Depuis vingt ans, Wilders est connu pour son islamophobie et sa haine viscérale à l’égard des musulmans, des communautés issues de l’immigration et du « tsunami des demandeurs d’asile ». La religion musulmane n’est pour lui ni plus ni moins que de l’islamofascisme. « C’est la plus grande menace pour les Pays-Bas, a-t-il déclaré à maintes reprises, c’est l’idéologie la plus violente qui existe, une idéologie totalitaire plutôt qu’une religion ». Il veut fermer les mosquées qui sont des « lieux de la haine », interdire le Coran dans les lieux publics et interdire toutes les écoles musulmanes. Pour Wilders, des personnes ayant la double nationalité ne pourront plus voter et ne pourront pas être employées dans les services publics. Ainsi, il est devenu un personnage clé de la mouvance fasciste européen et même mondial. Un modèle, aussi pour Anders Breivik.
Un des alliés préférés de Anders B. Breivik
En juillet 2011, le fasciste norvégien Anders B. Breivik a assassiné septante-sept personnes à Stockholm et sur l’île d’Utoya. Dans le Manifeste où Breivik annonce ses crimes, Geert Wilders est cité à pas moins de trente reprises. Breivik considère Wilders comme un allié. Il le propose même pour le Prix Nobel : « Si les membres du Comité Norvégien du Prix Nobel veulent quelqu’un de non musulman, que dire de l’homme politique néerlandais Geert Wilders, qui est resté fermement opposé à l’islamisation malgré les meurtres de ses compatriotes Theo van Gogh et Pim Fortuyn et l’exil d’Hirsi Ali ? ». (1)
Bien sûr, Wilders a condamné l’action meurtrière de Breivik. Mais cela, Breivik l’avait prévu et cela ne le dérange absolument pas : « Même si nos alliés devront condamner notre violence, ce n’est pas grave, après tout ils doivent protéger leur réputation ». (2)
Voici un extrait du Manifeste sur la politique et l’idéologie partagées par Wilders et Breivik : « À la mi-septembre 2008, Geert Wilders a déclaré lors d’un discours au Parlement que les Marocains étaient en train de coloniser les Pays-Bas. Selon Wilders, les Marocains ne sont pas venus pour s’intégrer, mais pour « soumettre les Néerlandais » et les dominer. « Nous perdons notre nation au profit de la racaille marocaine qui vit en abusant, en crachant et en agressant des innocents », a déclaré M. Wilders. « Ils acceptent volontiers nos allocations, nos maisons et nos médecins, mais pas nos règles et nos valeurs », a-t-il ajouté. Selon lui, il existe « deux nations ». Celle des « hystériques du climat et de l’islamisation incontrôlable ». L’autre nation c’est « ma nation », a déclaré Geert Wilders, « celle des gens qui doivent payer la facture et qui sont volés et menacés par les terroristes islamiques de la rue ». (3)
Et puis, il y a le soutien à Israël. Voilà l’autre sujet où Breivik et Wilders se retrouvent pleinement.
L’extrême-droite fasciste pour Israël, bastion de l’Occident
Depuis la création de son parti en 2006, Geert Wilders a ouvert la voie vers une alliance de l’extrême droite européenne avec Israël, considéré comme le bastion de l’Occident face à l’islam. Pour Wilders, Israël est « la seule démocratie au Moyen-Orient, pays qu’il a visité, selon ses propres dires, trente à quarante fois ». Quant aux Palestiniens, dit-il, leur État existe déjà : c’est la Jordanie, pays qui n’a qu’à changer son nom en Palestine. Mon très bon ami Ariel Sharon, dit-il, n’a commis qu’une faute : « redonner Gaza aux Palestiniens. Ce qui a dès le début mené à la corruption et à la terreur ». (4)
En 2010, Wilders prononce un discours à Tel Aviv dans lequel il incite les sionistes à envahir la Cisjordanie : « les Juifs doivent s’installer en Judée et en Samarie, sans quoi Israël ne pourra pas protéger Jérusalem ». Et il ajoute à l’agence Reuters : « Notre culture est fondée sur le christianisme, le judaïsme et l’humanisme et les Israéliens mènent notre combat. Si Jérusalem tombe, Amsterdam et New York seront les prochaines ». (5) Propos identiques chez Filip Dewinter, dirigeant du Vlaams Belang (Belgique), dans une interview accordée au journal israélien Haaretz : « Israël est une sorte d’avant-poste pour notre société occidentale, un avant-poste de la démocratie, de la liberté d’expression, de la protection des valeurs communes dans un environnement hostile ». (6)
En décembre 2010, pour la première fois depuis la création d’Israël, une délégation de quelque trente-cinq parlementaires et dirigeants de l’extrême droite européenne visitent Israël. Parmi eux, Heinz-Christian Strache, (Parti autrichien de la liberté (FPÖ) ; Filip Dewinter (Vlaams Belang) ; René Stadtkewitz,(parti allemand Die Freiheit) ; Kent Ekeroth, (Démocrates suédois (SD), et Geert Wilders (PVV). En 2016, leur visite sera suivie par Matteo Salvini, (Liga Norte), Fruke Petri (AFD) et à nouveau Stracha (FPÖ).
