La peur du saut dans le vide après un chantage éhonté au Grexit de la part de Berlin ? La volonté d’en finir avec un blocus financier qui garrotait progressivement son pays ? Jusqu’alors Alexis Tsipras et son gouvernement ont fait un quasi sans-faute. Il a su rassembler toujours plus de ses concitoyen-ne-s derrière sa politique. Il sait, pour les avoir combattu précédemment avec des arguments qui nous nous sont communs, que les mesures d’austérité sans contrepartie contenues dans cet accord ne sont pas en capacité de relancer l’activité en Grèce. Au contraire… Les libéraux de tous poils glosent sur tous les plateaux de TV : Tsipras serait tout simplement passé du statut de gauchiste invertébré à celui d’homme d’Etat… Comme si seule la soumission au libéralisme valait d’être ainsi acceptés par ceux-là même qui lui sont dévoués corps et biens. Je pense que le rôle de François Hollande n’a pas été mineur. Depuis des semaines, le président de la République explique qu’il est du côté de la Grèce. Il nous a même reçu à l’Elysée le 22 juin (je faisais partie d’une délégation de l’autre gauche) pour nous le dire explicitement au point de soutenir face à nous les refus de Tsipras de toucher aux retraites, à la TVA, au marché du travail (« c’est acceptable » nous a-t-il expliqué). A-t-il du coup gagné progressivement la confiance d’Alexis au point de pouvoir jouer le rôle du Good Cop pour accompagner progressivement ce dernier vers la signature d’un véritable mémorandum 3 ? Le rôle du Bad Cop était lui clairement attribué : Mme Merkel a agité le chantage au Grexit, une sortie de l’Euro non prévu dans les traités doit-on le rappeler, pour en faire ainsi le repoussoir ultime. Celui face auquel valait mieux soi-disant n’importe quel accord que pas d’accord du tout. C’est vrai que la marge de manœuvre de la Grèce, pays moins peuplé que la région Ile-de-France et qui dépend tragiquement des importations, n’est pas celle de la France. Dans la même situation, gouvernant la France, nous aurions un plan B réaliste car s’appuyant sur le poids de la 2ème puissance économique du continent. Il n’en est pas de même de la Grèce. Je n’ai nul désir de joindre pas ma voix à ceux qui, dans notre « camp », crient trahison en parlant d’Alexis Tsipras. Ils ne voient pas ainsi qu’ils mêlent leur voix à celles de Le Pen et des Sarkozystes trop heureux de dénigrer l’espoir ainsi soulevé. Ce n’est pas Alexis Tsipras le problème. Ce serait confondre bourreau et victime. Le problème c’est Mme Merkel et ceux qui ont soutenu son bras qui tenait le révolver sur la tempe de Tsipras, M. Hollande en tête. Le gouvernement de M. Tsipras aura résisté pied à pied pendant des mois comme aucun autre gouvernement ne l’a fait et ce dans un rapport de force ô combien inégal. A tel point que je veux encore croire à quelques surprises venant de son côté dans les jours à venir.
S’il appartient aux Grecs et à leur parlement de décider de ce qui est bon pour eux, il nous revient de faire de même pour les intérêts de la France et de l’UE puisque nos députés sont appelés à voter mercredi. Voilà pourquoi il est légitime de donner sa position sur ce texte. Pour notre part elle est sans ambiguïté. Le soutenir serait appuyer un mémorandum N°3 dont le refus a justement permis à Syriza de gagner les élections en janvier dernier.
Passons donc à l’analyse de ce texte.
La Grèce avait mis comme condition de refuser l’intervention du FMI. Dès le préambule on lui impose : « Il s’agit d’une condition préalable pour que l’Eurogroupe approuve un nouveau programme du MES. La Grèce demandera donc que le FMI maintienne son soutien (surveillance et financement) à partir de mars 2016 »
En page 2 commence l’énumération des mesures d’austérités que la Grèce se doit d’appliquer en une semaine pour valider l’accord.
Avant le 15 juillet (mercredi !) : une réforme des retraites, de la TVA, des « réductions quasi automatiques de dépenses » afin de rentrer dans les objectifs d’excédents primaires.
Pour le 22 juillet, en une semaine donc, on exige notamment une refonte du système de justice civile dans l’objectif, évidemment, de réduire les « coûts ». En une semaine…
En page 3 on s’attaque à la dérégulation du marché du travail : « ouverture des magasins le dimanche » et dérèglementation de plusieurs professions (pharmacies, lait et boulangeries, transports par ferry…), « modernisation » (comprendre dans la novlangue libérale moins de protection pour les salariés) des négociations collectives, de l’action syndicale, des procédures de licenciement collectif. On n’oublie pas non pus les privatisations à commencer par l’électricité.
Au passage il y a ce qui est dans le texte et ce qui en est absent. Si on y décrit avec forces détails les mesures libérales, il n’y a rien ou presque sur les réformes de l’Etat pourtant revendiquées depuis longtemps par Syriza et balayées par l’Eurogroupe : lutte contre la corruption, taxation des richesses dont les armateurs… Manifestement ce n’est pas cela qui intéressait ceux qui tenaient la plume. Pourtant ils n’en finissent pas de critiquer le manque d’Etat en Grèce.
