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Sur l’unité de la gauche aux élections, ici et là-bas

Après la période tragique des dictatures militaires qu’a vécu l’Amérique latine et l’émergence récente des gouvernements progressistes, les élections, considérées comme la plus haute expression du retour à la démocratie, sont devenues des événements incontournables, y compris pour les gauches les plus réticentes à la liturgie capitaliste. Ces périodes sont pourtant souvent difficiles à traverser et présentent des risques pour l’identité même de ces partis.

Entre nécessité et casse-tête

L’unité de la gauche face à une perspective électorale constitue, d’une part, un besoin, et d’autre part, un casse-tête. Surtout, pour les gauches dites radicales, qui postulent la prise du pouvoir et la réalisation de profondes transformations structurelles pour engager une véritable transition vers une société socialiste.

Pour plusieurs de ces gauches qui, en Amérique latine, se sont constituées dans les années 60 sous l’influence de la révolution cubaine, et qui se sont même parfois impliquées dans des processus de lutte armée, choisir aujourd’hui de participer aux élections n’est pas une décision facile à prendre.

Il est vrai, cependant, que toutes ces gauches envisagent sur le plan théorique divers moyens de lutte pour s’adapter à chaque conjoncture historique, parmi lesquelles figure également la lutte électorale. Toutefois, étant donné que beaucoup d’entre elles ne croient pas que la révolution puisse se faire par les urnes, l’enthousiasme participatif de celles-ci est généralement assez circonspect.

Ce manque d’enthousiasme électoral (de la part de certains groupes) s’explique de différentes façons, et notamment par la dure réalité de la crise qui les accable. Le secteur global de la gauche prend aujourd’hui la forme, dans chaque pays latino-américain, d’un essaim de petits groupes, généralement très actifs mais sans aucune influence notable sur les luttes sociales et, par conséquent, sans aucun poids sur la vie politique de ces pays.

Dans ces conditions, la participation individuelle à une élection, à quelque niveau que ce soit (local, régional ou national), est manifestement déraisonnable. L’unité de ces groupes s’impose alors comme une condition sine qua non pour atteindre une présence minimale bien que, comme nous l’avons dit, c’est loin d’être facile.

Les divergences stratégiques

Parmi les gauches on retrouve essentiellement deux définitions stratégiques. Pour faire bref, il s’agit, d’une part, de celles qui se revendiquent révolutionnaires (ou radicales) et, d’autre part, de celles qui sont dites réformistes. Les premières considèrent les élections comme de simples moments de combat idéologique et d’accumulation de forces, en vue de confrontations ultérieures de plus grande importance. Les autres, comme une bonne occasion de s’intégrer dans le système et d’essayer d’atténuer, à partir des positions conquises, les maux traditionnels du capitalisme, de l’oppression et de l’exploitation sociale.

Ces divergences sont d’une complexité croissante, d’autant plus que l’Amérique latine vit une période particulièrement mouvementée. En général, la gauche réformiste apporte un soutien enthousiaste, et dans certains cas participe aux expériences de gouvernements progressistes. Ce qui n’est pas le cas des gauches radicales qui, tout en reconnaissant de nombreux aspects progressistes à ces régimes, dénoncent régulièrement le manque flagrant de profonds changements qui ouvrent la possibilité d’une véritable transition vers une nouvelle société.

Lutter contre l’exclusion

Pour cette gauche radicale en nuestramérica (notre Amérique, comme on dit aujourd’hui) les temps sont durs. L’idée d’une société socialiste est devenue, à tout le moins, assez floue, comme une conséquence inévitable de l’implosion de l’URSS et de l’effondrement subséquent du bloc socialiste. Autrement dit, les promesses du socialisme, comme la patrie des travailleurs et le début de la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, ont perdu l’attrait puissant qu’elles avaient atteint au siècle dernier.

Ce qui est devenu en vogue aujourd’hui, en Amérique latine, c’est la lutte contre l’exclusion, ou si vous préférez, la lutte contre l’extrême pauvreté, pathologie endémique au sein de nos sociétés, touchant de plein fouet des vastes secteurs de la population. Pour ce faire, il semble, que l’on n’ait pas besoin d’une révolution. Il suffit, comme cela a été fait au Brésil - le cas de référence -, de faire en sorte que les riches continuent à s’enrichir chaque fois plus, mais qu’ils consentent aussi à céder une modeste partie de leurs richesses aux plus pauvres du pays.

Lula l’avait déjà dit avant de devenir président : « La révolution aujourd’hui, c’est de faire en sorte que nous puissions tous manger trois fois par jour ». Il ne pouvait pas être plus clair. La révolution s’est ainsi limitée à essayer de satisfaire une demande purement économique, avec de petites augmentations de salaires pour les travailleurs, et à la multiplication de l’aide sociale pour ceux qui sont confrontés au chômage et vivent dans des conditions inhumaines. Et aussi à quelque chose d’inévitable dans toute société capitaliste : à les pousser ensuite à une consommation débridée. En 8 ans de « lulismo », le Brésil a ainsi réussi à sortir de l’extrême pauvreté environ 24 millions de personnes.

C’est là, pour l’instant, le contenu essentiel du progressisme latino-américain : la lutte contre l’exclusion faisant appel à de pompeuses « politiques d’inclusion ». Dans certains pays, les progrès dans d’autres domaines, comme l’éducation, la santé, le logement (choses qui n’ont pas été faites au Brésil, ce qui explique les récentes manifestations), sont incontestables. C’est également le cas de la timide et très limitée émergence d’une ébauche de pouvoir populaire, par exemple, au Venezuela. Ce qui suscite cependant des inquiétudes justifiées, c’est que, même dans les pays qui mettent en œuvre ce qu’on appelle le « socialisme du XXIe siècle », et en dépit de la nationalisation de certaines grandes entreprises, le système capitaliste et donc la grande bourgeoisie, continuent à bénéficier d’une très bonne santé et, bien évidemment, d’une partie considérable du pouvoir économique.

