RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Erreurs de communication (2)

Jusqu’au Penelopegate, personne ne soupçonnait qu’il puisse exister un rapport entre la moralité d’un candidat et le contenu de son programme, même si le programme en question consiste à piller le pays de fond en comble. « Quand j’ai voté pour lui à la primaire c’était avant tout pour un projet », souligne Etienne, membre éminent de la normalosphère. « Moi je vote sur un programme. Y a t-il un autre candidat qui propose de réduire le déficit et la dette de notre pays ? Voter pour un « sympathique candidat » qui financera ses promesses sur le dos des générations futures, n’est-ce pas un peu superficiel comme attitude ? » renchérit Les points sur les i, impatient de voter pour un candidat qui ne promet rien, et ne financera rien. On ne compte pourtant plus ceux qui élection après élection, jurent de nous étrangler à mains nues s’il le faut pour « réduire le déficit et la dette de notre pays », et aboutissent systématiquement au résultat inverse, c’est-à-dire à une explosion sans précédent de ce qu’ils avaient soi-disant entrepris de réduire, ne laissant aux générations futures que leurs yeux pour pleurer. Le vote des « cocus de la primaire » procède donc de la foi au sens strict, décuplée par la force de l’habitude, comme celle de tous les cocus dignes de ce nom.

(Re)dresser le pays

Il ne s’agit pas pour autant d’une croyance nigaude en l’amélioration de nos conditions d’existence (sur laquelle nous avons tiré un trait depuis longtemps), mais du vague espoir d’arriver à passer au travers des mailles du filet, en adoptant le profil le plus bas possible, qui est un des traits saillants du génie français. Classée depuis peu 5e puissance économique mondiale (Le Figaro, 06/10/16), la France n’a jamais été aussi proche de la faillite et comptera bientôt quelque 9 millions de pauvres, contre qui nous n’avons rien, mais dont nous voudrions si possible éviter de faire partie [1]. Comment faire pour ne pas aggraver notre cas ? Existe-t-il encore une chance d’apaiser les marchés ? D’après Fillon, c’est loin d’être gagné : « nous sommes le pays le plus endetté de tous les grands pays développés », claironne-t-il à longueur de journée. Si nous tenons à garder la tête hors de l’eau, il va falloir y mettre le prix.

En période électorale, c’est à chaque fois le même casse-tête qui revient : comment faire pour que le débat politique n’en profite pas pour s’introduire dans nos vies, qui sont déjà assez compliquées comme ça ? Sous bien des aspects, la candidature de Fillon répond à cette préoccupation puisqu’avec lui, il n’y a pas vraiment de choix : c’est la bourse ou la vie. C’est lui, ou les extrêmes (bien que la différence ne saute pas aux yeux). De même que la violence au cinéma est souvent présentée comme un gage de réalisme, la rhétorique punitive a quelque chose qui inspire confiance, c’est pourquoi nous prenons davantage en considération celui qui nous colle un couteau sous la gorge que celui qui se contente d’appeler à l’aide. Capable de rançonner jusqu’à ses propres enfants, le candidat de la droite et du centre ne manque donc pas de crédibilité.

En notre qualité d’électeurs souverains, nous allons d’abord à la rencontre d’un homme (voire d’une femme), avec l’espoir qu’il déclenchera assez de buzz autour de sa personne pour nous faire oublier l’abomination de son programme, et accepter le sort qui nous attend. Là encore, Fillon dépasse tout ce qu’on pouvait rêver. Mis en examen avec bientôt toute sa famille, il n’a à la bouche que la machination dont il est l’objet, et qui vise justement, selon lui, à le « faire taire ». Si la tornade médiatico-judiciaire qui s’est abattue sur lui a semé le trouble parmi sa garde rapprochée – composée de personnes souvent émotives, comme l’ineffable Bruno Le Maire – elle a en revanche galvanisé une base avide d’alternance, c’est-à-dire de continuation de la même chose, en pire si possible. « Ça me profite », analyse-t-il. « Ça provoque chez les Français un réflexe démocratique. Plus on m’attaque, plus je suis en forme. » (Mediapart 25/03/17). L’aplomb avec lequel il se parjure en permanence n’est pas pour rien dans cette embellie : « je ne le pensais pas aussi solide, c’est bon pour la France », observe une militante de 76 ans (Le Point 16/03/17).

