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Les maladies mentales aux Etats-Unis

photo : la plus célèbre asile des Etats-Unis

Le déclin mondial relatif des Etats-Unis est devenu un sujet fréquent dans les débats de ces dernières années. Les partisans du point de vue post-américain mettent en avant la crise financière de 2008, la récession prolongée qui en a résulté et la montée en puissance constante de la Chine.

La plupart sont des experts en relations internationales, qui envisagent la géopolitique à travers le filtre de la compétitivité économique, et qui imaginent l’ordre mondial comme une balançoire à bascule, dans lequel montée en puissance d’un joueur implique nécessairement la chute d’un autre.

Mais la focalisation exclusive sur les indicateurs économiques a empêché l’examen des implications géopolitiques d’une tendance nationale des Etats-Unis tout aussi souvent débattue, mais par un autre groupe d’experts : les taux toujours croissants de maladie mentale grave aux Etats-Unis (qui sont déjà très forts depuis longtemps).

L’affirmation selon laquelle la propagation de la maladie mentale sévère a atteint des proportions « épidémiques » a été si souvent entendue que, comme tout poncif, elle a perdu son effet choquant. Mais les répercussions sur la politique internationale des conditions invalidantes diagnostiquées comme pathologies maniaco-dépressives (y compris la dépression majeure de type unipolaire) et la schizophrénie ne sauraient être plus graves.

Il s’est avéré impossible de distinguer, selon des critères biologiques ou symptomatiques, différentes variétés de ces états, qui constituent donc un continuum très probablement de complexité plutôt que de gravité.

En effet, la plus courante de ces maladies, la dépression unipolaire, est la moins complexe selon ses symptômes, mais aussi la plus mortelle : on estime que 20% des patients dépressifs font une tentative de suicide.

La maladie maniaco-dépressive et la schizophrénie sont des états psychotiques caractérisés par une perte de contrôle de la part du patient sur ses actions et ses pensées, un état récurrent dans lequel il (elle) ne peut pas être considéré (e) comme un agent doué d’une volonté libre.

Des pensées suicidaires obsessionnelles et un manque de motivation paralysant autorisent aussi à classer les patients atteints de dépression parmi les psychotiques.

Ces états s’accompagnent souvent d’illusions raffinées : des images de la réalité qui confondent l’information produite dans l’esprit avec celle fournie par l’environnement extérieur. Souvent la distinction entre les symboles et leurs référents se perd et les patients commencent à percevoir les personnes uniquement comme les représentations d’une force imaginaire. Le jugement de ces personnes n’est pas fiable, pour employer un euphémisme.

Une étude statistique exhaustive réalisée de 2001 à 2003 par le US National Institute of Mental Health (NIMH), a estimé à plus de 16% la prévalence au cours de la vie de la dépression majeure chez les Américains adultes (de 18 à 54 ans). La prévalence au cours de la vie de la schizophrénie a été estimée à 1,7%. Il n’existe aucun remède connu pour traiter ces maladies chroniques : après leur commencement (souvent avant l’âge de 18 ans), elles sont susceptibles de durer jusqu’à la fin de la vie du patient.

Des enquêtes auprès d’étudiants américains ont évalué que 20% des personnes répondent à des critères de dépression et d’anxiété en 2010 et que près de 25% correspondent à ces critères en 2012. D’autres études ont montré de manière systématique une augmentation des taux de prévalence pour chaque génération successive, et l’on fait valoir que si les statistiques plus anciennes sont erronées, elles le sont par leur sous-estimation de la propagation de la maladie mentale.

Tout cela suggère que jusqu’à 20% des adultes américains pourraient souffrir de maladie mentale grave. En raison de controverses sur la signification des données disponibles, supposons que seulement 10% des adultes américains souffrent de maladie mentale grave. Comme ces états sont censés se répartir uniformément au sein de la population, ils doivent affliger une part importante des décideurs, des dirigeants d’entreprises, des éducateurs et des militaires de tous grades, ce qui les classe de façon récurrente parmi les psychotiques, les délirants et les personnes dénuées de discernement.

S’il peut sembler racoleur de juger terrifiante cette situation, on peut ajouter qu’une plus large partie de la population (estimée à près de 50% d’après l’étude NIMH) est affectée par des formes moins sévères de maladie mentale, qui perturbent leur fonctions de manière seulement occasionnelle.

Les épidémiologistes comparatifs ont à plusieurs reprises noté quelque chose de remarquable à propos de ces maladies : seuls les pays occidentaux ou, plus précisément, les sociétés de tradition monothéiste, particulièrement prospères dans les pays occidentaux, sont frappées de taux de prévalence de cette ampleur. Les pays d’Asie du Sud-Est semblent être particulièrement prémunis contre la peste de la maladie mentale grave.

Dans d’autres régions, la pauvreté ou le manque de développement semblent apporter une barrière protectrice.

Comme je le soutiens dans mon dernier livre Mind, Modernity, Madness, la raison de ces concentrations élevées de troubles mentaux graves dans l’Occident développé réside dans la nature des sociétés occidentales.

Le « virus » de la dépression et de la schizophrénie, y compris dans leurs formes moins graves, est d’origine culturelle : l’embarras du choix que ces sociétés offrent en termes de définition de soi et d’identité personnelle, laisse une grande partie des individus désorientés et à la dérive.

Les États-Unis offrent le choix le plus étendu en termes définition de soi : ils sont aussi les premiers au monde à être touchés par des pathologies portant atteinte au jugement. A moins que la prévalence croissante de la psychopathologie grave ne soit prise au sérieux et traitée efficacement, elle est susceptible de devenir le seul indicateur du leadership américain. La montée en puissance de la Chine n’a aucun rapport avec ce phénomène.

Liah Greenfeld

Liah Greenfeld est professeure de sociologie, de science politique et d’anthropologie à l’Université de Boston. Elle est également professeure associée à l’Université Lingnan de Hong Kong.

»» http://lecercle.lesechos.fr/economistes-project-syndicate/autres-auteu...
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