À la fin de leur voyage en 2010, les partis d’extrême droite signent ce qu’ils appellent « La déclaration de Jérusalem », un soutien inconditionnel à Israël pour se défendre contre « l’agression islamiste ». En voici un extrait : « Les systèmes totalitaires, tels que le fascisme, le national-socialisme et le communisme sont vaincus. À présent, nous nous trouvons devant une nouvelle menace, celle du fondamentalisme islamiste... Israël vit et existe sur la ligne de front du conflit entre les civilisations. Le conflit arabo-israélien est le conflit entre la civilisation occidentale et l’islam radical. La lutte entre ceux qui chérissent la liberté et ceux qui veulent faire du monde une théocratie islamiste... Si Jérusalem tombe, Athènes tombera également, ainsi que Rome, Amsterdam et Nashville ». (7)
« Wilders is Milder » ?
(8)
Après le choc électoral, des politiciens du centre-droite et du centre gauche ainsi que des experts des médias tentent de répondre à la question : « Comment une telle victoire fasciste est-elle possible » ? Une des raisons de la victoire de Wilders serait qu’il a ravalé certains propos fascistes lors de la campagne électorale de 2023 pour devenir plus salonfähig (présentable). Il est vrai que lors des débats télévisés Wilders s’est présenté comme un homme d’État qui allait s’occuper des problèmes sociaux de tous les habitants du pays. Une tactique électorale déjà éprouvée par d’autres formations d’extrême droite en Europe. Une tactique comme celle de se distancier officiellement de la violence à la Breivik, la NSU et autres assassins fascistes.
Il suffit pourtant de consulter le programme électoral du PVV de Wilders pour constater, noir sur blanc, qu’il n’a rien ravalé du tout. Voici quelques extraits de son programme de 2023. (9) Jugez par vous-mêmes.
" - Stop à l’asile- retrait de la réglementation de l’UE sur l’asile et l’immigration - rejet de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés - rétablissement de la protection des frontières néerlandaises, refoulement des demandeurs d’asile - criminalisation de l’illégalité : détention et expulsion des immigrants illégaux - interdiction des programmes de logement et de pain pour les immigrants illégaux - les demandeurs d’asile criminels doivent être détenus ou expulsés - ne jamais obliger les municipalités à accueillir des demandeurs d’asile - les permis d’asile temporaires des Syriens doivent être retirés. - Les Pays-Bas ne sont pas un pays islamique : pas d’écoles islamiques, pas de corans et pas de mosquées - Nous voulons moins d’islam aux Pays-Bas et pour y parvenir : moins d’immigration non-occidentale et moins de droits de l’homme. - Interdiction de la double nationalité - Interdiction du port du foulard islamique dans les bâtiments gouvernementaux, y compris les États Généraux - Introduction de permis de travail pour les citoyens de l’UE - Restriction sévère du nombre d’étudiants étrangers.- Les peines de prison légères prononcées aux Pays-Bas sont une parodie. Les peines minimales doivent être élevées afin que les criminels restent en prison le plus longtemps possible. - Les criminels doivent être soumis à un régime strict et austère en prison, l’argent économisé servira à soigner les personnes âgées. Les prisonniers recevront des uniformes et devront travailler 40 heures par semaine. - Des dizaines de milliers de sympathisants du djihad vivent aux Pays-Bas. Nos services de sécurité ne peuvent pas tous les surveiller en permanence. C’est pourquoi les Pays-Bas doivent introduire un système de détention administrative. De manièrequ’ils puissent être enfermés préventivement si nécessaire. - Il faut 10 000 policiers supplémentaires et beaucoup plus de policiers visibles dans les rues, réouverture des commissariats de quartier - Tolérance zéro pour les voyous de rue, si nécessaire déploiement de l’armée contre les terroristes de rue - L’emprisonnement à vie redevient vraiment à vie - Expulsion des étrangers criminels et des criminels ayant une double nationalité : dénaturalisation et renvoi obligatoire - Peines minimales fermes et peines maximales plus élevées, pas de travaux d’intérêt général - Jamais de prescription pour les crimes violents et moraux - Prison à perpétuité pour les terroristes condamnés - Le délinquant doit payer tous les coûts de son crime, des poursuites et de la punition - À partir de 14 ans, toujours appliquer le droit pénal des adultes pour les crimes moraux et violents - Pilori numérique pour les auteurs d’actes de violence et de délits sexuels - Abolition du TBS (Défense sociale)- Pas de libération anticipée. La peine d’emprisonnement doit être purgée dans son intégralité - Doublement de la peine pour la vente de drogue aux mineurs.
