ANNCOL, 24 mars 2006.
Les medias de masse, les revues universitaires, et y compris des rapports d’origine officielle, ont explicitement ou implicitement fait état de la puissance des FARC-EP. Tandis que certaines analyses ont examiné la capacité des Insurgés à faire face à l’accentuation de l’effort contre-insurrectionnel des Etats-Unis et de la Colombie, d’autres auteurs ont noté l’habileté des FARC-EP pour étendre leur présence sur le terrain tout en augmentant leurs effectifs par une politique de recrutement. Parmi ces études, cependant, rares sont celles qui effectuent une analyse quantitative de la dépendance des FARC-EP vis-à -vis de la cocaïne, ou qui réalisent une observation de leur relation directe avec l’industrie de la coca. C’est l’accusation qui est faite par les Etats colombien et états-unien. C’est l’excuse qui sert à justifier le Plan Colombie, la « guerre à la drogue » des Etats-Unis et de la Colombie ; et c’est, nous le montrons, un mensonge.
Durant la guerre froide il était reconnu dans le monde entier que les mouvements insurrectionnels marxistes ou marxistes-léninistes pouvaient en partie bénéficier du soutien objectif ou subjectif de l’URSS. Cependant avec la fin de la Guerre froide et avec la disparition du Bloc soviétique, il y a eu un déclin de beaucoup de luttes importantes et un affaiblissement de certains mouvements révolutionnaires d’orientation marxiste classique, particulièrement en Amérique latine. Certains analystes sont allés jusqu’à dire qu’« après la chute des sandinistes et la chute du mur de Berlin, la Révolution a disparu du lexique de la gauche » (Castañeda, 1994). Une organisation politico-militaire a fait exception à cette disparition, affirmant son idéologie et sa stratégie marxiste-léniniste pour l’autodétermination révolutionnaire des travailleurs et de leurs alliés les paysans colombiens. Les FARP-EP n’ont pas seulement survécu à la Guerre froide et à l’échec du communisme de style soviétique, mais la guérilla a grandi de façon remarquable aussi bien en effectifs qu’en extension géographique.
Pour expliquer la puissance des FARC-EP on ne s’est jamais basé sur l’appréciation critique du positionnement idéologique des Insurgés, et encore moins sur une analyse de l’économie politique et de la désastreuse situation matérielle de la grande majorité de la population rurale. Au contraire, souvent les analyses estiment que « la puissance des FARC-EP est principalement soutenue par la vente de cocaïne et d’amapola dans les territoires qu’elles contrôlent » (Steinberg, 2000). Au début du Plan Colombie, quelques universitaires et de nombreux officiels du gouvernement des Etats-Unis ont affirmé que la puissance croissante des FARC-EP était possible « tant qu’elles sont soutenues par des activités illicites très rentables... ainsi les profits tirés de la drogue et les rançons récupérées avec les enlèvements ». (Steinberg, 2000). D’autres ont exprimé une position similaire avec l’argument selon lequel les succès militaires des FARC-EP ont été possibles grâce à l’industrie de la coca existant dans les régions qu’elles contrôlent. Alain Labrousse (2005) a écrit que les plus grands « succès de la guérilla contre l’armée entre 1996 et 1998 » n’étaient attribuables qu’« au Bloc Sud des FARC, lequel opère dans les départements qui sont parmi les plus gros producteurs de coca, le Caquetá et le Putumayo ». Pour voir si cela est vrai une observation des chiffres actuels s’impose.
Depuis que l’Etat colombien et les Etats-Unis ont lancé la « guerre à la drogue » la culture de la coca dans les régions des FARC-EP a en fait baissé de façon significative. Par exemple, les FARC-EP jouissent d’une grande reconnaissance dans le Putumayo et elles exercent dans une bonne mesure le contrôle de ce département depuis plus de 30 ans. Bien entendu le Plan Colombie visait spécifiquement le Putumayo, considérant que la plus grande partie de la coca cultivée provenait de ce département (UNODC, 2005). En cinq ans la culture de coca a fortement baissé dans le Putumayo ainsi que dans la plupart des régions où les FARC-EP sont très présentes (comme le Caquetá, le Cauca et le Guaviare), régions qui à un moment donné fournissaient environ 95% de la coca cultivée en Colombie (O’Shaughnessy et Brandford, 2005). Rien qu’en 2003 la culture de coca a chuté de 21% (Crandall, 2005).
Donc, si on s’en tient à l’argument principal qui soutient la thèse du développement révolutionnaire grâce à la drogue, les FARC-EP devraient être incroyablement affaiblies par la perte d’une ressource si importante. Or, les faits montrent le contraire. Ces trois dernières années, les FARC-EP ont gagné en force et elles ont augmenté leurs effectifs, elles ont lancé des offensives militaires de grande envergure, notamment ces deux dernières années (Rangel, 2004). Depuis février 2005, les FARC-EP ont effectué un déploiement militaire en divers régions du pays, notamment dans le sud, tout cela se traduisant en quantités records d’attaques contre les forces de l’Etat et les forces paramilitaires (Brittain, 2005 ; Restrepo et Spagat, 2004). En 2003 les attaques des FARC ont augmenté de 23% ; et en 2004 il y a eu une augmentation de 101% des attaques contre les infrastructures gouvernementales et 21% d’augmentation pour les attaques contre les entreprises multinationales, notamment des attaques contre les oléoducs (Fundación Seguridad y Democracia, 2006 ; Vieira, 2006 ; Crandall, 2005, p. 177). Il est intéressant de remarquer que certaines informations ont été publiées durant cette période : elles indiquent que les FARC-EP étaient beaucoup moins impliquées dans le narcotrafic que ce qui avait été imaginé auparavant (Semana, 2005 ; Miami Herald, 2005 ; El Tiempo, 2005).
