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L’AgriTech : une révolution contre la paysannerie

L’agriTech, c’est le rêve d’une agriculture connectée à la Terre par drones et satellites. Cultiver par ordinateur : la nouvelle corne d’abondance ?

« Pour réussir cette nouvelle révolution de l’alimentation saine, durable et traçable, [...] nous devons investir dans trois révolutions [...] : le numérique, la robotique, la génétique. Ce sont les trois transformations essentielles. »

Emmanuel Macron, Chief Executive Officer de la République, plan « France 2030 »

Le 12 octobre dernier, Emmanuel Macron présentait le plan France 2030. Plus précisément la version du futur qui s’imposera à nous, lestée d’un budget de 50 milliards sous le doux nom de transition écologique. Son objectif numéro 6 : nous nourrir. Et pour cela une révolution est en cours qu’il s’agirait d’accélérer en investissant dans le numérique, la robotique, la génétique. Pour mieux manger.

Les drones dans les champs, la numérisation satellitaire, les nouveaux OGM, les tracteurs-robots, les emballages comestibles, la traçabilité numérique, l’optimisation numérique des intrants chimiques. Accélérer l’avènement de l’agriTech et de la foodTech, a-t-il martelé. Accélérer...

Accélérer et répéter les mêmes erreurs

En 1945, dans une Europe en ruines et au bord de la famine, le plan Marshall avait accéléré la généralisation des plantes et des animaux « améliorés » par les firmes industrielles. Remplaçant les milieux naturels par la chimie et les emplois paysans par la mécanisation.

Accélération encore dans les années 60, avec les lois d’orientation agricole qui ont canalisé l’agriculture vers plus de spécialisation, la monoculture, l’élevage « hors sol » et l’industrialisation. Organisant le départ de centaines de milliers de paysans.

Une accélération jamais freinée, éliminant des centaines de milliers de paysans, prolétarisant ceux qui survivent en les rendant de plus en plus dépendants des grands groupes de l’agro-industrie. Accélérer dans la même direction et faire comme si la "révolution verte" n’avait pas mené à la destruction des insectes pollinisateurs et à l’effondrement de la bio-diversité. Comme si les maladies auto-immunes, les cancers, la maladie de Parkinson n’étaient pas liées aux pesticides ingérés quotidiennement. Comme si la malbouffe n’était pas générée par la nourriture industrielle à qualité nutritive toujours plus merdique.

Comme si le réductionnisme génétique n’était pas le problème fondamental du rapport occidental au vivant, toujours pas débarrassé du discours de l’amélioration eugéniste des espèces. Comme si l’agro-industrie ne s’était pas suffisamment gavée sur le dos de tous, paysans, travailleurs, consommateurs.

Accélérer et ne rien changer. Avec la même foi dans l’automatisation de la machine, dans les progrès de la financiarisation de la science et de la génétique brevetable, qui nous sauveraient cette fois de la catastrophe environnementale, de la trop forte croissance démographique mondiale et corrigeraient les effets néfastes de la précédente « révolution verte ».

Cultiver par ordinateur : la nouvelle corne d’abondance

L’agriTech reprend à son compte le fantasme, certes répandu, d’un don d’omniscience octroyé par la numérisation du monde. Réduire chaque parcelle de terre, chaque nappe phréatique, chaque zone de chaleur à de simples données numériques. Surveiller la présence de « nuisibles » ou de « mauvaises herbes ». Modéliser et prédire par analyses de données pour une robotisation optimisée. L’agriTech, c’est le rêve d’une agriculture connectée à la Terre par drones et satellites, dans laquelle intempéries, besoins en eaux et cycles des plantes sont paramétrés dans des logiciels vendus "comme un service". Un modèle d’affaires qui fera du fric sur le dos des derniers agri-managers devant assumer les « erreurs » des modélisations informatiques incapables d’appréhender le vivant.

Ce modèle avide de biomasse destinée à nourrir les fermenteurs de l’agriculture cellulaire fera définitivement disparaître la paysannerie et alourdira encore la facture environnementale de l’informatique ainsi que la destruction de tous les végétaux disponibles.

Transfert de compétence

Au détour des plaquettes de Bayer-Monsanto et des start-ups récemment incubées, il n’est pas rare de rencontrer d’autres chimères salvatrices. Comme ces Intelligences Artificielles (IA) qui éviteraient aux agriculteurs de mal faire, les aideraient à mieux doser tel produit polluant, à être plus économes. Ces IA à qui l’humanité industrialisée voudrait transférer le soin d’éviter de nouvelles erreurs. Mais ni le problème ni sa solution ne sont là. Ce ne sont pas des logiciels d’aide à la décision qui changeront les cadres de pensée qui nous ont mené au désastre : extractivisme et destruction de la nature.

