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Demonisation de l’Amérique : histoire d’une fascination

Inquiétudes grandissantes sur l’image de l’Amérique

Cette idée nous semble particulièrement importante pour que nous y revenions, celle dont nous faisons le constat dans notre Faits & Commentaires du 21 août. Nous nous rapportions à l’article paru ce même jour dans l’International Herald Tribune, du sociologue Jeffrey Goldfarb, " Mais on comprend bien que ce pourrait être un autre, ou un autre, ou encore un autre. Simplement, il se trouve que le monde entier, leur Rest Of the world (ROW), est de plus en plus excédé et effrayé à la fois de cet entêtement extraordinaire de l’administration GW à vouloir attaquer l’Irak, et du reste, à la fois de son indifférence pour ROW et de sa prétention à être les seuls à pouvoir tout gérer, tout inspirer, tout coordonner dans ROW.

Ceci n’est qu’un tout premier petit pas dans l’explication. Le comportement de l’Amérique dans sa généralité, dans sa constance, dans son entièreté, voilà qui effraie, excède et même angoisse le reste du monde. L’Amérique est devenue unilatéraliste et elle ne s’en cache plus, et même elle s’en glorifie, estimant qu’il s’agit là d’une façon à la fois digne et honorable pour elle d’agir. Ce n’est pas ce qu’on discutera car si l’on parle d’une politique, c’est alors qu’on doit pouvoir en discuter, voir ce qui est bon et ce qui est mauvais. Ce n’est pas ce dont on parle. L’unilatéralisme américain, enfin, n’est pas une politique ; c’est une façon d’être complètement différent, un état d’esprit d’un esprit qui ne semble plus rien avoir en commun avec le monde où il évolue, " ou, du moins, le monde où nous croyions qu’il évoluait.

C’est bien pourquoi nous parlons d’attitudes irrationnelles, d’émotions, de tourments psychologiques graves, bien plus que d’analyses et d’appréciations rationnelles. C’est pourquoi nous parlons, en commentaire du texte du sociologue Jeffrey Goldfarb, du pâssage de la "fascination pour l’Amérique" à la "démonisation de l’Amérique". Le fait que Goldfarb nous parle d’adolescents, en constatant la diffusion d’une image qui restitue une appréciation radicalement hostile de l’Amérique, nous confirme dans notre appréciation que nous sommes dans le domaine de l’irrationnel. Les enfants, les adolescents sont touchés d’abord, comme, hier, les enfants et les adolescents étaient les premiers fascinés par l’imagerie de l’Amérique triomphante, de l’Amérique puissante, de l’Amérique au-dessus et à part du reste et ainsi de suite.

La fascination pour l’Amérique vient du fond des temps, elle a toujours accompagné la perception que nous avons de ce pays, qui pour l’adorer, qui pour le dénoncer

La fascination pour l’Amérique est une vieille histoire. Elle remonte à la fondation de l’Amérique, et celle-ci apparaît souvent, pour les commentateurs du temps, même ceux qui échappent aux emportements des passions qui ont marqué les luttes politiques en Amérique, comme un enjeu du destin de l’humanité. Depuis qu’il existe, ce pays est une part fondamentale de notre imaginaire politique, essentiellement parce qu’il existe à partir de nous (Européens) et en même temps contre nous, et ceci et cela à part équivalente. Cette vieille histoire qui nous lie à lui, cet enjeu, ce paradoxe, voilà une première raison pour expliquer la fascination éprouvée pour lui.

Ce penchant de l’esprit, lorsqu’il est appuyé sur l’humeur et sur la rêverie fabriquée à partir de l’imagination, lorsqu’il se confronte à l’exaltation de situations où l’on est partie prenante et dont on échafaude la signification et le destin, conduit à des positions infiniment séduisantes, qu’on croit être des jugements mais qui sont d’abord une transformation du réel pour sa satisfaction propre. Ainsi, depuis son origine, l’Amérique nous a souvent servi de références extérieures pour trancher dans des querelles intérieures où les passions avaient la plus grande part. La fascination de l’Amérique vint donc ensuite du rôle qu’on lui faisait jouer dans nos querelles courantes, pour élever son parti à des hauteurs intellectuelles inexpugnables.