Le pire est évidemment dans la perte de souveraineté de la Grèce. C’était la raison première de la victoire de Syriza en janvier : refuser le contrôle de la Troïka (appelée « institutions » dans le texte). Elle revient en force.
Il appartient ainsi à la Commission européenne de superviser un programme « de renforcement des capacités et de dépolitisation de l’administration publique grecque » toujours dans l’objectif de réduire les coûts. Autrement dit elle passe sous contrôle européen et on attend avec inquiétude ce que veut dire « dépolitisation ». Si tout cela voyait le jour il ne ferait pas bon être un fonctionnaire anti austérité dans l’administration grecque dans les années à venir.
On peut parler sans exagération de mise sous tutelle : « Le gouvernement doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement ».
Quand au Fonds censé garantir les prêts qui seront consentis à la Grèce, il est certes localisé en Grèce, et non plus situé au Luxembourg sous la présidence de Mr Schäuble (cette annonce semblait une telle provocation qu’elle apparaît aujourd’hui comme un leurre ayant servi à faire avaliser tout le reste) mais « sous la supervision des institutions européennes concernées ». Cela ne change donc rien.
Viennent les dispositions et phrases que l’on pourrait qualifier de volontairement vexatoires :
Toutes les lois votées depuis février, à l’exception des mesures humanitaires, doivent être annulées.
Si on demande à la Grèce de s’engager fermement à appliquer l’accord, l’autre partie n’est pas pareillement engagée. Il est en effet indiqué que « Les engagements énumérés plus haut correspondent au minimum exigé pour entamer les négociations avec les autorités grecques. Toutefois, le sommet de la zone euro a clairement indiqué que le fait de commencer des négociations n’exclut pas la possibilité d’un accord final sur un nouveau programme du MES, qui devra reposer sur une décision relative à l’ensemble du paquet ». Autrement dit tout pourra être durci de façon unilatérale par la Troîka.
Enfin le texte contraint également le gouvernement Grec à une autocritique aussi dont le rôle est exclusivement humiliant. L’accord explique en effet que « Cela (la situation) est dû au relâchement des politiques au cours des douze derniers mois, quia entraîné la dégradation récente de l’environnement macroéconomique et financier du pays ». _
A l’inverse l’Eurogroupe est décrit comme ayant toujours agit avec sagesse : « Le sommet de la zone euro rappelle que les Etats membres de la zone euro ont, tout au long de ces dernières années, adopté une série impressionnante de mesures pour soutenir la viabilité de la dette de la Grèce… ».
Les contreparties ?
Rien ne change du côté du financement accordé aux Grecs. On sait que depuis 2010 les prêts accordés à la Grèce ont servi à 80 % à rembourser les intérêts de ceux même qui ont spéculé sur sa dette souveraine et seulement à hauteur de 20 % aux Grecs eux-mêmes. Il en est quasiment de même.
Car si le texte se contente de « prendre acte » des besoins de financement à moyen terme de la Grèce estimé entre 82 et 86 MDS d’euros et à court terme (il « prend acte » rien de plus pour le moment), il est par contre précis sur les 50 milliards de prêts du MES : « un montant total fixé à 50 milliards d’euros, dont 25 milliards d’euros serviront au remboursement de la recapitalisation des banques et d’autres actifs, et 50 % de chaque euro restant (c’est-à-dire 50 % de 25 milliards d’euros) serviront à diminuer le ratio d’endettement, les autres 50% étant utilisés pour des investissements ». Un quart de celui-ci seulement servira donc aux investissements, le reste allant aux créanciers…
Et l’échelonnement de la dette ? On entre là dans l’hypothétique et conditionnel : « ’Eurogroupe est prêt à envisager, si nécessaire, d’éventuelles mesures supplémentaires (un allongement éventuel des périodes de grâce et des délais de remboursement) afin de faire en sorte que les besoins bruts de financement demeurent à un niveau soutenable. Ces mesures seront subordonnées à la mise en oeuvre intégrale des mesures à convenir dans le cadre d’un nouveau programme éventuel et seront envisagées après le premier réexamen qui aura abouti à un résultat concluant ». Autrement dit pour l’espérer la Grèce devra non seulement appliquer les mesures contenues dans l’accord mais aussi celle d’un nouveau programme que l’on imagine plus drastique encore…
Voilà le nouveau diktat imposé à la Grèce. Il la condamne à l’austérité à durée seulement déterminée par le bon vouloir de la Troïka. Il la place dans le rôle d’un protectorat. Dans l’état chacun sait déjà que ce texte ne sera pas plus tenable que les précédents mémorandums. Il s’agit donc bien d’imposer une défaite politique à un gouvernement et à un peuple qui ont osé soulevé le joug austéritaire. Pas sûr cependant que ce peuple s’avoue vaincu aussi rapidement. Il a, par le passé, lors de l’occupation allemande, contre « ses » colonels, depuis janvier dernier su rappeler que la démocratie était née à Athènes et qu’on sait résister pour la conserver. Plus que jamais il faut donc soutenir le peuple Grec. Cela commence par voter non à l’assemblée nationale mercredi.
Eric Coquerel
Secrétaire national du PG et conseiller régional d’Ile de France.