L’affaire du commerce des indulgences fut le déclencheur de la Réforme protestante. Une "indulgence" c’est la possibilité, dans l’Eglise catholique romaine, de racheter ses péchés par des prières, des pélerinages ou des dons.
Au fil du temps cette pratique était devenue un commerce lucratif, d’abord dénoncé par l’Anglais John Wyclif puis le Tchèque Jan Hus qui sera brulé vif comme hérétique.
Mais au début du 16e siècle l’Eglise franchit un pas supplémentaire.
Afin de financer la construction de la basilique Saint Pierre de Rome, le Pape vend "en gros" des indulgences à l’archevêque Albert de Brandebourg qui les fait ensuite revendre aux fidèles, le Pape prélevant au passage une commission.
Martin Luther, un moine augustin allemand, théologien et professeur d’université dénoncera cette dérive dans ses "95 thèses". Celles-ci vont circuler largement en Europe grâce à l’imprimerie qui jouera un rôle considérable dans le développement de la Réforme.
L’acte fondateur du protestantisme est une rupture. Celle de Luther qui refuse en 1521, à la Diète de Worms, de se rétracter "car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience ». Mais derrière le combat théologique de la Réforme c’est une lutte plus décisive qui se mène. Contre un pouvoir politique et matériel, bien réel, celui de l’Eglise et du Pape. C’est d’ailleurs l’analyse qu’en fera Engels trois siècles plus tard.
S’appuyant sur les Evangiles, Luther veut, non seulement corriger les abus de l’Église catholique, mais aussi sa doctrine. La messe ne sera plus célébrée en latin et il n’y aura plus de culte de la Vierge et des saints.
Il est excommunié par le Pape, mais grâce à l’appui de Frédéric le Sage, Prince électeur de Saxe, il met en oeuvre la Réforme et organise une nouvelle Eglise en Allemagne. Son ami et bras droit, Philipp Melanchton, se préoccupe de concilier la Réforme et l’humanisme chrétien. Il affirme le pouvoir de l’État face à la suprématie de l’Église.
Luther est aussi musicien et donne au chant une place renouvelée dans les offices religieux. Ce qui a contribué au développement de la musique dans les pays de langue allemande. Jean Sébastien Bach, dont les thèmes de la Réforme imprègnent cantates et oratorios, en est l’exemple le plus remarquable.
Lors d’une révolte des paysans allemands pour s’affranchir du servage ceux-ci espèrent le soutien de Luther. Il évitera pourtant tout ralliement à leur cause ce qui lui est encore reproché aujourd’hui. Tout comme son soutien au Prince électeur de Saxe dans son rejet des communautés juives.
La Réforme luthérienne se répandra également en Suède, en Norvège et au Danemark sous l’impulsion des souverains. Et dès 1520 les idées de Luther traversent la France, mais les autorités y font barrage.
Des humanistes chrétiens, dont Erasme, prônent le retour aux textes originaux de la Bible et des Evangiles et en viennent à critiquer de nombreux rites et pratiques de l’Eglise romaine. Ces idées novatrices circulent dans les milieux érudits et atteignent aussi l’entourage du roi François 1er dont sa soeur Marguerite d’Angoulême.
Les "protestants" de l’époque appartiennent surtout à l’élite sociale sachant lire : clercs, étudiants, imprimeurs, artisans du textile, libraires ... A l’initiative de la Sorbonne, des autorités ecclésiastiques, et avec l’assentiment du Roi, ils seront condamnés comme hérétiques : amendes, prison, bûcher ! Pourtant, sous l’influence de Jean Calvin, une nouvelle Église se structure en rupture avec l’Église romaine.
Après des études de droit Calvin s’est tourné vers la théologie et les lettres. Il apprend le grec, l’hébreu et fréquente les milieux humanistes où se discutent les idées nouvelles. Il plaide pour une séparation du religieux et du politique, mais à y regarder de près sa position semble plus complexe. Par crainte des persécutions il s’exile à Genève qui vient d’adopter la Réforme.
Contrairement à Luther, Calvin se méfie des lectures médiévales de la Bible. Il dénonce en particulier la confusion entre le sens littéral et le sens figuré. Il fait adopter, pendant le culte, le chant des psaumes traduits en français par Clément Marot. Il publiera de nombreux ouvrages, très diffusés, dont "l’Institution de la religion chrétienne", d’abord en latin puis en français, ce qui était tout à fait nouveau pour un traité de théologie. On peut y lire en particulier que la foi est personnelle et n’a pas besoin de l’intermédiaire de l’Eglise, que le droit au Paradis ne s’achète pas et que seule compte l’Ecriture.
