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Le narcissisme terrifiant de ceux qui clament « bombardons-la-Syrie ».

Bombarder la Syrie : la guerre comme thérapie (Spiked)

au choix : viagra, antidépresseurs, guerre.

La guerre était autrefois la poursuite de la politique par d’autres moyens. Aujourd’hui, si l’on en croit les déclarations faites par les politiciens et les observateurs occidentaux qui veulent bombarder la Syrie veulent dire quelque chose, la guerre est désormais la poursuite de la thérapie par d’autres moyens. Le plus étonnant et troublant sur la clameur qui s’élève chez certains Occidentaux qui réclament une punition violente et rapide du régime d’Assad est sa nature crûment narcissique. Oubliez le realpolitik et la géostratégie, fini le vernis de politiquement correct étalé sur les précédentes interventions désastreuses de l’Occident pour leur donner un semblant de lustre – avec des déclarations sur la défense des droits humains jusqu’aux déclarations sur la lutte contre le terrorisme. Tout ce qui reste est l’essence même de l’interventionnisme occidental moderne : le désir de compenser une déroute morale intérieure par la mise en scène d’une épreuve de force morale fugace et grandiloquente contre un « Mal » à l’autre bout de la planète.

La chose la plus remarquable dans le débat sur le bombardement de la Syrie, en réponse à une accusation d’utilisation par Assad d’armes chimiques contre des civils, est l’absence de considérations géopolitiques, ou de réflexion un tant soit peu sérieuse sur les conséquences régionales ou internationales d’un bombardement d’une zone de guerre qui est déjà un enfer. Au lieu de cela, tout le discours porte en réalité sur un geste moral et urgent à faire, envers nous-mêmes, en tirant quelques missiles sur le Mal. Selon un membre démocrate de la commission des affaires étrangères américaine, il pourrait y avoir « des problèmes très complexes » en Syrie , mais « nous, en tant qu’Américains, avons l’obligation morale d’intervenir sans délai  ». Qui se soucie de complexité lorsqu’on a l’occasion d’étaler sa moralité ?

Toute le débat jusqu’à présent a porté non pas sur les conséquences morales potentielles d’un bombardement de la Syrie, mais sur les exigences morales de ceux qui proposent un bombardement. Le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a affirmé qu’une absence de réaction en Syrie remettrait en cause « la référence morale » de l’Occident. D’autres parlent de la Syrie comme d’un « test pour l’Europe », comme si ce pays en ruines n’était qu’une salle d’exposition destinée à accueillir un étalage de nos valeurs. Le narcissisme de ceux qui clament « bombardons-la-Syrie » est tel que l’un de ses membres décrit le massacre provoqué par les armes chimiques comme « un point d’interrogation peint en rouge-sang et destiné à la communauté internationale ». Ils sont si vaniteux qu’ils pensent que les autres se font la guerre en s’adressant à eux. Un commentateur partisan d’un bombardement a dit que la situation en Syrie « tend un miroir à la Grande-Bretagne  », et a demandé « quel genre de pays sommes-nous ? ». A l’instar de Narcisse, les va-t-en-guerre contre Assad ne se préoccupent que de leur propre image, leur propre reflet, et de savoir s’ils seront en mesure de se regarder dans le miroir s’ils renoncent à Faire Quelque Chose.

De manière étonnante, les partisans d’un bombardement de la Syrie sont incapables de réfléchir sérieusement aux questions géopolitiques et écartent consciencieusement certaines questions complexes et gênantes - tout occupés qu’ils sont dans leur quête d’un impact moral immédiat qui leur serait fourni par le largage d’une bombe sur le Mal. Un observateur a dit que bien sûr, pour une action militaire en Syrie, il n’y avait aucune « garantie de réussite », mais qu’elle offrait néanmoins, à nous les Britanniques, l’occasion de montrer notre détermination et nos principes moraux. Philip Collins, qui écrivait les discours pour Tony Blair, a ouvertement reconnu qu’ « une intervention ... entraînerait le chaos ». « Mais c’est déjà le chaos », dit-il, mais au moins le chaos que nous provoquerons permettrait de montrer toute notre « révulsion » devant les crimes d’Assad, une « révulsion trop profonde pour être simplement qualifiée d’immature ou irréaliste ». « Il est important de donner du poids à notre pulsion morale », écrit Collins.