Le solutionnisme technologique est partout. Irrésistiblement, le savoir-faire dans l’agriculture est transférée aux ingénieurs et scientifiques de l’agro-industrie. C’est aux firmes de biotechnologie de désigner les plantes, les animaux et la nourriture cellulaire de demain plutôt qu’à l’agro-écologie d’adapter, avec le temps et l’expérience de chaque terroir, les modes de culture.

Plutôt que laisser la place à l’expérience paysanne pour appréhender la diversité du monde vivant et évoluer avec lui, c’est la réduction de l’expérience humaine aux gènes, atomes et autres bits qui prend définitivement le dessus. Et de devoir subir l’insulte de ces prétentieux, amoureux de la Silicon Valley, sûr qu’un savoir viable agricole sortira des hackathons et autres méthodes de stress cognitif, accélératrices d’idées. Une des idées accélérées de la foodTech ? L’emballage bioComestible. Moins de déchets, c’est nous la poubelle !

On ne peut pas faire confiance à ces start-uppeurs comme aux grosses firmes pour qui le seul animal digne d’intérêt semble être la poule aux œufs d’or. Et qu’ils ne viennent pas nous expliquer, avant de nous revendre le savoir pillé, que la combine c’est de nourrir les IA avec du bon savoir paysan pour les rendre bio et responsables.

Une aubaine communicationnelle pour Bayer-Monsanto

Belles promesses technologiques que ces géants se sont empressés de reprendre à leur compte : réduction des pesticides, lutte contre le réchauffement climatique grâce à l’agriculture "intelligente de précision".

Imaginez ces drones et tracteurs avec caméras intelligentes dotées de censeurs hyperspectraux pouvant déclencher avec précision la pulvérisation du Round’up. Frappe chirurgicale et délire de la guerre propre dans les champs. Ou encore, remplacer les derniers insectes pollinisateurs par quelques nano-drones pour faire le travail de pollinisation. Mais surtout, pour Bayer-Monsanto, continuer à vendre du Round’up. Mais avec un bonus. Vendre la caméra intelligente qui va avec. Et son logiciel connecté aux satellites. Et les nouveaux OGM prêts pour le climat. Et leur pesticides de « biocontrôle » spécifiques. Au passage, continuer de produire des pesticides à bas coups, toujours aussi toxiques, pour l’exportation dans les pays aux législations plus conciliantes.

Pour les géants du secteur, reste à savoir s’il faut incuber ces nouvelles start-ups, les acheter quand elles seront matures ou créer des partenariats ? En attendant de trancher, Bayer-Monsanto a passé un accord cadre avec John Deere. Pour garder la main. Entre grands.

Monoculture et dépendance

Le paysan, déjà devenu exploitant agricole, sera désormais "connecté" agricole, solitaire au milieu de son fatras cybernétique, abreuvé de données, assistant les robots et exécutant les modélisations de production mises à jour depuis sa tour de contrôle digne de la Batmobile. Ah ça, le goût pour la grosse machine rutilante sera flattée. Et puis on pourra affubler d’une médaille du mérite agricole ceux qui auront survécu à cette escalade technologique avec des endettements encore plus conséquents avant d’être définitivement remplacés par les robots et les micro-organismes génétiquement modifiés de l’agriculture cellulaire. Mais de souveraineté alimentaire, non. Pour accuser le coût de toutes ces machines et leurs paramétrages, les exploitations seront toujours plus grandes, moins diversifiées et plus dépendantes des importations dévastatrices pour les pays du Sud.

Quiconque s’est déjà penché sur les coûts environnementaux de la mise en œuvre de ces technologies à grande échelle se rendra vite compte de l’absurdité écologique d’un tel programme. La dépendance aux grandes firmes de biotechnologies est, elle, assurée de s’aggraver.

La standardisation industrielle menant à des produits toujours plus insipides et faiblement nutritifs, l’agriculture bio restera une niche pour approvisionner les plus aisés, jamais pressés de se nourrir en grande surface.

La culture du délire

Une fois chaque donnée captée par des serveurs à l’autre bout du monde, chaque tracteur branché aux satellites d’Eleon Musk et au réseau GPS étasunien, chaque semence brevetée et numérisée aux mains des multinationales et chaque startup-up rachetée par les GAFAM, il sera temps d’écouter tous ces visionnaires s’alarmer à propos de la souveraineté technologique de la France, cette blague. Le rouleau compresseur est en marche, et il va droit dans le mur du délire. Il nous reste à le désarmer.

