RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
11 

Seule la souveraineté est progressiste

Lors du 25ème sommet des pays membres de l’Organisation de l’unité africaine, le 26 juillet 1987, le président du Conseil national révolutionnaire de Burkina Faso dénonçait en ces termes le nouvel asservissement de l’Afrique : “Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont colonisés, ce sont les mêmes qui géraient nos Etats et nos économies, ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds.” La dette du tiers-monde est le symbole du néo-colonialisme. Elle perpétue le déni de souveraineté, pliant les jeunes nations africaines aux desiderata des ex-puissances coloniales.

Mais la dette est aussi l’odieuse martingale dont se repaissent les marchés financiers. Prélèvement parasitaire sur des économies fragiles, elle enrichit les riches des pays développés au détriment des pauvres des pays en voie de développement. “La dette (...) dominée par l’impérialisme est une reconquête savamment organisée pour que l’Afrique, sa croissance, son développement obéisse à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer les fonds chez nous avec l’obligation de rembourser.”

Décidément, c’en était trop. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est tombé sous les balles des conjurés au grand bénéfice de la “Françafrique” et de ses juteuses affaires. Mais le courageux capitaine de cette révolution étouffée avait dit l’essentiel : un pays ne se développe que s’il est souverain et cette souveraineté est incompatible avec la soumission au capital mondialisé. Voisine du Burkina Faso, la Côte d’Ivoire en sait quelque chose : colonie spécialisée dans la monoculture d’exportation du cacao depuis les années 20, elle a été ruinée par la chute des cours et entraînée dans la spirale infernale de la dette.

Le marché du chocolat pèse 100 milliards de dollars et il est contrôlé par trois multinationales (une suisse, une étatsunienne et une indonésienne). Avec la libéralisation du marché exigée par les institutions financières internationales, ces multinationales dictent leurs conditions à l’ensemble de la filière. En 1999, le FMI et la Banque mondiale exigent la suppression du prix garanti au producteur. Le prix payé aux petits planteurs étant divisé par deux, ils emploient pour survivre des centaines de milliers d’enfants-esclaves. Appauvri par la chute des cours liée à la surproduction, le pays est également contraint de diminuer les taxes sur les entreprises. Privé de ressources, esclave de la dette et jouet des marchés, le pays est à genoux.

La Côte d’Ivoire est un cas d’école. Un petit pays à l’économie extravertie (le cacao représente 20% du PIB et 50% des recettes d’exportation) a été littéralement torpillé par des étrangers qui ne visent qu’à maximiser leurs profits avec la complicité des institutions financières et la collaboration de dirigeants corrompus. Thomas Sankara l’avait compris : s’il est asservi aux marchés, l’indépendance d’un pays en développement est une pure fiction. Faute de rompre les amarres avec la mondialisation capitaliste, il se condamne à la dépendance et à la pauvreté. Dans un livre prophétique paru en 1985, Samir Amin nommait ce processus de rupture “la déconnexion du système mondial”.

Lorsqu’on analyse l’histoire du développement, un fait saute aux yeux : les pays les mieux lotis sont ceux qui ont pleinement conquis leur souveraineté nationale. La République populaire de Chine et les nouveaux pays développés d’Asie orientale, par exemple, ont mené des politiques économiques volontaristes et promu une industrialisation accélérée. Ces politiques reposaient - et reposent encore largement - sur deux piliers : la direction unifiée des efforts publics et privés sous la houlette d’un Etat fort et l’adoption à peu près systématique d’un protectionnisme sélectif.

Un tel constat devrait suffire à balayer les illusions nourries par l’idéologie libérale. Loin de reposer sur le libre jeu des forces du marché, le développement de nombreux pays résulta au XXème siècle d’une combinaison des initiatives dont l’Etat fixait souverainement les règles. Nulle part, on ne vit sortir le développement du chapeau de magicien des économistes libéraux. Partout, il fut l’effet d’une politique nationale et souveraine. Protectionnisme, nationalisations, relance par la demande, éducation pour tous : la liste est longue des hérésies grâce auxquelles ces pays ont conjuré - à des degrés divers et au prix de contradictions multiples - les affres du sous-développement.

