Bolsonaro et la bataille pour l’avenir du Brésil : un entretien avec Elias Jabbour

L’élection de l’homme politique d’extrême droite Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle brésilienne de l’an dernier a provoqué une onde de choc en Amérique latine et dans le monde entier. Quel a été l’impact des huit premiers mois du mandat de Bolsonaro ?

J’ai interviewé Elias Jabbour, professeur à l’Université d’Etat de Rio de Janeiro et membre du Comité central du Parti communiste du Brésil (PCdoB) pour connaître son point de vue sur les grandes luttes qui ont lieu actuellement au Brésil.


Quel a été l’impact des huit premiers mois du mandat de Bolsonaro sur le Brésil et sur la vie des Brésiliens ?

Jabbour : L’impact a été très important. Jusqu’à présent, Bolsonaro n’a pas de programme pour réduire les taux de chômage élevés au Brésil. Les mouvements sociaux, les syndicats et la pensée critique sont soumis à d’énormes pressions. L’économie est en récession technique depuis le dernier trimestre. La violence policière est de plus en plus fréquente.

Le Brésil est aujourd’hui un laboratoire de politiques économiques ultra-néolibérales. Nous assistons à une déréglementation du marché du travail, les travailleurs pauvres éprouvent des difficultés à prendre leur retraite et les salaires diminuent en proportion du PIB.

Un vaste programme de privatisation a été lancé, y compris la vente de grandes entreprises publiques et d’Etat rentables. Le pétrole pré-sel (1) du Brésil est mis aux enchères à bas prix pour les compagnies étrangères.

Le mépris de Bolsonaro pour l’environnement était clair dans le récent épisode de l’incendie de l’Amazone. Le Brésil est la victime du gouvernement le plus antinational et antisocial de l’histoire de l’Amérique latine.

Bolsonaro est sorti de l’ombre pour remporter son élection en octobre 2018 avec 57 millions de voix, soit 55% du vote populaire. Comment Bolsonaro a-t-il obtenu un si grand nombre de voix et dans quelle mesure a-t-il maintenu sa coalition de partisans au cours des huit derniers mois à la présidence ?

Jabbour : La grande vérité est que le Brésil a été victime d’une guerre hybride orchestrée par les Etats-Unis depuis que le président Lula da Silva a annoncé la découverte en 2006 de la très précieuse couche de pétrole pré-sel. C’est le seul endroit au monde où la stratégie de guerre hybride de Trump a eu beaucoup de succès.

L’histoire de la victoire de Bolsonaro est l’histoire d’un projet d’aliénation du peuple brésilien contre la politique et les politiciens en général comme premier pas vers l’établissement d’un gouvernement fasciste et pro-impérialiste au Brésil. Depuis 2005, une campagne médiatique contre la gauche et la politique en général est menée par les médias grand public. L’Operation Car Wash (une offensive "anti-corruption"), conçue aux Etats-Unis, était l’autre volet de ce projet. Au début, l’Operation Car Wash a discrédité l’ensemble de la gauche, puis presque tous les partis traditionnels de droite au Brésil ont également été touchés. Cela a laissé un vide politique, les principaux partis politiques du Brésil étant discrédités. Bolsonaro a pris la vague anti-politique pour gagner la présidence. Malgré son usure au cours des huit derniers mois, le gouvernement de Bolsonaro bénéficie toujours d’un large soutien de 30% des Brésiliens.

Les grands médias britanniques ont présenté la victoire de Bolsonaro comme un glissement de terrain complet, balayant la gauche brésilienne. Cependant, le candidat de la gauche à la présidence, Fernando Haddad, a obtenu 47 millions de voix, ce qui démontre en fait que la gauche a des racines sociales très profondes au Brésil. Comment la gauche a-t-elle répondu à la présidence de Bolsonaro et quelle est l’ampleur de l’opposition et de la résistance à ses attaques contre la population ?

Jabbour : Ce n’était pas 47 millions de voix pour la gauche, mais 47 millions de votes contre Bolsonaro. Aujourd’hui, la gauche compte environ 100 députés fédéraux (sur 513) et tous les gouvernements des Etats du nord-est du Brésil. Il y a beaucoup d’initiatives de la gauche, mais nous sommes encore au stade de l’accumulation des forces. L’axe de gravité de la politique nationale n’est plus entre la droite et la gauche, mais entre les forces libérales (centre-droit) et l’extrême droite dirigée par Bolsonaro.

La gauche a encore un long chemin à parcourir et de nombreuses luttes à mener avant qu’il ne soit possible de revenir au gouvernement central. La première étape consiste pour la gauche à s’unir autour de la défense de la démocratie et de la souveraineté nationale et à être le centre d’un large front contre le fascisme. À elle seule, la gauche ne mène nulle part.