Deux terrains, deux combats

Électoralement, ces gauches, celle des radicaux et celle des réformateurs, semblent incompatibles dans le cas des pays qui ont des gouvernements progressistes. C’est ce qui est arrivé par exemple au Venezuela ou en Equateur, et qui arrivera bientôt en Uruguay : les contradictions entre elles atteignent des niveaux de friction carrément répréhensibles. Les organisations de gauche (partis ou fronts), qui veulent exercer leur droit d’exister et de se présenter aux élections, avec leur propre identité et leur propre programme, sont rapidement étiquetées comme « ennemies du processus », et accusées « de faire le jeu de la réaction ». Des calomnies qui venant du pouvoir, bénéficient d’une large audience, et sont d’une efficacité non négligeable.

Curieusement, une situation similaire est en train de se produire dans un pays où il n’y a pas de gouvernement progressiste. L’unité de la gauche dans ces deux composantes essentielles, semble être entrée dans un processus de concrétisation. Cela se passe au Pérou où, récemment, a été fondé le Frente Amplio de izquierdas (le Front élargie des gauches) en vue des élections de 2014 et 2016.

Dans ce pays, le président Humala est arrivé au pouvoir avec la promesse d’une « grande transformation », qui a suscité de grands espoirs dans les secteurs populaires et intellectuels de la gauche, mais il ne lui a pas fallu longtemps pour trahir ses engagements et se mettre carrément au service des puissants nationaux et étrangers, et même adhérer à la nouvelle abomination commerciale américaine appelée « Alliance du Pacifique ».

Au vu de ce retournement on pouvait raisonnablement espérer que le Front des gauches, après de prévisibles âpres négociations aurait pu trouver un certain équilibre à un niveau stratégique et tactique, entre les convictions et les aspirations des uns et des autres.

Malheureusement, ce qui se passe dans ce Front n’est pas ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Comme je l’ai mentionné dans un précédent article (2), il y a ceux qui postulent une étrange politique de gauche « adaptée à la période néolibérale », mais aussi, certaines personnes qui conseillent de ne pas trop critiquer le régime Humala, pour ne pas faciliter dans les prochaines échéances la victoire électorale des grands ennemis du Pérou, les acolytes des anciens présidents Alan García et Alberto Fujimori, responsables d’innombrables massacres et du holdup up éhonté sur les caisses de l’Etat.

Un problème identique

Cette curieuse situation de la gauche radicale face aux élections, qui apparemment et de façon tout à fait involontaire servirait uniquement à « favoriser les victoires de la droite, ou de l’extrême droite » ne concerne pas exclusivement l’Amérique latine. Elle se présente aussi, ces jours-ci, en France (où j’habite) avec la participation du « Front de gauche » (dont le leader est Jean-Luc Mélenchon), l’une des rares organisations qui luttent vigoureusement contre la politique suicidaire du Parti Socialiste au pouvoir basée sur l’austérité, la même qui a déjà fait sombrer dans une pauvreté effroyable, comme un retour au Moyen Âge, le peuple grec, espagnol et portugais notamment.

Le Front de Gauche est accusé dès à présent, c’est à dire à l’avance, de porter la responsabilité des inévitables futures défaites électorales du Parti socialiste et de ses alliés écologistes. Autrement dit, de contribuer à créer les meilleures conditions pour que l’extrême droite du Front National (de Marine Le Pen et de son père, Jean-Marie) réussisse à obtenir, pour la première fois à notre époque, certains postes de pouvoir.

Si cela devait se produire, ce qui n’est pas tellement probable comme on l’affirme, selon l’argumentation officielle, cette situation ne serait pas imputable aux responsables de la destruction systématique de l’appareil industriel, de l’augmentation exponentielle du chômage et de la détérioration conséquente des conditions de vie du peuple, c’est-à-dire au gouvernement, mais à ceux qui s’opposent à cette politique irrationnelle qui prend déjà un caractère génocidaire.

En France comme en Amérique latine, la gauche radicale est confrontée à la même difficulté. Jusqu’à présent nous n’avons pas encore atteint (je dis cela parce que je m’inclus dedans) une capacité définitoire en matière électorale, mais nous représentons une force en rapide développement qui menace de devenir, tôt ou tard, un véritable tsunami.

Par conséquent, il faut continuer à mener les batailles électorales, toujours, et sans nous laisser impressionner par la malice des critiques ni sacrifier les objectifs d’une campagne visant à obtenir et/ou à maintenir une fausse unité avec ceux qui n’aspirent qu’à une simple reconversion professionnelle dans l’administration publique. Par ailleurs, nous devons poursuivre sans relâche notre implantation au sein du peuple, en promouvant l’organisation et la lutte des travailleurs, pour défendre leurs droits et pour créer ensemble, les partis et des mouvements sociaux, les conditions de la réalisation d’une véritable transformation révolutionnaire de la société.

José BUSTOS

(1)http://www.kaosenlared.net/america-latina/item/61023-per%C3%BA-naci%C3...

(2) http://kaosenlared.net/america-latina/item/61745-peru-el-frente-amplio...

»» http://www.puntodevistaypropuesta.com/2013/07/sobre-la-unidad-de-las-i...
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