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Israël : Déconstruire David Grossman. S’il est la gauche israélienne, qui a encore besoin de la droite ? par Gilad Atzmon.





Redress Information & Analysis, 10 novembre 2006.


Gilad Atzmon met en lumière les contradictions inhérentes à la vision de l’auteur sioniste israélien David Grossman qui a l’air d’épouser la paix avec les Palestiniens mais montre d’inquiétants signes de croyance en une suprématie juive.


Le monde entier a l’air de se lever pour applaudir le nouvel orateur israélien, l’auteur David Grossman. Les relations publiques d’Israël ont désespérément besoin d’un intellectuel vertueux, d’un auteur qui « parle de paix », un homme qui prêche la « réconciliation », un homme de shalom. Le 8 novembre, le Guardian a publiéun discours que Grossman avait prononcé la semaine précédente, lors des commémorations d’Yitzhak Rabin à Tel Aviv.

Grossman est un « Israélien éclairé et mûr », un sioniste de la gauche légère qui aspire ardemment au changement. J’ai lu le discours de Grossman et je dois dire que bien que le bonhomme passe aux yeux de certains pour un intellectuel israélien de gauche, je ne vois dans son discours rien d’autre qu’inconditionnelle suprématie juive et même le maintien du vieux et brutal agenda racial sioniste. Grossman, comme d’autres Israéliens, est totalement englouti dans un discours chauviniste sio-centrique, un discours de déni de la cause palestinienne, c’est-à -dire le droit au retour.

J’ai rassemblé et mis en lumière quelques extraits scandaleux dus à l’orateur hébreu de gauche nouvellement émergé.


Grossman et le mythe des « valeurs juives universelles »

Grossman, l’Israélien que certains parmi nous sont ravis d’aimer, nous donne un aperçu de premier ordre sur la tournure d’esprit sioniste laïque. « Je suis », dit-il de lui-même, « un homme totalement laïque ». Pourtant, Grossman ne s’arrête pas là . « Pour moi, la création et l’existence même de l’Etat d’Israël est comme un miracle qui nous est arrivé à nous en tant que peuple ; un miracle politique, national, humain. »

Je me demande depuis quand les laïcs croient aux miracles. Il faudrait peut-être rappeler à « l’intellectuel israélien laïque » qu’un miracle est « un effet ou un événement extraordinaire, dans le monde physique, qui dépasse toutes les puissances humaines ou naturelles connues et est attribué à une cause supranaturelle ». En fait, Grossman, comme beaucoup d’autres Israéliens, s’est arrangé pour suivre une nouvelle forme de laïcité : un athéisme qui « prêt à une cause supranaturelle ». Assez curieusement, les laïcs sionistes sont plutôt fondamentalement orthodoxes en ce qui touche à leur nouvelle et pathétique religion. J’aimerais bien aider Grossman en lui suggérant qu’il n’y a pas de vrai miracle, réellement héroïque, autour d’Israël. Israël n’est qu’un vulgaire Etat ultranationaliste et raciste. Le succès relatif d’Israël ne paraît miraculeux que parce qu’il a fallu quelques générations, à ses voisins arabes, pour s’adapter au niveau de la barbarie sioniste.

D’après Grossman, Israël aurait gaspillé ce « miracle », cette « grande et rare opportunité que l’histoire lui a offerte, l’opportunité de créer un Etat démocratique éclairé, fonctionnant correctement, et qui agirait en accord avec les valeurs juives et universelles ».

A suivre l’aperçu offert par Grossman de l’âme juive, l’esprit des Lumières et la démocratie sont étrangers aux Juifs et leur surgissement dans la sphère juive devrait être tenu pour un miracle. Sans s’en rendre compte probablement, Grossman reconnaît que les « Lumières » et la « démocratie » s’opposent à l’âme juive. Ce courant intellectuel n’est assurément pas neuf, et pas davantage original. Les premières vagues d’idéologues sionistes croyaient que, à Sion, un nouveau Juif émergerait : un Juif civilisé, laïque, démocrate et éclairé, qui se rebelle contre son ancêtre moralement dégénéré de la Diaspora.

De manière plus inquiétante, Grossman trompe ouvertement ses auditeurs en se référant à des « valeurs juives universelles » comme si ces valeurs constituaient un fait communément admis. Si bizarre que cela puisse paraître à certains, il n’existe pas un ensemble généralement accepté de « valeurs juives universelles ». Y a-t-il un livre présentant une notion de « valeurs juives universelles » ? Je ne pense pas. S’il est un ensemble de valeurs devant être reconnues comme « valeurs juives universelles », elles sont véhiculées comme il faut par le coeur du judaïsme. Je crois que les Juifs de la Torah qui soutiennent sincèrement la cause palestinienne connaissent quelque chose aux valeurs universelles. Mais Grossman se dépeint comme un homme laïque. Ce n’est assurément pas à l’interprétation juive orthodoxe qu’il pense lorsqu’il se réfère à l’universalité juive. C’est en fait le christianisme qui traduit le judaïsme en un système de valeurs universelles. C’est le christianisme qui transforme le « voisin » en un « autre universel ». Il ne fait pas de doutes qu’il y a beaucoup d’humanistes universels qui se trouvent être juifs d’origine. Il n’y a néanmoins pas un ensemble reconnu de « valeurs juives universelles ». Grossman et d’autres intellectuels juifs qui diffusent le mythe de « l’universalisme juif » s’abusent et abusent avec eux. En outre, le fait que le sécularisme juif manque d’un bagage philosophique explique peut-être la faillite morale générale de l’Etat juif. Comme nous allons le lire, Grossman lui-même tombe dans le piège. Il a sans doute connaissance du concept de moralité mais il échoue à présenter une vision du monde morale cohérente. Il a sans doute conscience de l’effet négatif du racisme mais il s’arrange lui-même pour tomber, et plutôt facilement, dans un sectarisme fondé sur une suprématie.