Bolsonaro a remporté l’élection présidentielle après que le candidat de l’aile gauche, Lula da Silva, ait été empêché de se présenter. Tous les sondages d’opinion avant l’élection indiquent que Lula aurait battu Bolsonaro s’il n’avait pas été emprisonné pour de fausses allégations de corruption dans une conspiration impliquant le ministère américain de la Justice et la justice brésilienne. Quelle est l’importance de la campagne de libération de Lula à gauche et des mouvements progressistes au Brésil ?

Jabbour : La campagne de libération de Lula est juste, correcte et d’une grande importance historique. Lula da Silva est le plus important prisonnier politique du monde. Sa situation est aussi grave et injuste que celle de Mandela à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud.

La campagne pour la libération de Lula s’inscrit dans la lutte pour la démocratie et la souveraineté nationale. C’est une campagne absolument nécessaire. Cependant, il est également vrai que la campagne de libération de Lula est le seul drapeau capable d’unir l’ennemi – qui a de nombreuses contradictions dans son camp – contre nous, la gauche. La gauche doit donc être aussi l’instigatrice d’un large front pour la démocratie et la souveraineté nationale. Ce large front devrait pouvoir isoler Jair Bolsonaro.

Les politiques environnementales destructrices de Bolsonaro ont fait la une des journaux internationaux alors que les incendies font rage dans la forêt amazonienne. Que pensez-vous du soutien de Bolsonaro à la déforestation et comment peut-on sauver l’Amazonie ?

Jabbour : La politique bolssonarienne est un instrument au service de la haine. La haine des Indiens, des femmes, des homosexuels, des Noirs, des pauvres, des gauchistes, des scientifiques et de la science elle-même. Il est impossible de comprendre la politique environnementale de Jair Bolsonaro en dehors du contexte de sa vision du monde qui nie les réalisations de la civilisation humaine. Sauver l’Amazonie est un problème que le peuple brésilien doit résoudre. Je ne crois pas aux bonnes intentions de gens comme Macron et Merkel. Le salut de l’Amazonie passe par l’exercice de la souveraineté nationale brésilienne sur l’Amazonie. Les gens en Europe ne comprennent peut-être pas, mais la lutte entre Bolsonaro et Macron a été utile à la politique de Bolsonaro de livrer l’Amazonie aux entreprises américaines, parce qu’il a pu se présenter comme un faux nationaliste au peuple brésilien, tenant tête au président de la France impérialiste.

Le Brésil est le cinquième plus grand pays du monde et la huitième économie mondiale. Quelle est la politique étrangère du gouvernement de Bolsonaro et quel impact pensez-vous que trois autres années d’un gouvernement d’extrême droite au Brésil auront sur l’Amérique latine et le monde ?

Jabbour : Le sort de la politique étrangère de Bolsonaro dépend de la prochaine élection présidentielle américaine en 2020. Dans le cas d’une victoire de Trump, le Brésil continuera d’être un gouvernement complètement subordonné aux intérêts américains et un grand bastion du fascisme dans le monde et en Amérique latine. La défaite de Trump pourrait isoler le gouvernement Bolsonaro sur la scène internationale et accélérer l’usure du gouvernement brésilien.

L’économie mondiale ralentit et l’impact sur le Brésil est une crise financière probable – aggravée par la politique économique néolibérale de Bolsonaro – et une baisse des importations de Chine au Brésil. L’environnement international n’est pas facile pour Bolsonaro.

En tant que professeur étudiant l’économie chinoise et son mode de développement, que pensez-vous de la montée de la Chine pour le Brésil et l’Amérique latine ?

Jabbour : L’essor de la Chine signifie que le Brésil et l’Amérique latine ont une véritable alternative au néolibéralisme. Elle offre la possibilité d’une plus grande intégration économique en dehors de l’orbite de l’impérialisme. Il est impossible d’imaginer l’existence de gouvernements progressistes en Amérique latine sans l’existence de la Chine socialiste.

Traduction Bernard Tornare

Source en anglais

(1)Ndt : Les champs (pétrolifères ou gaziers) dits pré-sel se situent dans la croûte terrestre, sous des couches de sel, à environ 7 000 m de profondeur, et sont très difficiles à exploiter. Au large des côtes brésiliennes, ces gisements contiendraient 50 milliards de barils, soit un peu plus de trois fois les réserves actuelles du Brésil