Il n’hésitera pas à user de l’ironie pour critiquer le culte païen des reliques, comme ici : "Si on voulait ramasser tout ce qui s’est trouvé de pièces de la vraie croix il y en aurait la charge d’un bon grand bateau !"
Calvin aura malheureusement sa part de responsabilité dans la condamnation au bûcher, pour des questions de doctrine, de Michel Servet brillant médecin et théologien humaniste espagnol. Ce qui déclenchera une vive polémique ... toujours pas éteinte.
A partir de 1555 de nombreuses Eglises réformées sont créées en France. La première à Meaux, mais on les trouve surtout dans le midi (Provence, Languedoc, vallée de la Garonne, Aunis, Saintonge ...). Un synode, clandestin, en fixera les règles de fonctionnement, inspirées de Calvin. Le culte doit se faire dans la langue des fidèles et non plus en latin, l’église locale est dirigée par un Conseil dont les membres sont élus. Une grande place est accordée à l’éducation afin que chacun puisse lire lui-même la Bible. Le Temple n’est pas un lieu sacré et le Pasteur est un homme comme les autres.
La Réforme s’étend désormais aux couches populaires notamment dans les villes et chez les artisans. Mais également dans de nombreuses zones rurales comme le Vivarais, les Cévennes, le Tarn ou la Drôme. La noblesse, elle, adhère massivement à la Réforme, surtout dans les provinces du Sud. Sortant de la clandestinité, cette opposition prend désormais un tour politique. Les réformés aspirent à une reconnaissance légale et se heurtent au pouvoir royal.
Les guerres de religion vont commencer. Huit guerres vont se succéder entre 1562 et 1598 qui verront s’affronter troupes protestantes et catholiques et vont ravager la France. Avec cette nuit sanglante du 23 au 24 août 1572, le massacre des protestants à la Saint Barthélémy, une tuerie sauvage qui fera 10 000 morts.
Les guerres s’achèvent par l’Edit de Nantes signé par Henri IV le 30 avril 1598 qui instaure la coexistence religieuse. Mais elles reprennent avec Louis XIII. En 1627, son ministre le Cardinal de Richelieu organise le siège de La Rochelle qui durera plus d’un an. Les troupes royales y feront des milliers de morts. Privas, en Ardèche, subira le même sort.
Et les persécutions vont aller croissant sous le règne de Louis XIV qui interdit la plupart des professions aux protestants, fait démolir leurs temples et les oblige à abjurer sous la contrainte. Ce seront aussi les "dragonnades" de sinistre mémoire qui consistaient à loger les soldats du Roi chez les protestants pour obtenir leur abjuration "par tous les moyens".
En 1685 Louis XIV signe l’Edit de Fontainebleau qui révoque l’Edit de Nantes et interdit tout exercice de la religion protestante, toute émigration, bannit les pasteurs, confisque les biens des récalcitrants ... L’interdiction d’émigrer est un cas unique dans le droit européen du XVIIe siècle puisqu’il contraint des centaines de milliers de personnes à se convertir à la religion du Roi sans même leur laisser la possibilité minimale de quitter le territoire.
Sont désormais condamnés à mort : des pasteurs, les passeurs qui aident à quitter le Royaume et les fidèles surpris dans une assemblée clandestine interdite. La mort est donnée dans des conditions terribles : tortures, puis supplice de la roue ou du bûcher, pendaison dans le meilleur des cas.
C’est la période du "Désert" : la religion réformée se pratique en famille, en cachette, des assemblées secrètes ont lieu dans des endroits reculés, les sermons, les livres et les Bibles circulent clandestinement.
Les femmes qui refusent d’abjurer sont envoyées en prison. En particulier à la Tour de Constance d’Aigues Mortes. Elles y mourront ou y passeront jusqu’à 38 ans comme Marie Durand. C’est elle, ou une des quelques 200 prisonnières moins connues, Marie de la Roche, Isabeau Sautel, Marie Vernes, Marie Vérilhac ... qui gravera sur la margelle du puits : "Register" (Résistez !), inscription toujours visible aujourd’hui.
Les hommes, eux, sont envoyés aux galères. Plus de 1 500 "galériens pour la foi" y passeront jusqu’à 30 années de leur vie pour n’avoir pas voulu renier leur foi, mais la plupart meurent très rapidement. Voltaire, interviendra pour demander la libération de l’un d’entre eux, Jean Pierre Espinas, ainsi que la restitution de ses biens.
