RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Pacifiction : des couchers de soleil romantiques à l’apocalypse nucléaire

L’intérêt du Catalan Albert Serra pour la culture française et son Histoire n’est pas nouveau ; mais, cette fois, il s’agit d’histoire contemporaine et même brûlante : les essais nucléaires français en Polynésie. Ce n’est pas un film engagé, sa facture est trop poétique ; mais il pose un problème que le contexte guerrier rend encore plus actuel.

En prenant possession pour le Roi de France d’Otaïti, Bougainville semblait promettre à cette île un bel avenir littéraire, puisque son Voyage autour du monde, publié en 1771, suscita une réponse célèbre de Diderot : le Supplément au Voyage de Bougainville ; pourtant, Tahiti n’inspirera guère les écrivains français, à l’exception du grand voyageur Pierre Loti, qui tire de son séjour une œuvre plus ou moins autobiographique, Le roman de Loti (1879). Mais c’est un peintre, Gauguin, qui fixera le mythe de Tahiti, tandis qu’au cinéma, Murnau, dans Tabou (1931), donne d’une autre île, Bora Bora, une vision sublime.

Serra ne cherche pas à rivaliser avec ses prédécesseurs ; certes, Pacifiction offre au spectateur plus de confort que la plupart de ses films (dans Liberté, par exemple, on en est souvent réduit à essayer de deviner la nature des ombres qu’on entrevoit sur l’écran) : on voit même des paysages magnifiques, mais ils sont toujours filmés avec une certaine distance, comme lorsqu’il montre, au milieu de toute une flottille de sportifs ou de curieux, les rouleaux qu’affrontent les surfeurs, ou comme lorsque le héros commente avec pédanterie les images de l’océan vues depuis son avion : « Regarde comme c’est beau, ces dégradés de bleu ». Son but n’est en effet pas d’exploiter le pittoresque polynésien : lorsqu’on voit les rouleaux, et qu’on entend leur vacarme, on pense à des forces naturelles que les hommes croient avoir apprivoisées, mais qui peuvent à tout moment échapper à leur contrôle ; lorsqu’on voit un coucher de soleil derrière les montagnes, qui sont d’anciens volcans, le rouge du ciel fait penser à l’embrasement nucléaire.

C’est ainsi, en créant une atmosphère envoûtante et angoissante, que Serra pose son sujet, après quoi, il suffit d’une phrase du Haut Commissaire de Roller pour le définir : « Selon des rumeurs qui circulent, la France reprendrait ses essais nucléaires en Polynésie ».

Curieux que ce problème n’intéresse pas des cinéastes français (en dehors des auteurs de documentaires – comme Tropique du Cancer, de Sophie Bontemps -, dont on peut voir la liste sur Wikipédia. Voir aussi l’enquête Toxique, sortie en 2021, de Sébastien Philippe et Tomas Statius).

Serra éprouve-t-il un malin plaisir à mettre le doigt là où ça fait mal en France ? Le film Liberté, inspiré de Sade, montrait une bande sinistre de voyeurs, La mort de Louis XIV réduisait le Roi-Soleil, lors de l’autopsie, à un chapelet de boudins noirs (ses intestins pourris). Pacifiction nous montre des autorités françaises irresponsables, perverses, ou cyniques, incarnées par le grotesque mais inquiétant Amiral. Pour le Haut-Commissaire (Benoît Magimel), tous les politiciens sont des cons, complètement coupés de la réalité. Lui-même est difficile à saisir : ses paroles sont toujours marquées par la banalité (tous les dialogues, très succincts, ont l’air improvisés) et il semble s’agiter dans le vide ; en fait, il est réduit au rôle d’observateur : il s’informe, il parle avec tout le monde, il essaie même d’embaucher des espions, mais tout se décide en dehors de lui, dans son dos.

Le spectateur, lui, voit peu de chose de Tahiti, un cabaret, quelques cases, un bout de forêt, mais c’est suffisant : tout fonctionne par allusions, par litotes. Il suffira de quelques courtes discussions avec des indigènes pour faire apparaître les problèmes de la Polynésie : le poids des sectes évangéliques, l’obésité (comment continuer le régime à base de poisson, quand la mer est saturée de retombées radioactives), la colère de la population à l’égard du Centre d’expériences nucléaires, les conséquences sur la santé (multiplication des cancers) des essais, qui se sont poursuivis de 1966 à 1996 (sur Wikipédia, je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations, tout étant noyé sous des avalanches de chiffres et un jargon scientifique abscons), une violence latente (symbolisée par les répétitions d’une danse mimant un sacrifice), la présence des grandes puissances (Russie, Chine, mais surtout, seul présent dans le film, l’« ami américain »). Puis, tout à coup, toutes les menaces diffuses se matérialisent dans un dénouement à donner froid dans le dos, façon Docteur Folamour.

Pacifiction est donc bien, sinon un film engagé, un film de fiction politique, genre qui a disparu en France. Il ne dénonce pas, mais nous incite à la réflexion, rejoignant la vision pleine d’amertume de Loti ou Gauguin : un paradis détruit par la colonisation et le capitalisme, qui risquent aujourd’hui d’en faire un enfer, mais un enfer étendu à toute la Terre.

URL de cet article 38358
  

La Nuit de Tlatelolco, histoires orales d’un massacre d’Etat.
Elena Poniatowska
« Pour le Mexique, 1968 se résume à un seul nom, à une seule date : Tlatelolco, 2 octobre. » Elena Poniatowska Alors que le monde pliait sous la fronde d’une jeunesse rebelle, le Mexique aussi connaissait un imposant mouvement étudiant. Dix jours avant le début des Jeux olympiques de Mexico, sous les yeux de la presse internationale, l’armée assassina plusieurs centaines de manifestants. Cette histoire sociale est racontée oralement par celles et ceux qui avaient l’espoir de changer le Mexique. (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Les hommes naissent ignorants et non stupides. C’est l’éducation qui les rend stupides.

Bertrand Russell

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.