Fiona Edwards est éditrice du site Eyes on Latin America. Voir tous les articles de Fiona Edwards (en anglais)

 https://eyesonlatinamerica.com/author/fionaedwards87/

COMMENTAIRES  

06/09/2019 19:42 par Daniel BESSON

Le camarada Elias Jabbour " oublie " de préciser que :
- Ce sont seulement les gouverneurs de " gauche " du Nordeste qui ont reçu le Drian et qui ont créé une structure financière adéquate pour recevoir de l’argent d’agences Françaises . Ceci pour ne pas passer par la BNDES , la banque Brésilienne de développement . Cette structure financière est à la marge de la légalité - En fait elle est illégale - car elle récuse le contrôle fédéral sur ses transactions , garantit l’anonymat des transactions ( Le ministère de la défense Français ou de l’environnement peuvent y verser de l’argent en tout anonymat par exemple pour corrompre des gouverneurs !) De plus il se murmure que ces gouverneurs ont autorisé un système de " double clef " sur les investissements possibles au Brésil , ce qui est tout simplement un abandon de souveraineté illégal et que des terres sous juridiction fédérale ont été proposées illégalement en nantissement par ces mêmes gouverneurs .
- C’est le gouverneur du Maranhão , Flavio Dino , un communiste du PCdoB qui a été le dernier et sous la pression de la " rue " à accepter l’aide des forces armées pour combattre les incendies .
- La quasi totalité des signataires de motions ou tribunes dans la presse internationale appelant à l’internationalisation de l’ Amazonie Brésilienne proviennent et sont des élu-e-s ( restons inclusifs ) de la gauche Brésiliennes : PT ; PSOL ; PCdoB , MST ,...

07/09/2019 02:52 par alain harrison

Bonjour.

« « La première étape consiste pour la gauche à s’unir autour de la défense de la démocratie et de la souveraineté nationale et à être le centre d’un large front contre le fascisme. À elle seule, la gauche ne mène nulle part. » »

La gauche uni autour de la défense de la démocratie (reste à définir ?) et de la souveraineté nationale (reste à définir ?).

« « Il est impossible d’imaginer l’existence de gouvernements progressistes en Amérique latine sans l’existence de la Chine socialiste. » »

La Chine socialiste (reste à définir le socialisme ?)

Cuba a démontré, par la participation du peuple aux grands changements internes, une avancé sérieuse sur la question de la démocratie, soit l’orientation vers la démocratie socialiste.
Mais le blocus-US-Occident renouvelé et augmenté reconduit sans doute les tensions de divisions dans la peuple cubain. Et à quelle hauteur se situe cette tension (division) ?
De même au Vénézuéla ?
Il est peu probable qu’il y aura un changement de gouvernance, en France, aux prochaines élections, à mon avis.
C’est comme si l’humanité avait les pieds pris dans une vase collante plusieurs fois millénaire. Comme si les changements extraordinaires sur tous les plans du dernier siècle jusqu’à maintenant avaient balayé une rigueur de pensé lié à la créativité (le questionnement, pensons seulement à Einstein, Marx, Darwin.....), et remplacé par une pensée suffisante, d’où la défaillance du discernement devenu l’apanage de notre époque.

07/09/2019 08:51 par Danael

Sauver l’Amazonie est un problème que le peuple brésilien doit résoudre. Je ne crois pas aux bonnes intentions de gens comme Macron et Merkel. Le salut de l’Amazonie passe par l’exercice de la souveraineté nationale brésilienne sur l’Amazonie. Les gens en Europe ne comprennent peut-être pas, mais la lutte entre Bolsonaro et Macron a été utile à la politique de Bolsonaro de livrer l’Amazonie aux entreprises américaines, parce qu’il a pu se présenter comme un faux nationaliste au peuple brésilien, tenant tête au président de la France impérialiste.

Alors les Verdoyants- ONG européens vous feriez mieux d’alerter l’ONU sur les déchets de toutes sortes qui viennent des pays riches, les vôtres donc, dont on inonde les pays pauvres et sur la corruption de vos élus qui organisent ce trafic. Ce serait déjà un bon travail de conscientisation avant de prétendre intervenir dans d’autres pays au nom de "biens universels à préserver" et de basculer ainsi vers un impérialisme qui se dit "écolo".

08/09/2019 13:17 par Georges SPORRI

Il est complètement irresponsable et parfaitement stupide de vouloir sanctuariser l’Amazonie, c’est de plus insuffisant ! Des scientifiques américains ont proposé de planter 980 milliards d’arbres supplémentaires, pas au Brésil, pour créer sur terre un énorme puy de carbone sécurisé. Des chercheurs suisses ont récemment proposé de planter 1200 milliards d’arbres, principalement en Australie et au Canada, pour résoudre rapidement et à moindre frais le RC. Ces incendies sont donc providentiels puisqu’ils nous obligent à nous poser les bonnes questions, celles de la fragilité de la terre "naturelle" qui n’a qu’un seul gros poumon alors qu’il est plus prudent d’en avoir plusieurs. Non ?

(Commentaires désactivés)