci et Où va le commerce équitable ?, membre de la rédaction de la revue Viento Sur.

+ info : http://esthervivas.wordpress.com/francais/

Notes

|1| Quigley B., The US role in Haiti’s food riots, http://www.counterpunch.org/quigley04212008.html

|2| Quigley, op. cit.

|3| Houtart F., L’altermondialisme et les forums sociaux. Introduction au Forum social congolais, http://www.forumsocialmundial.org.br/noticias_textos.php?cd_news=415

|4| Bello W., Cómo fabricar una crisis alimentaria global : Lecciones del Banco Mundial, el Fondo Monetario Internacional y la Organización Mundial del Comercio, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=68536

URL de cet article 10486
  

La gauche radicale et ses tabous
Aurélien BERNIER
Le constat est douloureux, mais irréfutable : malgré le succès de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2012, le Front national réussit bien mieux que le Front de gauche à capter le mécontentement populaire. Comme dans la plupart des pays d’Europe, la crise du capitalisme profite moins à la gauche « radicale » qu’à une mouvance nationaliste favorable au capitalisme ! Tel est le paradoxe analysé dans ce livre. Paralysé par la peur de dire « la même chose que Le Pen », le Front de gauche (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent.

Bertolt Brecht

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.