– Le PVV est un grand ami de la seule véritable démocratie du Moyen-Orient, Israël. Les Pays-Bas sont également très attachés à Israël sur le plan culturel. Les liens avec Israël seront notamment renforcés par le transfert de notre ambassade à Jérusalem. La représentation néerlandaise à Ramallah auprès de l’Autorité palestinienne corrompue sera immédiatement fermée. Les Pays-Bas ont déjà une ambassade à Amman, la capitale du seul véritable État palestinien : la Jordanie. "
J’invite les 2,4 millions de Néerlandais qui ont voté pour Wilder à prendre connaissance de ce programme.
La montée du fascisme nouveau
« Il a un programme social qui parle aux gens qui se sentent abandonnés par la politique traditionnelle », disent les uns. « Nous n’avons pas assez écouté les gens », disent des autres, etc. Ce qui ne ressort pas de ces pseudo-analyses, ce sont les grands bouleversements politiques qui depuis trois décennies ont ouvert la porte à la marée d’extrême-droite partout en Europe. L’extrême-droite n’a pas dû faire grand-chose, les gouvernements démocratiques leur ont offert ces victoires sur un plateau.
D’abord, l’effondrement du bloc socialiste en 1990 consacrait la victoire de l‘extrême droite contre son ennemi de toujours : le communisme. Un effondrement des « dictatures communistes », applaudi par la droite et la gauche dans toute l’Europe. Mais, dans les décennies qui l’ont suivie, cette chute a emporté avec elle l’essentiel des acquis sociaux de l’après-guerre.
Le modèle néolibéral d’un capitalisme sans restrictions ni limites s’est imposé partout. Ce modèle, selon les mots de la juge Manuela Cadelli, présidente de l’Association Syndicale des Magistrats, est « un fascisme économique qui détruit en même temps le valeurs humanistes les plus évidentes, la solidarité, la fraternité, l’intégration et le respect de tous et des différences ». (10)
Une idéologie qui correspond parfaitement aux « valeurs »de l’extrême droite. Depuis, c’est « Notre propre peuple d’abord » et « chacun pour soi ». L’effondrement des partis communistes et sociaux-démocrates a accompagné ce tournant historique contrerévolutionnaire. Comme d’autres partis européens, le Pvda au Pays-Bas (Partij van de Arbeid), parti socialiste qui a longtemps été un des partis néerlandais les plus forts, s’est vu réduire ses scores électoraux de deux tiers pendant les deux dernières décennies. Par une alliance avec les Verts, il a essayé de limiter la casse lors des élections de novembre 2023.
La régression progressive de la social-démocratie et la montée de l’extrême-droite dans les pays scandinaves, avec leur modèle nordique social-démocrate au pouvoir depuis des décennies, est sans doute une des illustrations les plus parlantes de l’évolution actuelle. Lors des récentes élections législatives du 2 avril 2023, le Parti des Finlandais, extrême-droite, obtenait 20,1 % des voix, 46 des 200 sièges du Parlement, le meilleur score de son histoire. En septembre 2022, les Démocrates de Suède, extrême-droite, étaient les grands vainqueurs des élections législatives. Avec un score de 20,7 % ils devenaient le deuxième parti du pays. En Norvège, le Parti du Progrès, formation d’extrême droite anti-immigration, formait un gouvernement de coalition avec les conservateurs jusqu’en 2020.
Ensuite, il y a eu les guerres incessantes contre les pays arabes et musulmans. La première, la guerre du Golfe, a été lancée il y a plus de trente ans par les États-Unis et leurs alliés en 1991, à peine deux après la chute du Mur et la disparition du soi-disant danger communiste. Elle n’était pas encore finie que Bush entamait sa croisade mondiale contre le terrorisme islamiste après les attentats de New York en 2001, avec vingt ans de guerre en Afghanistan. Ces guerres injustes ont, elles aussi, donné raison à l’extrême-droite dans sa lutte obsessionnelle contre l’immigration et les musulmans, désignés comme ennemi de l’intérieur ou cinquième colonne.