De notre point de vue, les FARC-EP ont montré leur grande capacité d’organisation et elles ont fait connaître la réalité à la communauté internationale. Il est complètement faux d’affirmer que les dirigeants des FARC-EP dépendent du narcotrafic pour soutenir le conflit révolutionnaire face à l’Etat colombien. Ce qui a été démontré ces dernières années, bien qu’étrangement ignoré, c’est que les FARC-EP sont beaucoup moins dépendantes de la drogue ou des enlèvements que ce qui était antérieurement -et est encore actuellement- affirmé. Par contre la stratégie et la tactique des FARC-EP, comme le reconnaît l’envoyé des Nations Unies James Lemoyne, sont basées sur une idéologie émancipatrice des travailleurs et des paysans. Les guérilleros des FARC-EP sont conscients du fait qu’ils combattent pour les exploités et pour l’ensemble des pauvres de la société colombienne (LACIC, 2004 ; voir aussi Goghlan, 2004, p. 10 ; O’Donoghue, 2003). Le déclin de la narco-industrie dans les régions des FARC-EP n’a guère eu d’effet sur l’idéologie ou sur les prises de position des FARC-EP.
Pour nous, les FARC-EP sont si profondément conséquentes justement en raison de leur organisation marxiste-léniniste. C’est certainement quelque chose de tout à fait élémentaire de la culture ML [marxiste-léniniste] pour les FARC-EP que de soutenir les revendications des paysans et des semi-prolétaires, à la recherche de moyens pour vivre dans la Colombie rurale, en autorisant et en régulant la production de coca ainsi que sa commercialisation dans leurs zones d’influence tout en tentant de favoriser le développement de cultures alternatives. C’est certainement quelque chose de tout à fait classiquement ML pour les FARC-EP que d’être en guerre contre les capitalistes-criminels des AUC -et donc contre l’Etat fasciste de la Colombie- et contre l’impérialisme états-unien.
Cette information est importante si on considère la récente accusation lancée par la justice des Etats-Unis contre les dirigeants des FARC-EP. La justice états-unienne sans fournir la moindre preuve a affirmé que les FARC-EP ont exporté pour une valeur de 25 milliards de dollars de drogue vers différents pays dans le monde ? ! Une telle affirmation pose deux questions importantes :
1) Comment les Etats-Unis (la DEA, la CIA, etc.) et l’Etat colombien sont-ils capables d’intercepter ou d’établir l’itinéraire de la cocaïne appartenant (soi-disant) aux FARC-EP alors que la culture et l’élaboration de la coca ont significativement baissé dans les régions contrôlées par les Insurgés ? ;
2) Comment l’Etat colombien peut-il si facilement intercepter ou détecter le transport de cocaïne appartenant (soi-disant) aux FARC-EP alors que l’arsenal combiné de l’armée colombienne, des Etats-Unis (avec leurs Forces spéciales, la CIA, la DIA, la DEA, etc.), de quatre entreprises privées de sécurité, et de l’ensemble des paramilitaires, n’ont même pas pu trouver les dirigeants des FARC-EP ?
Alors que se produisent ces accusations contre les dirigeants des FARC-EP, plus de six tonnes de cocaïne (soit une valeur de 1,5 milliards de dollars), cocaïne cultivée et élaborée par les AUC paramilitaires dépendant de l’Etat, ont effectivement été interceptées dans le port de Carthagène durant les 100 premiers jours de l’année 2006. Certains auteurs admettent que pour les intérêts capitalistes et impérialistes de l’Etat états-unien -ainsi que de l’Etat colombien et de leurs partenaires des AUC- il est très important de détourner les regards de la situation réelle en émettant contre les FARC-EP « la plus grande accusation de narcotrafic jamais lancée dans l’histoire de la justice des Etats-Unis ». Le plus grand narcotrafiquant en Colombie, au moins pour cette dernière décennie, c’est le principal partenaire des Etats-Unis et de l’Etat colombien actuel, ce sont les forces du terrorisme d’Etat, les Autodéfenses Unies de Colombie (AUC). Pour soutenir l’Etat antidémocratique et pour freiner l’avancée de la révolution socialiste -voire pour la détruire-, la justice des Etats-Unis est contrainte de mentir.
James J. Brittain, University of New Brunswick.
R. James Sacouman, Acadia University.
Les références des ouvrages et articles cités sont disponibles en anglais : www.anncol.org
– Source originale en anglais : Agencia de Noticias Nueva Colombia ANNCOL www.anncol.org
– Version espagnole : Rebelion www.rebelion.org.
– Traduction : Numancia Martànez Poggi.
Les véritables raisons de l’intervention nord-américaine en Colombie, par Doug Stokes.
La Colombie d’Ingrid Betancourt, par Maurice Lemoine.