N’en déplaise aux économistes de salon, l’histoire enseigne le contraire de ce que prétend la théorie : pour sortir de la pauvreté, mieux vaut la poigne d’un Etat souverain que la main invisible du marché. C’est ainsi que l’entendent les Vénézuéliens qui tentent depuis 1998 de restituer au peuple le bénéfice de la manne pétrolière privatisé par l’oligarchie réactionnaire. C’est ce qu’entendaient faire Mohamed Mossadegh en Iran (1953), Patrice Lumumba au Congo (1961) et Salvador Allende au Chili (1973) avant que la CIA ne les fasse disparaître de la scène. C’est ce que Thomas Sankara réclamait pour une Afrique tombée dans l’esclavage de la dette au lendemain même de la décolonisation.

On objectera que ce diagnostic est inexact, puisque la Chine a précisément connu un développement fulgurant à la suite des réformes libérales de Deng. C’est vrai. Une injection massive de capitalisme marchand sur sa façade côtière lui a procuré des taux de croissance faramineux. Mais ce constat ne doit pas faire oublier qu’en 1949 la Chine était un pays misérable, dévasté par la guerre. Pour sortir du sous-développement, elle a consenti des efforts colossaux. Les mentalités archaïques ont été ébranlées, les femmes émancipées, la population éduquée. Au prix de multiples contradictions, l’équipement du pays, la constitution d’une industrie lourde et le statut de puissance nucléaire ont été acquis sous le maoïsme.

Sous l’étendard d’un communisme repeint aux couleurs de la Chine éternelle, ce dernier créa les conditions matérielles du développement futur. Si l’on construit annuellement en Chine l’équivalent des gratte-ciel de Chicago, ce n’est pas parce que la Chine est devenue capitaliste après avoir connu le communisme, mais parce qu’elle en réalise une sorte de synthèse dialectique. Le communisme a unifié la Chine, il lui a restitué sa souveraineté et l’a débarrassée des couches sociales parasitaires qui entravaient son développement. De nombreux pays du tiers-monde ont tenté d’en faire autant. Beaucoup ont échoué, généralement à cause d’une intervention impérialiste.

En matière de développement, il n’y a aucun modèle. Mais seul un pays souverain qui s’est doté d’une voilure suffisante peut affronter les vents de la mondialisation. Sans la maîtrise de son propre développement, un pays (même riche) s’installe dans la dépendance et se condamne à l’appauvrissement. Les firmes transnationales et les institutions financières internationales ont pris dans leurs filets de nombreux Etats qui n’ont aucun intérêt à leur obéir. Dirigeant l’un de ces petits pays pris à la gorge, Thomas Sankara clamait le droit des peuples africains à l’indépendance et à la dignité. Il renvoyait les colonialistes de tous poils à leur orgueil et à leur cupidité. Il savait surtout que l’exigence de souveraineté n’est pas négociable et que seule la souveraineté est progressiste.

Bruno GUIGUE

URL de cet article 32466
  

Même Thème
George Corm. Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs.
Bernard GENSANE
La démarche de Georges Corm ne laisse pas d’étonner. Son analyse des structures et des superstructures qui, ces dernières décennies, ont sous-tendu le capitalisme financier tout en étant produites ou profondément modifiées par lui, est très fouillée et radicale. Mais il s’inscrit dans une perspective pragmatique, non socialiste et certainement pas marxiste. Pour lui, le capitalisme est, par essence, performant, mais il ne procède plus du tout à une répartition équitable des profits. Cet ouvrage est (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"La visibilité d’un conflit est inversement proportionnelle à notre propre engagement dans celui-ci." John McEvoy

Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.