Enfin, depuis deux mois, il y a la campagne hystérique des gouvernements européens contre « le terrorisme islamiste du Hamas » (et donc, selon l’amalgame habituel, contre les Arabes et les musulmans) et pour un soutien inconditionnel à Israël. Cette campagne a été portée par toute la classe politique aux Pays-Bas et a en même temps contribué à la victoire de Wilders, supporter indéfectible d’Israël. Le gouvernement a hissé le drapeau sioniste sur les bâtiments gouvernementaux à La Haye et est allé jusqu’à s’abstenir lors du vote en faveur d’une trêve humanitaire à l’ONU. Wilders n’avait plus qu’à se poser fièrement devant un drapeau israélien, dans son bureau, à côté de celui des Pays-Bas, et à envoyer ce message à Israël : « Nous vous soutenons. Faites-leur vivre l’enfer. Les terroristes islamiques détestent les juifs, les chrétiens et tous ceux qui ne sont pas musulmans. Jérusalem, Paris, Rome, Amsterdam sont toutes visées ». (11)
Interrogé sur les raisons de la victoire de son parti, le numéro deux du PVV, Fleur Agema, confirme le lien avec la guerre israélienne contre Gaza : « Le 7 octobre doit avoir un rapport avec ce résultat. Quand les gens ont vu la terreur contre Israël à la télévision, ils ont compris que Geert Wilders n’est pas l’extrême droite. Qu’il est un ami d’Israël. Les gens ont vu que l’antisémitisme suinte aux Pays-Bas. Il y a eu des manifestations en faveur du Hamas, un mouvement terroriste, et cela s’est passé aux Pays-Bas ! Je pense que cela a déterminé le vote de nombreuses personnes ». (12)
Il faut finalement ajouter à la liste des causes le glissement de la gauche radicale et social-démocrate vers les positions anti-immigration de l’extrême droite, comme je l’ai déjà écrit dans « Le racisme de gauche du Socialistische Partij Nederland ». (13) Ce qui n’a fait qu’alimenter et renforcer l’extrême droite. La même chose se passe en Flandre, où le dirigeant très populaire du parti socialiste (Vooruit) a tenu des propos racistes contre les Roms, après des déclarations contre Molenbeek où il disait ne plus se sentir en Belgique.
On observe ce phénomène au Danemark où les politiques sur l’immigration de l’extrême droite sont reprises quasi à l’identique par le parti social-démocrate au pouvoir de Mette Frederiksen.
Cherchez la différence avec Wilders dans le modèle danois des socialistes dont l’objectif déclaré est d’avoir « zéro demandeur d’asile ». Ou encore : le vote en 2016 d’une loi « Bijoux », permettant de confisquer toutes les possessions d’un demandeur d’asile, et ce dès la frontière. Ou encore : le vote en 2021 d’une loi permettant d’expulser les demandeurs d’asile arrivant au Danemark vers des centres d’accueil hors d’Europe, pour y attendre la réponse à leur demande d’asile. Des négociations sont en cours avec le Rwanda, l’Érythrée et l’Égypte. Ou encore : la location de cellules de prison au Kosovo uniquement pour les criminels condamnés provenant de pays tiers. Ou encore : la qualification de quartiers comme « défavorisés » ou « ghettos », sur base du nombre de personnes non originaires de l’Union Européenne, et les niveaux de revenu, d’éducation, de chômage et de criminalité. Ou encore : la mise en place de lois spéciales pour ces quartiers, comme une peine deux fois plus sévère si des délits sont originaires de ces quartiers.
Au lieu de nous occuper de la question de savoir s’il faut ou non un cordon sanitaire contre l’extrême droite, si Wilders peut être premier ministre ou non, construisons un front antiraciste, anti-impérialiste et antifasciste autour avec les communautés issues de l’immigration et avec les demandeurs d’asile.
Unissons-nous avec la résistance palestinienne et rangeons-nous aux côtés des peuples et des pays du Sud.
C’est la seule voie pour sauver notre humanité.
Notes
(1) Anders B. Breivik A European Declaration of Independence, page 632
(2) Idem, page 1387
(3) Idem, page 589
(4) https://www.volkskrant.nl/politiek/geert-wilders-pvv-ik-geloof-in-conflict-als-model-om-vooruit-te-komen~bfd4f1e8/
(5) https://archive.nytimes.com/thelede.blogs.nytimes.com/2010/12/22/support-for-israels-settlements-from-europes-right/
(6) Haaretz, 28 août 2005
(7) Cité dans “ European Race Audit ”, BRIEFING PAPER NO.5 - SEPTEMBER 2011 Breivik, the conspiracy theory and the Oslo massacre
(8) Wilders est-il devenu plus modéré ?
(9) https://www.pvv.nl/verkiezingsprogramma.html
(10) https://www.lesoir.be/art/1137303/article/debats/cartes-blanches/2016-03-01/neoliberalisme-est-un-fascisme
(11) https://revu.nl/artikel/504278/wilders-veroordeelt-oorlog-israel-geeft-kaag-en-aboutaleb-veeg-uit-de-pan
(12) https://www.trouw.nl/politiek/fleur-agema-pvv-na-de-aanval-op-israel-heeft-iedereen-gezien-dat-geert-wilders-niet-extreemrechts-is~b72f1517/
(13) https://lukvervaet.blogspot.com/2014/05/introduction-adu-maoisme-la-gauche.html