Une vision du monde fondée sur une suprématie

Grossman est assez courageux pour se lever et reconnaître que « la violence et le racisme » ont pris le contrôle de sa maison, Israël. Jusque là , ça va. Le temps d’une seconde, je penche à croire que Grossman est effectivement un Juif laïque, antiraciste, éclairé, mais vient alors la phrase suivante où il demande : « Comment se peut-il qu’un peuple avec nos forces de créativité et de renaissance » soit parvenu à se retrouver aujourd’hui « dans un tel état de faiblesse et d’impuissance » ?

Le lecteur critique se demande peut-être à quoi Grossman se réfère lorsqu’il parle d’un « peuple avec nos forces de créativité et de régénération ». C’est plutôt simple : Grossman croit vraiment en l’unicité du peuple élu. En d’autres termes, Grossman est fondamentalement un déterministe biologique.

La question qu’il faut poser ici est : pourquoi le Guardian a-t-il consacré trois pages à un adepte de la suprématie juive ? Je crois que les Juifs jouissent de certaines libertés qui manquent au reste de l’humanité. J’ai, par exemple, beaucoup de peine à croire que le Guardian donnerait la parole à un philosophe allemand qui louerait les « forces de créativité et de régénération » du peuple aryen. D’une manière ou d’une autre, un intellectuel juif peut se permettre de dire exactement cela.

Bien que Grossman soit assez honnête pour reconnaître que les Palestiniens ont placé le Hamas aux fonctions dirigeantes, il en appelle à Ehoud Olmert pour « s’adresser aux Palestiniens par-dessus la tête du Hamas. S’adresser aux modérés parmi eux, à ceux qui, comme vous et moi, s’opposent au Hamas et à son idéologie ».

Monsieur Grossman, si vous êtes effectivement un humaniste universel - j’ai, évidemment, des doutes à ce propos - vous auriez mieux fait d’apprendre à écouter le Hamas plutôt que de parler aux Palestiniens par-dessus la tête de leurs dirigeants élus.

A l’évidence, Grossman ne parvient pas à respecter ses voisins, il ne parvient pas à respecter leur choix démocratique. D’une manière plus générale, je suggère que nous abandonnions la méprisable méthode de s’adresser à Bush et Blair en passant par-dessus les têtes. Le privilège des intellectuels est d’écouter et d’agir éthiquement.


Grossman, la victime

Mais la houtzpah juive de Grossman ne s’arrête pas là . « Regardez les Palestiniens, juste une fois », dit-il à Olmert. « Vous verrez un peuple pas moins torturé que nous le sommes ». Ce n’est pas une blague ! Grossman, le Juif colonialiste qui habite sur une terre palestinienne occupée, dans un Etat qui opère le nettoyage ethnique d’une nation indigène, regarde les victimes palestiniennes terrorisées en disant : « ils sont presque aussi torturé que moi ».

C’est tout dire. Cela résume le niveau de cécité de la sio-gauche. Et de fait, si ce sont là les Israéliens de gauche, qui a encore besoin de la droite ?

Dans son paragraphe de conclusion, Grossman en convient : « Les différences entre la droite et la dauche ne sont pas si grandes aujourd’hui ». Il dit vrai. A l’intérieur du discours politique européen, Grossman, l’icône intellectuelle de la gauche israélienne, ne serait rien de plus qu’un banal néo-conservateur de droite, un homme qui apparaît excuser une forme de foi en la suprématie juive travestie en bonne volonté, un homme qui parle par-dessus la tête d’autres gens.


Grossman et la solution à deux Etats

Grossman se leurre lui-même ainsi que ses auditeurs en disant que « la terre sera partagée », qu’ « il y aura un Etat palestinien ». Vous vous trompez en partie, Monsieur Grossman. Cette terre ne sera jamais partagée. Je vais le dire très simplement, afin que vous et votre poignée de Sio-gauchistes le compreniez une bonne fois pour toute. La Palestine est une terre, Israël est un Etat. La Palestine sera toujours la Palestine, c’est-à -dire une terre. Israël, de son côté, est un Etat raciste, nationaliste et il disparaîtra. La terre ne sera pas partagée. Elle sera réunie en une Palestine. Plutôt que de maintenir un Etat raciste, nationaliste, j’appelle Grossman et ses amis à rejoindre le mouvement pour une Palestine, un mouvement qui affirme l’égalité sur la terre de Palestine, une Palestine où les valeurs sont universelles.

Gilad Atzmon


Gilad Atzmon est un musicien et un écrivain, né en Israël. C’est, pour le conflit israélo-palestinien, un partisan d’une solution à un Etat, laïque et démocratique, solution dans laquelle les deux peuples vivent dans un même Etat, citoyens égaux en droits et en responsabilités.


- Source : Redress Information & Analysis www.redress.btinternet.co.uk

- Traduction de l’anglais : Michel Ghys



Le dilemme de Grossman, par Uri Avnery. Protection Palestine.


Israël, l’ethnocentrisme colonise, interview de Michel Warschavsky, par Thomas Schaffroth.




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