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Fallait-il fermer Sangatte ?

A l’heure où le centre de Sangatte se ferme à tout nouvel arrivant, nous avons rencontré Smaïn Laacher, sociologue qui vient publier un livre (Après Sangatte… Nouvelles immigrations. Nouveaux enjeux, éditions La Dispute, 2002) sur les populations du centre à la demande de la Croix-Rouge.

Legrandsoir : A quoi ressemble le centre de Sangatte ?

Smaïn Laacher : C’est un hangar de 25 000 m2 où vivent 2 000 personnes, situé dans un petit village de 800 habitants. Par temps clair, on voit les côtes anglaises et les ferrys faire la navette entre Douvres et Calais. A Sangatte, travaillent 80 salariés de la Croix-Rouge et maintenant une société de sécurité privée filtre les entrées. Le centre est financé par la direction des populations et des migrations du ministère de l’Emploi et de la Solidarité.

Legrandsoir : Comment s’expliquer son existence ?

S. L. : Sangatte existe car un certain nombre d’étrangers en situation irrégulière vivaient à Calais sans abri jour et nuit dans l’espace public. Pour répondre à cette situation, en 1999, on a jugé nécessaire d’abriter et de protéger ces personnes qui, pour la plupart, voulaient passer en Angleterre.

LGS : L’existence de Sangatte n’est-elle pas due au fait que l’Angleterre n’appartient pas à l’espace Schengen ?

S. L. : En effet, l’Angleterre ne peut pas renvoyer les arrivants dans le pays d’origine [de l’espace Schengen]. Mais ce n’est pas parce que l’Angleterre n’est pas dans l’espace Schengen que Sangatte existe et que des gens tentent tous les soirs de traverser la Manche.

LGS : Qui sont les personnes qui se retrouvent à Sangatte ?

S. L. : Ce centre a accueilli près de 80 nationalités, les deux groupes dominants sont les Kurdes et les Afghans. Les Kurdes ne viennent pas tous d’Irak, certains viennent, de Syrie, de Turquie et d’Iran. La troisième communauté importante est la communauté iranienne.

LGS : Pourquoi leur parcours les mène vers l’Angleterre ?

S. L. : Seule une minorité avait initialement pour ambition d’aller jusqu’en Angleterre. La plupart en entend parler en cours de route et notamment à Sangatte même. Évidemment, les passeurs indiquent le chemin de Sangatte, mais dans une moindre mesure, la police dit aussi à ces personnes qu’il existe un lieu où ils peuvent être hébergés et abrités pour tenter le passage en Angleterre.

LGS : Le GISTI s’est alarmé du déficit d’informations sur l’accès au droit d’asile en France pour ces migrants.

S. L. : Durant mon enquête, j’ai rencontré des gens dotés d’un capital culturel et scolaire assez important. La question de l’asile ne leur est pas étrangère et ils auraient parfaitement pu demander l’asile en France, en particulier aux médiateurs. Il ne faut pas croire qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient demander l’asile en France. Mais il est vrai que l’information dans ce domaine n’a pas été à la hauteur de l’enjeu.

LGS : Alors pourquoi n’ont-ils eu que marginalement recours à ces démarches ?

S. L. : Dès qu’ils arrivent à Sangatte, leurs conditions de vie signent les intentions de l’État français. En les « accueillant » comme ça, l’État affiche une position claire de rejet. Après avoir traversé plusieurs pays qui les ont rejetés soit violemment, soit poliment, l’Angleterre leur apparaît comme un ultime recours. Mais leur expérience là -bas risque d’être marquée par le désenchantement car ils n’y bénéficieront pas forcément du droit d’asile.

LGS : Vous dites qu’au début de leur parcours migratoire ils n’ont pas d’idée précise sur leur destination...

S. L. : Les plus jeunes et les Afghans, non. Beaucoup n’ont aucune famille outre-Manche. Seule une minorité y a des amis ou des connaissances. L’important est d’accéder à un des pays riches de l’Union européenne. Pourvu qu’il soit riche et qu’on puisse y être en sécurité et y trouver du travail.

LGS : Le nombre de passages vers l’Angleterre reste important. Les autorités font-elles semblant de fermer les frontières ?