Si Fillon veut bien reconnaître « quelques erreurs, notamment dans sa communication de crise » (Le Lab Europe 1, 14/02/17), la telenovela du Penelopegate a permis finalement de maintenir la campagne à un niveau intelligible par tous, en dépolitisant le débat au profit d’une approche plus intime : « Je ne considérais pas que je faisais de la politique » avoue justement Penelope Fillon au JDD le 04/03/17 – ce qui la rend soudain proche de nous, qui n’avions pourtant jamais entendu parler d’elle. Quelque part, nous n’avons aucune peine à nous reconnaître dans ce mélange d’ignorance, de soumission et d’effacement. Il ne reste plus à Fillon qu’à « casser la baraque et stupéfier le système », selon ses propres dires (Franceinfo 01/04/2017), car à présent c’est clair, il « ne peut pas perdre », estime Arno Klarsfeld dans l’Express du 20/02/17. « Parce que juridiquement et moralement, il n’est pas pire que les autres [sic]. Et que pour le reste, il est meilleur » – contrairement (toujours selon Arno Klarsfeld) à Emmanuel Macron. Mais tous ne sont pas de cet avis.

Le désert des Tartares

Si nous voulons savoir quel président nous allons élire le mois prochain, le plus simple est d’interroger le président du MEDEF, car il a l’habitude de le choisir pour nous. Et une qualité que nul ne peut nier à Pierre Gattaz, c’est l’exigence : l’Etat a beau lui injecter des dizaines de milliards par an, il lui en faut toujours plus. Tout aussi intransigeant dans le domaine des ressources humaines, Gattaz n’a pas attendu les révélation du Canard pour émettre des doutes sur la campagne de Fillon, qui emporté par sa dévotion sans limites pour la cause patronale, risque de mettre « le feu au pays », et « ce n’est pas bon » (BFM BUSINESS, 18/01/17). Du coup notre prophète national penche plutôt pour Macron, qu’il trouve « tout à fait intéressant », bien qu’il avoue ne rien savoir de son programme (ce qui est bien naturel). Autrement dit : n’importe quoi sauf Fillon. Car même si celui-ci est parvenu à incarner assez brillamment le vide politique et l’absence totale de perspectives, sa véritable erreur de communication est d’avoir cru qu’un candidat devait quand même arriver avec un programme sous le bras, aussi consternant soit-il. Tandis que pour Emmanuel Macron il n’y a rien de plus absurde, lorsqu’on est candidat à une élection, que d’avoir un programme : « c’est une erreur de penser que le programme est le cœur d’une campagne », professe-t-il (et il le prouve).

Comme tout larbin trop zélé pour être honnête, Fillon aurait-il fini par susciter une certaine défiance chez ses employeurs ? Il ne faut pas oublier que ceux-ci vivent dans la hantise permanente d’une réaction sociale – ce qui, dans un sens, est compréhensible : lorsqu’on s’apprête à commettre un hold up (comme par exemple une énième augmentation de la TVA), on a toujours une petite boule au ventre. Et on ne rêve que d’une chose, que tout se passe vite et en douceur. Objectivement cette frayeur peut sembler ridicule tant la population française, ravagée elle aussi par la trouille, a pris l’habitude de se laisser dépouiller sans opposer de résistance. Mais il faut également se mettre à la place de Gattaz et de ses camarades, qu’une telle constance dans la reculade finit par déconcerter. Est-ce que cela peut réellement durer toujours ? Au MEDEF c’est un peu comme dans Le désert des Tartares, à force de vivre dans l’obsession d’une contre-attaque qui n’arrive jamais, on en vient à croire que le moindre erreur de communication pourrait mettre le feu aux poudres. Dans ces conditions, n’est-il pas hasardeux, ou en tout cas prématuré, de se faire représenter par un individu aussi connoté politiquement que le maréchal Pétain ?

