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« Les escadrons de la mort » : du Salvador à l’Afghanistan via l’Irak

Edward Snowden est coincé à Cheremétiévo uniquement parce qu’il a rappelé au monde entier une vérité notoire : les services secrets ont la possibilité de surveiller n’importe quel individu sur la planète. Son compagnon d’idées Bradley Manning attend son verdict aux États-Unis. Il est coupable d’avoir communiqué au site WikiLeaks des documents classifiés sur l’opération de paix bâclée en Irak.

En mars, sur la base des informations fournies par Manning (le fameux Iraq War Logs http://wikileaks.org/irq ), les journalistes du Guardian ont raconté de quelle manière les instructeurs étasuniens formaient aux frais de l’armée américaine les unités spéciales de la police iraquienne. Les journalistes les avaient baptisés « escadrons de la mort ».

Ce terme fut utilisé pour la première fois dans les années 1930 pour nommer les détachements de la Garde de fer (Garda de Fier) en Roumanie. Ils terrorisaient et tuaient massivement leurs opposants politiques. Ces « escadrons de la mort » sont devenus tristement célèbres dans les années 1970-1980, lorsque des unités analogues ont été créées dans de nombreux pays d’Amérique latine. Dans certains pays ces formations étaient même subventionnées de l’extérieur. Aux États-Unis on a appris qu’au Salvador et au Honduras ces escadrons avaient été créés, formés et financés par des conseillers militaires américains et la CIA. Cette découverte a provoqué un scandale qui s’est soldé par la réduction de l’aide américaine à ces pays. Mais ces « escadrons » sont restés actifs de nos jours. Les organisateurs de ces mouvements ne sont pas parvenus à leurs fins, car ceux contre qui ils se battaient sont devenus présidents ou s’apprêtaient à occuper ce poste dans leurs pays respectifs.

Ainsi, en 2009, c’est le président du Front de la libération nationale (FNLM) Frente Farabundo Martí qui est devenu chef d’État. Au Honduras, l’ancien président Manuel Zelaya, qui, menacé de mort, a fui le pays, est revenu, et est devenu le principal prétendant à la présidence du pays. Il semble qu’au XXIe siècle, les raids nocturnes, les camps de filtration, les exécutions extrajudiciaires, les tortures et les meurtres se sont avérés inefficaces pour rétablir l’ordre. Faut-il chercher d’autres méthodes ?

Le Guardian ne répond pas à cette question. En 2006, les conflits armés entre les communautés religieuses irakiennes ont commencé à menacer de dégénérer en guerre civile, les troupes de la police anti-émeute destinées à rétablir l’ordre dans le pays ont commencé à se créer avec l’aide de conseillers américains qui bénéficiaient de l’expérience salvadorienne. Dès 2008, un conseiller du groupe anti-terroriste, le lieutenant-colonel à la retraite Roger Carstens a déclaré dans un entretien au magazine The Nation, que les forces spéciales des États-Unis « ont créé la force la plus puissante dans la région ». En effet, en 2006, sa structure comptait 6000 personnes. Leurs méthodes de travail n’étaient en rien différentes des techniques « salvadoriennes ». Selon Carstens, « tout ce que veulent ces gars, c’est tuer les « méchants » pendant des journées entières ». Résultat ? Chaque mois les forces de l’ordre retrouvaient jusqu’à 3000 cadavres dans le pays. Des manifestations de masse ont débuté, et ces « escadrons » ont été dissous. Les experts disent que les tortures les plus cruelles, des meurtres et la manière de terroriser la population par les forces spéciales de l’armée n’ont fait qu’accélérer le déclenchement de la guerre civile dans le pays. Les choses ont empirée ensuite. En mai de cette année, le président irakien a déclaré qu’il ne permettrait pas la mise en place de forces paramilitaires en Irak pour protéger les citoyens pour des motifs religieux. Mais en juin, ces derniers sont apparus. Le gouvernement n’avait pas d’autre solution, car des dizaines de personnes mouraient chaque jour en Irak, et le programme de création de la police nationale en Irak s’est soldé par un échec complet.

En Afghanistan, les Étasuniens ont voulu réaliser le même scénario, en créant des divisions de la police dans les zones comptant peu de militaires de l’OTAN et où les forces armées afghanes étaient en nombre assez faible. Cette idée n’est pas nouvelle dans l’histoire du pays, où des troupes de la milice (la « militia ») assuraient l’ordre. Cette milice a été efficace sous certains aspects, mais elle a été aussi impliquée dans un certain nombre de cas de pillages et de violences avec extorsion à l’encontre de ses propres compatriotes. Elle porte maintenant un nouveau nom : Afghan Local Police (ALP). Ses effectifs (environ 19.500 personnes en 2013) sont formés par des instructeurs des opérations spéciales américaines. La situation a-t-elle pu être prise en main ?

Elle échappe toujours au contrôle des autorités. Le 8 juillet de cette année, un « traducteur » afghan, Zakaria Kandahari, a été arrêté à Kandahar lorsqu’il travaillait sur la base du comté de Nerja (province afghane de Wardak). Il est accusé d’avoir torturé et tué des civils. Près de la base un lieu d’inhumation secret a été découvert. Il s’agirait apparemment de personnes disparues en décembre 2012. A la fin de février, à cause des plaintes constantes contre les actions de ce genre menées par les groupes armés, le président Hamid Karzaï a exigé le retrait des unités spéciales américaines de la province, alors que presque toutes les attaques terroristes à Kaboul sont commanditées depuis cette région. Ce retrait des forces spéciales signifierait également une forte détérioration de la situation dans la province et dans la capitale. Cependant, la situation n’a pas vraiment empiré. La milice n’est pas redoutée qu’à Wardak. On l’appelle « escadron de la mort » dans tout le pays. Au lieu de la stabilité, Kaboul récolte la colère et les manifestations de la population locale. Et le renforcement de l’opposition, comme cela fut le cas au Honduras ou en Irak.

La destruction des ennemis irréconciliables et dangereux de l’Etat est l’une des fonctions des forces de l’ordre spéciales et des agences de renseignement. Mais espérer résoudre le problème de la sécurité « non pas avec un scalpel, mais avec une hache », au moyen de la création de groupes locaux forts de plusieurs milliers de membres et dotés de pouvoirs spéciaux et d’un minimum de responsabilité dans l’espoir qu’ils pourront stopper des conflits multiséculaires sera stoppé par la force, est une entreprise vouée à un échec certain. Ce qui s’est produit en Amérique Latine est flagrant en Irak et en Afghanistan.

http://french.ruvr.ru/2013_07_15/Les-escadrons-de-la-mort-de-Salvador-...

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