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Colombie : le Catatumbo brûle

La répression du soulèvement paysan dans la région du Catatumbo, située à la frontière avec le Venezuela, a déjà fait quatre morts, des dizaines de blessés, de nombreuses arrestations et, semble-t-il, plusieurs disparus. Des milliers de paysans résistent depuis deux semaines à une offensive conjointe de la police antiémeutes, de l’armée régulière et d’unités spéciales antiguérilla.

Des paysans (très) pauvres, "armés" de bâtons, de coupe-coupe et de pierres tentent de se défendre contre l’action conjointe de ces "forces de l’ordre" qui cherchent à étouffer une protestation passée sous silence par les médias mais heureusement répercutée dans le monde entier par les réseaux sociaux.

Les revendications des paysans sont on ne peut plus justes : que le gouvernement tienne les promesses faites à une population privée des services publics les plus élémentaires, d’éradiquer sans violence les cultures illicites et qu’on procède réellement à la substitution de ces cultures, qui sont l’unique source de subsistance pour des gens extrêmement appauvris, déplacés vers des zones de jungle et à nouveau menacés maintenant que des grands investissements sont projetés sur leurs terres. Donc, une fois de plus, ce sont les paysans qui trinquent.

La région du Catatumbo a tout d’abord été "nettoyée" par les paramilitaires (massacres, disparitions forcées, déplacements de force, vol massif de terres) ; puis sont arrivés les militaires, qui sécurisent la zone en appliquant des plans dits de "consolidation". Après quoi sont apparues les grandes entreprises nationales et surtout étrangères, achetant la terre à des prix bradés et investissant dans des grands projets miniers ou agroindustriels ou tout simplement accaparant des terres à des fins de spéculation. Mais malgré les coups reçus, la communauté paysanne a réussi à maintenir sa résistance comme en témoigne la mobilisation actuelle, qui a obligé le gouvernement central à accepter de négocier.

Le fait est significatif car les paysans ne demandent rien d’autre que ce qui a déjà été convenu avec l’administration, autrement dit, ils demandent que le gouvernement exécute les engagements pris auprès de la communauté. En outre, tout ce qui est réclamé est, paradoxalement, contenu dans les accords sur le premier point du dialogue de La Havane entre le gouvernement et la guérilla, ce qui permet donc de douter sérieusement de la volonté – ou pire encore, de la capacité du président Santos à tenir sa parole.

En Colombie, il est normal que l’on réponde à un mouvement de protestation citoyenne d’abord par des mesures extrêmement violentes. . On commence par le délégitimer en faisant un acte criminel de ce qui dans tout État de droit serait une expression normale de conflictualité sociale, en justifiant ainsi la violence des militaires, policiers et paramilitaires. A la répression succèderont l’offre de dialogue, les promesses qui ne seront jamais tenues, la désactivation programmée du mouvement et des nouvelles mesures de répression (sélective cette fois-ci pour éliminer la direction du mouvement en question). Et ainsi de suite, jusqu’à ce que les conditions objectives qui ont généré le conflit provoquent à nouveau une explosion citoyenne.

Ce genre de tactiques sont sûrement assez courantes mais leur utilisation répétitive en Colombie amène à mettre entre guillemets la soi-disant nature démocratique du pays et aide à mieux comprendre les racines du conflit armé. Dans ce pays andin, ces tactiques ont une longue tradition depuis l’époque coloniale même. En effet, pour répondre au plus important soulèvement contre la Couronne espagnole – l’Insurrection des Comuneros de 1781 – les autorités, incapables d’arrêter par la seule répression militaire la marche des insurgés sur Bogotá, envoient à Puente del Común (à l’entrée de la ville) Monseigneur Caballero y Góngora pour obtenir par des promesses que les insurgés abandonnent leur intention de prendre la capitale. L’archevêque parvint à ses fins et les insurgés se retirèrent, confiants dans des promesses qui, évidemment, ne furent jamais tenues. Une fois les forces populaires dispersées, les principaux dirigeants de la révolte furent exécutés et écartelés, leurs restes étant éparpillés dans les lieux d’où était partie l’insurrection "pour servir d’exemple à cette génération et à celles qui viendront".

Cette stratégie fut payante à court terme mais elle sema les graines du soulèvement qui, plus tard, mit fin à la domination espagnole sur le pays. On ne perd pas la légitimité en vain et le président Santos devrait prendre cela en considération, lui qui, dans un geste de totale irresponsabilité, a accusé publiquement les paysans, sans aucune preuve, d’être dirigés par la guérilla (qui a une présence active dans la région depuis des décennies). Ce faisant, il a nié le fait que les organisations de ces paysans sont légales et surtout, il a donné le feu vert à la gâchette facile des militaires et policiers. On a vu le résultat : quatre paysans tués et des dizaines d’autres gravement blessés.

Un reporter de télévision a filmé les militaires embusqués tirant au fusil contre des gens désarmés, encouragés sans aucun doute par les déclarations de leur chef suprême, monsieur le président de la République, don Juan Manuel Santos.

Si le gouvernement ne veut pas régler d’une autre manière des problèmes aussi simples que celui du Catatumbo (des revendications on ne peut plus modestes), on peut douter sérieusement de sa volonté réelle à mettre en pratique ce sur quoi il s’est mis d’accord avec la guérilla à La Havane. Si c’est qu’il ne peut pas le faire, c’est encoré pire : cela voudrait dire qu’à Cuba, les FARC-EP seraient en train de mener un dialogue pour rien, en traitant avec ceux qui ne représentent pas le pouvoir effectif. Quoiqu’il en soit, non seulement les négociateurs mais toute la société (en particulier les mouvements sociaux) ont toute la légitimité requise pour exiger du gouvernement une position claire et la fin de l’ambigüité consistant à parler de paix tout en faisant tirer sur des gens désarmés.

En leur temps, les Comuneros n’entrèrent pas dans Santa Fé de Bogotá. Mais quelques années plus tard, le même peuple se chargea de remettre les pendules à l’heure. Pourvu que Humberto de la Calle (négociateur du gouvernement à La Havane) ne veuille pas jouer au moderne Caballero y Góngora (lequel, de négociateur/traître devint ensuite vice-Roi, ce sont des choses qui arrivent), car rien n’indique que les guérilléros soient prêts à se contenter de simples promesses. Et les mouvements sociaux ne sont pas non plus disposés à voir, comme les Comuneros d’autrefois, les têtes de leurs dirigeants exposées pour l’exemple sur les places publiques.

José Antonio Galán, dirigeant de l’Insurrection des Comuneros dans le Santander, fut condamné à être pendu haut et court et son corps démembré en quatre parties, exposées en des lieux divers "pour l’exemple". Sa descendance fut "déclarée infame", ses biens saisis, sa maison fut rasée et le terrain recouvert de sel, "pour que de cette manière son nom infame soit voué à l’oubli, on en finisse avec une personne si vile, une mémoire si détestable, pour que ne reste d’autre souvenir que celui de la haine et de l’horreur qu’inspirent la vilenie et le crime" (extrait de la sentence de mort du 30 janvier 1782)

Juan Diego García

Original : Arde Catatumbo http://www.es.lapluma.net/index.php?option=com_content&view=articl...

Traduit par : Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي pour Tlaxcala et La Pluma http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=9975

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