Réfléchissez à ce qui vient d’être dit : ce n’est pas grave si notre attaque sur la Syrie ne réussit pas (à faire ce qu’elle est censée faire, ce que personne ne nous a encore expliqué), ni même si elle augmente l’effusion de sang et le chaos dans un pays meurtri. La seule chose qui importe, c’est que nous, les Occidentaux, puissions donner de la consistance – sous forme de bombes - à notre « pulsion morale ». Un tel barbarisme blasé trouve sa conclusion logique chez Norman Geras, co-auteur du manifeste pro-guerre Euston Manifesto, lorsqu’il écrit : « Puisqu’il est urgent pour nous de réagir d’une manière ou d’une autre, au nom de la solidarité, au nom de notre « héritage commun » avec les victimes, il faut prendre des mesures, même si cela signifie ajouter du chaos au chaos et (de manière implicite) que le chaos que nous provoquons est pire que le chaos auquel nous essayons de mettre un terme. »

C’est tout à fait extraordinaire. Voilà exposé ce qui est au cœur de l’interventionnisme occidental moderne - un désir de faire un étalage massif et explosif de notre « pulsion morale » et de ce qui reste de notre sens occidental de l’ « héritage commun » - et peu importe les conséquences sur le terrain ou dans le monde. A notre époque, l’intervention occidentale est de plus en plus souhaitée et mise en oeuvre, non pas comme une action spécifique et ciblée qui pourrait changer la tournure d’un conflit ou servir les intérêts géopolitiques des pays occidentaux, mais comme une sorte d’amplificateur sanguinolent de la probité présumée de la classe politique occidentale. À une époque où la politique et la moralité chez nous se trouvent dans un état de déliquescence, et où il n’y a plus grand chose qui unisse les élites ou les populations occidentales, nous nous retournons désespérément vers la scène internationale à la recherche d’une vision en noir et blanc du bien et du mal et de sens du devoir que nos dirigeants ont perdu. C’est pourquoi John Kerry dit que s’opposer au Mal en Syrie est une « conviction partagée par des pays qui sont en désaccord sur tout le reste ». Tirer des roquettes sur la Syrie pourrait simplement stimuler de manière excitante, quoique éphémère, les « pulsions morales » d’une élite occidentale en pleine confusion. Et si les choses empiraient ? Aucune importance. Ca arrive. Au moins aurons-nous exprimé notre révulsion collective.

Ce que nous avons aujourd’hui est une forme de guerre purement moraliste, consciemment détachée de questions aussi tangibles que la géopolitique, l’intérêt national et la stabilité régionale. Un interventionnisme aussi ostentatoire est plus aléatoire en termes de vies humaines que tous ceux qui l’ont précédé aux époques impérialistes ou coloniales. Ces anciens bellicistes avaient au moins tendance à se laisser guider par des objectifs politiques ou territoriaux clairs, ce qui signifie que leurs interventions suivaient une certaine logique et étaient soumises à certaines limites. Aujourd’hui, alors que la guerre est impulsée plus par le narcissisme que la politique, et que son but est plus une satisfaction émotionnelle qu’un gain territorial, il n’y a pas de limites naturelles ni de de règles pour freiner les va-t-en-guerre.

Dans un rare moment de lucidité, dans les années 1990, le politicien et penseur canadien Michael Ignatieff s’est demandé tout haut si sa demande, avec celle d’autres Occidentaux, de bombarder les Serbes de Bosnie n’avait pas été « conduite par le narcissisme ». « Nous sommes intervenus non pas pour sauver d’autres personnes, mais pour nous sauver nous-mêmes, ou plutôt une image de nous-mêmes en tant que défenseurs de la moralité universelle », a-t-il dit. Et il en est de même aujourd’hui, avec ceux qui réclament une agression occidentale contre la Syrie non pas pour sauver les Syriens, ni pour renverser le régime d’Assad, mais simplement pour que les tenants autoproclamés en Occident de la décence morale se sentent mieux quand ils se regardent dans un miroir. Dans le cadre de cette terrifiante vision narcissique du monde, la Syrie n’est pas un pays déchiré par la guerre mais simplement une scène où les moralistes occidentaux viennent se faire mousser, et ses habitants ne sont pas des êtres humains avec des besoins et des désirs, mais simplement des figurants dans une pantomime libérale occidentale où s’opposant des bons et des méchants. Lorsque Philip Collins dit que la tentation occidentale d’attaquer le Mal à l’étranger ne peut être « simplement qualifiée d’immature », il rate une occasion de se taire car le comble de l’immaturité est justement d’agir sans réfléchir aux conséquences.

Brendan O’Neill

rédacteur en chef de Spiked.

Traduction "l’immoralité au secours de la moralité, il fallait y penser" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Traduction ajustée, complétée, corrigée, améliorée et finalement lustrée grâce à une autre traduction par Dominique Muselet

»» http://www.spiked-online.com/newsite/article/syria9/13960 #.Uh36ERtJNPYf
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