S. L. : Non, au contraire. Avant on s’indignait beaucoup et on contrôlait plutôt mollement, ce qui permettait un passage relativement aisé, sans trop de risques. Au fil du temps, les contrôles sont devenus infiniment plus sévères et plus sophistiqués. Aujourd’hui, il est extrêmement difficile et risqué de passer. Mais certains y réussissent encore, car, sauf à mettre des tanks et des mines tout autour du site et du port, il y en aura toujours qui passeront.
Cela ne pose aucun problème aux États de voir partir les gens mais cela les dérange de les voir entrer. C’est pourquoi les Anglais s’indignent plus fortement et plus souvent que les Français.

LGS : Vous ne partagez pas l’idée selon laquelle l’Angleterre serait plus « attractive » à cause de son marché du travail complètement dérégulé ?

S. L. : Pour ces populations sans droit, le marché du travail français est à peu près identique. Travailler clandestinement dans sa communauté en France ou en Angleterre, c’est pareil.

LGS : Pourquoi ferme-t-on Sangatte ?

S. L. : Le gouvernement britannique et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU ont, pour des raisons différentes, beaucoup contribué à la fermeture du centre. Pour des raisons électorales, le gouvernement britannique a fait pression pour que disparaisse ce qu’il considère comme la « source » de l’accroissement du flot de clandestins. Le HCR, quant à lui, pense que ce centre et cette situation insensée a contribué à porter des coups au droit d’asile anglais, que l’on pouvait considérer comme généreux.

LGS : Les populations continuent à venir en Europe alors qu’on tente d’en faire une « forteresse »…

S. L. : Ce n’est pas contradictoire. Plus les États seront convaincus de l’illusion que l’on peut empêcher les déplacements de populations, plus les moyens de contrôle seront importants et sophistiqués. Le renforcement du contrôle aux frontières modifiera les caractéristiques sociologiques des populations qui se déplacent. Plus l’accès à l’espace européen sera difficile, plus ceux qui pourront se payer le voyage seront des gens relativement aisés disposant d’un capital scolaire et culturel. C’est un mode de sélection implicite d’une main-d’oeuvre qualifiée. Les non qualifiés resteront aux frontières des pays pauvres.

LGS : Y a-t-il des particularités propres à l’immigration afghane ?

S. L. : Ce sont les moins pauvres des pauvres qui ont réussi à venir jusqu’ici. En général, leurs possibilités de mobilité sociale ont été brisées par la guerre ou par l’état d’insécurité générale. Les Talibans ont littéralement fait disparaître le système d’enseignement, or beaucoup des migrants avaient entamé des processus de mobilité scolaire et professionnelle, qu’ils escomptent reprendre dans l’espace européen.

LGS : Fallait-il fermer Sangatte ?

S. L. : Sangatte doit fermer, personne ne peut dire que ce lieu doit rester ouvert. En soi, ce centre est un vrai scandale. Mais dans quelles conditions doit-il fermer ? Que faire des gens qui sont à l’intérieur, qui ne bénéficieront probablement pas tous d’une protection internationale et qui, en majorité, ne solliciteront pas un retour volontaire ? Et que faire des gens arrivés après le 5 novembre ?

LGS : Qu’en est-il des réseaux de passeurs, on parle de mafias.

S. L. : Il y a sans aucun doute des mafias qui font commerce du passage illicite de personnes. Il existe de véritables petites entreprises qui mobilisent des navires et ont des salariés, qui ne peuvent fonctionner sans l’assentiment de leurs États - on ne peut pas embarquer 400 personnes dans un port sans complicité objective de l’État. Leurs dirigeants sont généralement proches des États, en particulier des États autoritaires et des États sous-développés.
En revanche, ce ne sont pas de grandes organisations mafieuses qui font passer les réfugiés en Angleterre, mais de petits réseaux que la police connaît parfaitement. Parfois, on a affaire à des passeurs qui ne jouent ce rôle que le temps du passage - ils ont essayé plusieurs fois, ont échoué, n’ont plus d’argent mais sont dotés d’une expérience pratique et d’une connaissance des lieux qu’ils mettent à disposition des autres candidats au passage.

Propos recueillis par Pierre Cascade

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