De toute façon, lorsqu’il s’agit de mener une politique authentiquement patronale (mise à sac des services publics, précarisation de l’emploi, etc.) mieux vaut éviter de se tourner vers les leaders de droite, tout juste bons à rouler des mécaniques mais incapables de finir le travail, tellement on leur a appris dès l’enfance à se représenter le peuple comme une meute cherchant à les décapiter. Plus fiables, les leaders de gauche haïssent tout autant – sinon plus encore – le peuple, mais ont moins peur de lui cracher à la figure. Le revers de la médaille c’est que plus personne n’en veut, ni l’électorat de gauche, qui a fini par s’apercevoir qu’ils étaient de droite, ni l’électorat de droite, qui continue à croire qu’ils sont de gauche. Comment se sortir de là ? Face à un personnel politique aussi dévalué, quels fonds de tiroirs peut-on encore racler ?

Il n’y a pas eu à chercher bien loin pour dénicher l’oiseau rare : en effet, la chance a voulu que le mouvement résolument « apolitique » d’Emmanuel Macron soit intimement lié à l’Institut Montaigne, le lobby ultralibéral à qui on doit les chapitres les plus saignants de l’évangile selon Fillon. Comme à son habitude, Macron s’empresse de clarifier les choses : bien qu’hébergé au domicile particulier de son directeur (Mediapart 07/04/16), « En Marche n’a et n’a jamais eu aucun lien d’aucune sorte avec l’Institut Montaigne », jure-t-il par tous les saints, tout en faisant disparaître l’adresse exacte d’En Marche sur son site de campagne. Issu d’un processus comparable à l’Immaculée Conception, Macron ne saurait avoir aucun lien avec personne, parce que c’est en quelque sorte le pluralisme à lui tout seul. Avec lui, finis les clivages et autres vieilleries : de quelque côté qu’on se tourne, il n’y a plus d’alternative.

La pédagogie du désespoir

Le programme de Macron, ce sont ses électeurs qui en parlent le mieux : Yves Gonnord, 80 ans, ex-patron de Fleury-Michon, fait partie de ceux qui n’en peuvent plus des erreurs de communication de François Fillon. Et pour la première fois de sa vie, il ne votera pas à droite, mais à droiche : « Etre jeune, ce n’est pas un défaut, au contraire », se console-t-il. « Et sur le plan économique, Macron a un programme très proche de celui de Fillon » (Le Parisien, 16/03/17). A grand renfort de paillettes, le renouveau (sang et larmes à tous les étages, mais avec le sourire) est donc en passe de surplomber l’alternance.

Car selon Macron, « la politique, c’est mystique ». Grand mystique lui aussi, le patron du MEDEF nous indique la seule voie possible, celle du « pragmatisme » (ou comment joindre l’inutile au désagréable) : « Moi, je ne fais pas de politique du tout [...] Il faut arrêter de politiser le dialogue social, arrêter de politiser l’économie de marché » implore-t-il sur France Inter le 07/04/16. Idéalement, il faudrait aussi arrêter de politiser l’élection présidentielle. Nous nous y efforçons tous, mais malheureusement « Le débat présidentiel n’a pas sonné la fin du clivage droite-gauche », s’inquiète Le Monde du 05/04/17, à l’unisson avec ses fidèles lecteurs : « Quand va-t-on enfin sortir de cet archaïsme Gauche / Droite ? », trépigne Bip.