Il défendra également d’autres victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire, en particulier Jean Calas, marchand protestant de Toulouse exécuté sans preuves. Il obtiendra sa réhabilitation après avoir publié en 1763 son "Traité sur la Tolérance".
Bien qu’interdit, l’exil de nombreux protestants vers les pays du "Refuge" (Suisse, Allemagne, Pays Bas, Grande Bretagne) aura des conséquences économiques. Pas tant par le départ des capitaux, difficiles à sortir, que par celui des savoir-faire, surtout dans les domaines du commerce, de l’artisanat, de l’imprimerie ou du textile, qui manqueront à la France et iront renforcer ses concurrents européens.
Si l’attitude du clergé catholique a varié du zèle à l’indifférence dans la dénonciation des protestants, on connait malgré tout quelques curés qui ont préféré protéger les victimes potentielles, par exemple en signant des "certificats de bons catholiques" ... à des huguenots notoires !
Le statut de "non catholique" pose un problème souvent ignoré : celui de l’état civil. En effet les mariages des protestants sont juridiquement nuls puisque pas enregistrés par l’Eglise. D’où de nombreuses contestations, des problèmes d’héritages, de reconnaissance des enfants ...
Et des voix se font entendre pour mettre fin à cette proscription des protestants, comme La Fayette, de retour de la guerre d’indépendance américaine ou le Ministre d’Etat Malesherbes. Qui aboutiront à l’Edit dit "de tolérance" signé par Louis XVI en novembre 1787 : le mariage "non religieux", donc civil, est désormais autorisé, ainsi que les déclarations de naissance et de décès.
Mais la liberté de conscience ne leur sera accordée qu’à la Révolution avec la Déclaration des Droits de l’Homme, et la liberté du culte, par le texte constitutionnel du 3 septembre 1791. Et en 1795 c’est le républicain protestant Boissy d’Anglas qui est l’auteur du rapport à l’origine du Décret qui pose le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Le XIXe siècle verra la réussite de nombreuses entreprises protestantes (industrie textile et lainière, industrie sidérurgique naissante, ou banques d’affaires). La nature des convictions religieuses et une conduite de vie ascétique ont-elles eu des répercussions jusque dans le domaine économique ?
Cette analyse a été rendue célèbre par l’ouvrage de Max Weber "l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme" mais ne fait pas l’unanimité. En effet, si on peut constater un souci, partagé, d’organisation rationnelle, le retour des exilés du Refuge et les liens tissés dans toute l’Europe ont sans doute joué un rôle dans ces réussites. A l’exemple de la Banque Vernes, aujourd’hui Banque Palatine, créée au retour en France d’une famille protestante ardéchoise, réfugiée en Suisse après la révocation de l’Edit de Nantes.
En 1871 des protestants vont participer à la Commune de Paris. Parmi eux, Elisée Reclus, fils de pasteur, géographe, écologiste avant l’heure, républicain et anarchiste. S’il a rejeté le christianisme, la morale et l’humanisme resteront la base de sa pensée politique et sociale.
Et le colonel Louis Nathaniel Rossel, qui sera le seul officier supérieur français à combattre avec les insurgés : issu d’une riche famille cévenole il choisira d’obéir à sa conscience plutôt qu’à la hiérarchie militaire. Profondément républicain et soucieux de justice sociale, il sera fusillé à 27 ans par les Versaillais afin "de faire un exemple".
Le Général de Gaulle lui rendra un vibrant hommage dans son ouvrage Le Fil de l’Épée. Le futur chef de la France Libre saluait en Rossel l’archétype du Résistant : « Face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère ... Et loin de s’abriter sous la hiérarchie, de se cacher dans les textes, de se couvrir des comptes-rendus, le voilà qui se dresse, se campe et fait front " ...
La fin du siècle sera marquée par un antiprotestantisme alimenté par Charles Maurras. Qualifiés "d’ennemis de la nation" pour leur soutien massif au Capitaine Dreyfus les protestants s’attireront les foudres de la droite qui dénonce une collusion judéo-protestante.
Parmi ces nombreux dreyfusards, le député Francis de Pressensé, un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme qui contribuera ensuite activement à l’élaboration de la Loi de 1905 sur la laïcité avec, entre autres, Raoul Allier. La commission parlementaire "relative à la séparation des Eglises et de l’Etat" sera d’ailleurs présidée par un protestant, Ferdinand Buisson. Prix Nobel de la Paix en 1927, il mènera un combat constant en faveur de l’enseignement laïque à travers la Ligue de l’Enseignement.