La solution, pour manger, se nomme paysannerie. Sans brevet sur le vivant, sans mise à jour à payer. Pas de centre de données à construire ni d’usine de robot à monter. Et en route pour la souveraineté alimentaire.

L’agro-écologie paysanne, pas la technologie

La seule voie est dans la connaissance fine des milieux, dans les échanges de savoirs-faire et dans un lien sensible au vivant. De là les techniques agricoles naissent. Pas celles qui qui visent à entrer en concurrence avec les paysans de l’autre bout du monde.

Celles qui visent à nourrir localement, sans détruire les sols pour les générations futures et qui préservent la biodiversité. La seule et véritable innovation, c’est de permettre l’installation d’un million de paysans sur des territoires vivants, au cœur des systèmes alimentaires qui bénéficient à tous.

Nous avons besoin de bras et d’imagination collective, pas de drones et d’algorithmes.

Écriture collective de faucheurs et faucheuses volontaires et de syndicalistes de la Confédération paysanne Rhône-Alpes

Source image d’accroche : DLG e.V., CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

NDLR pour aller plus loin :

Une enquête de Magalie Reinert (Reporterre) publiée en janvier 2022.

Un article du blog Entre les lignes entre les mots, publié le 9 février 2022.

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PS : jyp voir aussi ltes travaux de Lucile Leclair :

https://www.monde-diplomatique.fr/2022/02/LECLAIR/64330

Février 2022

De la ferme familiale à la firme internationale

L’agro-industrie avale la terre

De l’Union européenne aux Nations unies, toutes les institutions préconisent le maintien d’une agriculture familiale durable. Pourtant, ce modèle apparaît plus que jamais menacé par l’irruption de firmes géantes de l’agroalimentaire, qui investissent de plus en plus dans le foncier. Loin d’être cantonné aux pays en développement, l’accaparement des terres par les industriels concerne aussi la France.
par Lucile Leclair 

En avril 2016, le groupe pékinois Reward, spécialisé dans l’agroalimentaire, faisait la « une » des journaux. Ses achats mettaient au jour les failles du système français de protection des ressources agricoles. La société du milliardaire Hu Keqin venait d’acquérir 1 700 hectares de terre céréalière dans l’Indre et l’Allier – soit plus de vingt fois la surface moyenne d’une exploitation. Les farines françaises devaient fournir la chaîne chinoise de boulangeries Chez Blandine. Si le groupe a fait faillite en 2019, les fermes continuent d’être exploitées par Ressources Investment, filiale française qui a échappé à la procédure. L’affaire a surtout révélé une évolution majeure dans l’agriculture : l’arrivée d’investisseurs d’un genre nouveau démontre que l’accaparement des terres cultivables ne concerne pas seulement les pays du Sud.

En toile de fond se joue un affrontement déterminant sur le marché foncier. Des industriels d’envergure internationale tentent de prendre l’avantage sur les producteurs. Ils se lancent dans l’agriculture pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, et plus seulement le maillon commercial. Cette évolution remonte aux années 2010, selon les agronomes Geneviève Nguyen et François Purseigle : « L’exploitation agricole devient une entité parmi d’autres dans un groupe industriel », observent ceux qui furent parmi les premiers à s’intéresser à ce phénomène de concentration verticale (alors qu’on pensait celle-ci reléguée au profit d’une concentration horizontale, agglomérant des activités distinctes). Dans leur ouvrage sur le nouveau capitalisme agricole. les agronomes estimaient en 2017 que « les exploitations agricoles aux allures de firme représentent 10 % des exploitations, 28 % de l’emploi, 30 % de la production brute standard ». Cette acception large du terme « firme » comprend aussi des domaines familiaux ou des combinaisons d’unités productives. La part des firmes de type holding, contrôlées par de grands groupes, demeure difficile à quantifier faute (...)

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https://reporterre.net/Pourquoi-tant-de-jeunes-deviennent-ils-paysans
https://reporterre.net/Avec-les-Amap-Bois-une-autre-foret-est-possible

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https://reporterre.net/Les-industriels-se-jettent-sur-les-terres-agricoles
Les industriels se jettent sur les terres agricoles

Lucile Leclair
11 février 2022

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»» http://www.faucheurs-volontaires.fr/lagritech-une-revolution-contre-la...
URL de cet article 37738
  

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