A côté de cela, ou plutôt contre cela, se développa, également dès l’origine, une critique radicale de l’Amérique. Elle était aussi radicale que l’exaltation de l’Amérique chez ses partisans l’était elle-même. Contre la fascination radicale, on ne lutte, dans le premier combat, que par une critique radicale. Cette veine pourrait paraître, peut-être, comme l’ancêtre de la "démonisation" qu’on signale aujourd’hui. Le fait est que, pas moins que la veine adverse de la fascination, et mises à part ses outrances, elle repose sur des réalités bien reconnues et identifiées. L’absence d’intérêt de l’Amérique pour l’art et pour la littérature, signalée dès l’origine par des voyageurs aussi favorables que Chateaubriand en 1791-92, est une de ces réalités. L’américanisme favorise le commerce de l’art, pas la création de l’art. L’Amérique, qui préférait le machinisme qui réduit l’esprit de l’homme (le "fordisme") à la haute civilisation de l’art et de la littérature, semblait dès les années 1920 et les années 1930 un raffinement de la barbarie comme elle le paraît aujourd’hui, de façon encore plus visible.

Cet affrontement entre fascination et démonisation, dont on comprend désormais qu’il signale des antagonismes culturels et politiques profonds et justifiés, s’acheva au début des années 1930, lorsque l’Europe versa dans les batailles idéologiques avec le communisme et la fascisme. L’entrée dans la danse de l’Amérique devint inéluctable, et il fut effectif en 1941, puis la Guerre froide l’installa, semble-t-il définitivement, dans nos esprits et dans nos psychologies. L’"ère de la fascination" était installée, car c’était bien ce parti qui semblait l’avoir emporté. Elle fut renforcée d’une manière inouïe par un formidable système d’influence, par tous les moyens des techniques de la communication, des plus vulgaires comme la publicité aux plus sophistiquées lorsqu’on est aux limites de l’art, avec le cinéma ou la musique, aux plus massives, comme avec l’ère de la communication électronique. Mais tout cela était "bien joué", " car l’Amérique avait une légitimité pour agir de la sorte, la légitimité de la puissance protectrice et régulatrice qu’elle semblait être, notamment et essentiellement pendant la Guerre froide.

(Pour la réalité de la Guerre froide, c’est peut-être autre chose, et nous recommandons à nos lecteurs de s’intéresser au livre de Derek Leebaert, The Fifty-Year Wound, " sur lequel nous reviendrons, sans aucun doute : malgré quelques passages agaçants, c’est une somme prodigieuse pour nous présenter un constat de ce que fut réellement la Guerre froide.)

Le passage de la fascination à la démonisation annonce des débats plus profonds, plus élaborés, pour mettre en cause la primauté qui a dominé notre vie intellectuelle au moins depuis un siècle

Voilà qui nous conduit, par conséquent, à observer que l’évolution de l’image de l’Amérique dans l’esprit des gosses et des teenagers dont s’effraie Goldfarb, de la fascination à la démonisation, non seulement n’est pas si injustifiée, mais en plus nous ramène à des débats essentiels, " que dis-je, au débat essentiel. Derrière cet affrontement fascination-démonisation, c’est-à -dire sur des territoires plus raisonnables où l’humeur et l’impression primaire sont remplacées par la raison et l’analyse, mais pour s’affronter tout autant, on distingue un débat plus simple et complètement fondamental. La querelle sur l’Amérique n’apparaît comme rien moins que la querelle sur le monde moderne, sur le progrès, sur l’orientation prise par notre civilisation, dont l’Amérique porte l’essentielle responsabilité depuis les années 1920.

Est-ce une "obscure clarté" (cela lui irait bien) qui pousse GW à galoper sur les sentiers politiques de l’unilatéralisme, sur la démonstration permanente de l’indifférence agressive pour le Rest Of the World ? Est-ce l’obscure intuition qu’effectivement il est temps que l’Amérique apparaisse telle qu’elle est, avec ses intentions et ses ambitions, avec son poids, sa force, ses idées simples qui semblent parfois bien courtes ? Tout se passe comme si c’était le cas, et peut-être GW est-il un de ces "simplets", comme ceux qu’on vénérait au Moyen Age parce que l’extrême inoccupation de leurs esprits laissait à des forces extérieures du champ pour les utiliser à nous exprimer leurs propres préoccupations.

Le passage de la fascination à la démonisation est la première réponse à ce déchaînement des réalités américaines. Ce phénomène nous déchire littéralement, nous qui avons fait carrière à l’ombre du dogme d’infaillibilité de la vertu de l’Amérique. Le XXIe siècle s’ouvre, devant nos yeux dessillés, par la plus profonde remise en cause qu’on puisse imaginer. Oui, vraiment, à côté de cela les soi-disant "conflits de civilisations" qui nous opposeraient à notre Sud et à notre Orient, qui vont bien aux esprits éduqués selon les conceptions binaires héritées de la dogmatique marxiste, " ces "conflits" font une couverture bien pratique, et bigarrée en plus, pour dissimuler ce qui nous dévore désormais.

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