Tout comme Pauline Kergomard, la cousine d’Elisée Reclus, cette institutrice à l’origine de la création des écoles maternelles. L’influence des protestants fut en effet décisive sur l’autre grande réalisation de la Troisième République : l’école et l’enseignement laïque, gratuit et obligatoire.
Et Jules Ferry leur rendra hommage : « Le protestantisme a été, dans l’histoire moderne, la première forme de la liberté. Notre évangile politique est aussi le vôtre. La révolution de 1789, dont notre république est le développement logique, a été faite en partie par vous : elle est pour vous la date de l’affranchissement définitif. Nous vous saluons donc."
Les protestants s’élèveront précocemment et très largement contre les mesures de persécution des Juifs prises par le régime de Pétain. Le 26 mars 1941, au nom de l’Église Réformée de France, le Pasteur Marc Boegner écrit une lettre de solidarité au grand rabbin Isaïe Schwartz. Cette première déclaration publique d’une Église chrétienne contre la persécution des Juifs est largement diffusée en zone Sud : elle aura une grande influence sur le comportement des protestants.
S’ils furent nombreux dans les réseaux de la résistance intérieure ils ont été plus hésitants à s’engager dans la résistance armée, sans doute animés par une tradition de pacifisme réfractaire à toute violence.
Parmi eux, André Philip, un des 80 députés qui refuseront de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, participera à la Résistance au sein du réseau Libération Sud et rejoindra le Général de Gaulle à Londres. Très tôt engagé dans l’éducation populaire, il est à l’initiative de la création en 1944, de la « République des Jeunes » qui préfigure la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture dont il assurera la présidence jusqu’en 1968.
Le rôle de la Cimade, avec à sa tête Madeleine Barot, sera également capital sous l’occupation. Véritable précurseur de l’aide humanitaire elle apportera aide aux Juifs et aux internés, fournissant faux papiers et organisant des réseaux de passage en Espagne ou en Suisse.
Madeleine Barot et Marc Boegner seront distingués "Justes entre les Nations" par l’institut « Yad Vashem » ainsi que de nombreux protestants, sans oublier la communauté du Chambon-sur-Lignon, seul exemple français d’attribution collective.
En 1956, c’est encore André Philip qui s’oppose à la répression sanglante menée en Algérie par le Gouvernement Guy Mollet, dans son pamphlet "le socialisme trahi". Il dénonce l’ignorance du problème colonial algérien mais aussi de l’Islam et du Maghreb, et refuse qu’au nom d’une idéologie soient utilisés des "moyens déshonorants".
Si la minorité protestante a été nettement ancrée à gauche à la fin du XIXe siècle avec la lutte pour la laïcité, c’est devenu un électorat plutôt modéré se différenciant peu du vote national. Un certain nombre de protestants, qu’ils aient ou non revendiqué leur appartenance religieuse, ont assumé des responsabilités politiques importantes, comme Pierre Joxe, Michel Rocard ou Lionel Jospin.
Mais les résultats de la dernière présidentielle laissent apparaître des signes inquiétants. D’après l’enquête Ifop publiée par Pélerin Magazine il semble en effet que l’allergie du protestantisme pour l’extrême droite soit du passé. Sans doute le résultat de l’importation des USA des sectes et mouvements évangéliques, plus ou moins reconnus, en forte croissance depuis quelques années.
Les protestants issus de la Réforme restent, eux, investis dans la vie publique, en particulier dans les actions de solidarité. Et même lorsque la foi et les pratiques s’estompent, ils n’oublient pas les persécutions dont ont été victimes leurs ancêtres, leurs combats pour la liberté de conscience et leur courageuse résistance.
Très attachés à la laïcité, pour laquelle ils ont payé un lourd tribut au fil de l’Histoire, ils sont souvent vigilants quant à son respect.
Mais nous sommes tous concernés, au moment même où elle est attaquée de toutes parts par des responsables politiques qui affichent publiquement des prises de position à caractère religieux, qui s’en prennent à nouveau à des croyants pour leurs convictions ou leurs pratiques, et par tous ceux qui se cachent honteusement derrière la laïcité pour faire passer leur message raciste.
Avant-hier les protestants, hier les juifs, aujourd’hui les musulmans, les victimes changent mais la stratégie est toujours la même : désigner une cible, diviser pour régner.
La Réforme a ouvert une voie, la Loi de 1905 l’a concrétisée, mais la laïcité est toujours à défendre, par tous et pour tous !
Claire Vérilhac