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MJC Roguet de Toulouse : le social-libéralisme en action

La MJC Roguet de Toulouse est une MJC comme il en existe des centaines en France, située dans un quartier socialement mixte : populaire, petit-bourgeois. Elle propose de nombreuses activités aux adultes (gymnastique, yoga, arts plastiques, etc.) et aux enfants (musique, théâtre, danse, etc.).

Martine Martinel, députée socialiste, conseillère municipale, en est, depuis douze ans, la présidente. Tout récemment s’est tenue l’assemblée générale annuelle.

Je cite un extrait du rapport moral de la présidente :

« S’il est vrai que c’est dans les difficultés que les hommes se posent les bonnes questions sur le sens de leur vie, que tout ce qui ne tue pas les associations les rend plus fortes, alors incontestablement cette année écoulée sera profitable à la MJC et à son projet. 2012-2013 nous aura fait collectivement grandir dans la perception que nous avons d’un projet d’éducation populaire dans la France du 21ème siècle, des nouvelles solidarités avec les adhérents qu’il nous faut inventer dans un contexte de crise économique, des nouvelles attentes du public en matière de programmation et de pratiques culturelles, et, le plus important, dans notre perception des enjeux d’un autre modèle de gouvernance associative qui repose sur des valeurs de transparence, de collaboration et de solidarité. […]

Il ne tient qu’à nous maintenant que 2013-2014 […] soit la première année du reste de notre vie. Le challenge que nous devons relever ensemble est de mener conjointement deux types de chantiers dont l’aboutissement conditionne le redressement et le développement de la MJC : celui d’une nouvelle rigueur budgétaire, gage de notre crédibilité auprès des institutions qui nous soutiennent, mais aussi de notre liberté d’agir : celle d’une nouvelle identité associative, que nous souhaitons recentrer sur la cause des jeunes et qui occupera une place centrale dans le projet reconstruit de la MJC. »

Madame Martinel est une femme de culture. Mais elle ne cite pas ses sources. « La première année du reste de notre vie » est un emprunt direct au très beau titre du film de Rémi Besançon Le Premier Jour du reste de ta vie. Elle emprunte également, toujours sans le citer, à Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Cette forte proposition est extraite d’un ouvrage au titre ironique, allusion moqueuse à Wagner : Le Crépuscule des idoles, ou comment on peut philosopher avec un marteau. Une des grandes idées de cet essai est que l’on a malheureusement tendance à confondre les causes et les effets.

Je suis surtout frappé dans cet extrait de ce rapport moral par l’utilisation de mots, concepts et expressions qui appartiennent à la doxa du capitalisme financier d’aujourd’hui (je rappelle que Toulouse est gérée par des citoyens appartenant à la gauche plurielle). L’utilisation compulsive du mot « projet », présent dans cet extrait et, à de nombreuses reprises, dans le reste du rapport moral, nous rappelle que, pour la gauche d’aujourd’hui, il n’y a plus de « politique », de « programme », mais des projets à la semaine que l’on tricote et détricote en fonction d’aléas complètement extérieurs, sans le moindre volontarisme. Le mot « gouvernance » était inévitable sous la plume d’une Solférinienne aussi éminente. Contrairement à ce qu’insinue Madame Martinel, elle n’est nullement synonyme de « valeurs de transparence, de collaboration et de solidarité ». Sous Chirac et Sarkozy, la droite a imposé la notion de gouvernance. Un vocable dont l’acception contemporaine avait été réactivée par la Banque mondiale dans les années soixante-dix et qui fait partie de ces termes qu’on utilise « naturellement » sans les avoir définis au préalable. Le but réel de la gouvernance est l’éradication de la démocratie. On part – par exemple dans les pays du tiers-monde ou en Grèce – du fait que le cadre politique et institutionnel est défaillant (entre autres par manque de démocratie) pour agir en amont sur les modes de gouvernement. La gouvernance, qui est par définition « bonne » (good governance), propose des solutions toutes faites, garanties hautement techniques et, mieux encore, morales. Je passe brièvement sur le mot « challenge », supputant que « défi » aurait écorché la bouche de l’élue socialiste.

Plus grave à mes yeux, Madame Martinel place la MJC Roguet dans la situation du gouvernement grec face à la Troïka. Ce cacique de la vie politique toulousaine a beau jeu d’évoquer et de demander « une nouvelle rigueur budgétaire, gage de notre crédibilité auprès des institutions qui nous soutiennent » puisque, élue toulousaine depuis des années, elle est juge et partie. La rigueur qu’elle exige en matière culturelle n’est pas tombée du ciel : c’est elle-même qui l’a concoctée avec ses camarades socialistes.

La rhétorique de Madame Martinel est un rideau de fumée qui cache la seule réalité politique qui ne figure pas dans son rapport : une diminution spectaculaire de la subvention du Conseil général à la MJC Roguet. Elle sera passée de 199 000 euros en 2012 à 90 000 en 2014 (comment auraient réagi des élus de gauche si une telle diminution avait été imposée par la droite ?). Le reste n’est que littérature nietzschéenne.

Lors des débats qui ont suivi l’exposé de l’élue, rares furent les participants à s’élever contre cette politique austéritaire. Quelques hystériques applaudirent des deux mains. Un adhérent (sarkozyste ?) y vit l’occasion de « prises de risques », émancipant la MJC du cocon des subventions publiques. La majorité des présents était très résignée.

http://bernard-gensane.over-blog.com

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