Chacun s’accorde à reconnaître que l’enjeu primordial d’une campagne électorale c’est de dévitaliser le débat, dans l’intérêt même de la démocratie, qui est quelque chose de très fragile. Même si on ne peut pas décemment reprocher à Fillon d’être quelqu’un d’intelligent, il y a en lui une aspérité propre à susciter des réticences, et les réticences ne font pas de bien au « dialogue social » tel que le conçoivent Gattaz et ses compagnons de lutte, plutôt partisans du monologue social. Avec Macron, ils ont mis la main sur un concept encore plus vendeur que le désespoir : le néant. « Macron [...] n’a pas d’idées aventureuses, et c’est tant mieux pour notre pays », s’enthousiasme rantanplan, un autre lecteur du Monde.

Il faut dire que l’ancien ministre de l’Economie fait l’unanimité dans la presse, où son incompétence est reconnue de tous : « un bilan économique global peu convaincant », « une croissance toujours en dents de scie », « sur le front du chômage, le bilan est peu reluisant », d’après Le Monde du 30/08/16. Pour Les Echos, « il faut reconnaître que les résultats sont maigres ». D’où l’étonnement de cette même presse face à la ferveur délirante qu’il suscite dans le pays, si on en croit les enquêtes d’opinion qu’elle est bien forcée de diffuser. Capable de mettre en transe des salles à moitié vides, comme à La Réunion ou à Marseille, Macron est sans conteste un phénomène inédit, à se demander pourquoi les enquêtes en question ne lui accordent que 25% d’intentions de vote, alors qu’il mérite au moins le double [2].

Lors du débat télévisé du 21/03/17, le jeune leader d’En Marche lève enfin le voile sur son programme : il veut une « politique française forte et responsable », ce qui est franchement une bonne nouvelle. A Marseille, il n’hésite pas à commenter l’actualité : « Quand je regarde Marseille, je vois une ville française », s’exclame-t-il. A Toulon, il se radicalise : « je revendique le droit de défendre la liberté radicale et la justice sociale radicale ». Ceux qui redoutent que Macron, fort de l’appui des masses qu’il soulève sur son passage, ne fomente une révolution, peuvent toutefois se tranquilliser en relisant sa fameuse loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », imposée à coups de 49.3 en juillet 2015 et dépeinte par Le Monde diplomatique comme « un océan de reculs sociaux » : « si le projet apparaît comme un fourre-tout, il n’en possède pas moins une grande cohérence idéologique, que l’on peut résumer d’une formule : ‘Toujours moins’ ».

Les 4% de la population qui voulaient encore de François Hollande ont enfin trouvé un débouché, et tout ce que le troisième âge compte d’esprits novateurs (Delanoë, Douste-Blazy, Bayrou, Collomb, Hue, Le Drian...) se rue sur cette soupe, qui si elle n’est pas populaire au plein sens du terme, semble en tout cas ragaillardir ces idéalistes en mal de repères. « Cette capacité à rassembler au-delà des clivages partisans force l’admiration », s’extasie La Croix du 24/03/17. Il est vrai qu’avec ce fan club digne de La chance aux chansons, on ne voit plus trop ce qui pourrait arrêter Emmanuel Macron, qui se présente à bon droit comme « le garant du renouvellement des visages » (Valeurs actuelles, 29/03/17).

Olivier Foreau

»» https://normalosphere.wordpress.com/2017/04/11/erreurs-de-communication-2/

Notes

1. "88 % de la population estime que la pauvreté va augmenter dans les cinq prochaines années, chiffre en hausse depuis 2004. [...] Un quart de la population estime qu’il y a un risque personnel pour elle de devenir pauvre [...] et 12 % se sentent déjà pauvres et ne peuvent donc pas le devenir." (Observatoire des inégalités, 24 février 2017)

2. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis : « A deux semaines du 1er tour de l’élection présidentielle, Pierre Gattaz, le président du Medef, se prononce clairement pour François Fillon », nous apprend Le Parisien du 09/04/17. Les voies du Pragmatisme sont parfois impénétrables.


URL de cet article 31750
   
Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.
Bernard GENSANE
Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

La liberté de la presse est la liberté que les capitalistes ont d’acheter des journaux et des journalistes dans l’intérêt de créer une opinion publique favorable à la bourgeoisie.

Karl Marx

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.