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Comment les chaînes d’infos terrorisent les États-Unis (Alternet)

Pourquoi des milliers de morts par balle chaque année peuvent être acceptés sans effort comme le « prix de la liberté », alors qu’un seul attentat appelle à la suspension des libertés civiles.

À la suite de l’attentat du marathon de Boston, et pendant l’imposante chasse à l’homme par la police de l’auteur présumé, Dzhokhar Tsarnaev de 19 ans, le journaliste de la NBC David Gregory aurait dit aux téléspectateurs de la TV américaine : "Il s’agit d’un nouvel état de terreur auquel le pays doit s’habituer." Etant donnée la couverture hyperbolique, hors d’haleine, fournie par NBC, CNN, et beaucoup d’autres chaînes d’infos pendant la traque de Tsarnaev, il n’est nullement surprenant d’entendre Gregory faire un tel commentaire. Que ce soit dans un contexte de divertissement ou d’information (distinction qui a été rendue de plus en plus floue par les chaînes TV), la peur et l’hystérie rendent toujours convaincantes les contre-informations si on en voit.

Cependant, il faut se poser la question devant l’affirmation de Gregory : pourquoi les Étatsuniens – dont le pays possède l’armée la plus puissante de l’histoire de l’humanité et qui dépense plus pour sa défense que l’ensemble des 13 pays suivants – devraient se résigner à vivre "dans un état de terreur" ? Les actions d’un ado révolté et de son frère aîné, assurément abominables, peuvent-elles suffire à terroriser au point de paralyser une super puissance militaire et contraindre les Étatsuniens à renoncer à leurs droits et libertés consacrés par leur Constitution ?

Depuis le début, la couverture par les médias de l’establishment de l’attentat de Boston et de ses conséquences a été caractérisée par une combinaison d’hystérie et d’inepties. Depuis les rapports initiaux de la police qui cherchait "un homme à la peau sombre" jusqu’à la déclaration complètement erronée et encore inexpliquée du "Day One", qui affirmait qu’un suspect était effectivement détenu, le téléspectateur moyen de Fox, CBS ou MSNBC aura été de loin moins bien informé par la couverture des TV, que s’il s’était complètement abstenu d’infos TV durant la crise.

Après plusieurs heures de reportages pour leurs millions de téléspectateurs crédules sur des "faits" qui ensuite sont devenus à peine plus que des rumeurs sans fondement, Chris Cuomo de CNN a admis : "OK. Maintenant, vous savez, nous ne savons pas ce qui est exact ou non à ce sujet." On pourrait espérer une telle honnêteté de la part d’une chaîne majeure d’information avant et non après un reportage sur une affaire aussi majeure. Malheureusement le contraire fut vrai.

Indice d’écoute des médias

Bien que la propagation rapide de rumeurs, l’hyperbole et les insinuations servent très peu à informer et éclairer les millions de personnes qui comptent sur les télés pour s’informer, tout cela fonctionne très bien pour générer l’hystérie et une peur généralisée. C’est moins le résultat d’une grande conspiration que de la simple économie de marché. Tout au long de la crise, les indices d’écoute des grandes stations d’information ont bondi - explosant jusqu’à 194 % des moyennes normales pour CNN et moins, mais de manière importante, pour Fox News et MSBNC.

Pour une industrie basée sur la publicité, où ces indices d’écoute sont les porteurs normaux de succès et de viabilité commerciale, l’attentat de Boston a fourni un coup de fouet majeur. Dans cet éclairage, on voit diminuer nettement la propension à éviter les commérages salaces et la spéculation – choses qui devraient déclencher inévitablement une grande peur parmi les téléspectateurs démunis de leurs propres moyens d’évaluation des évènements. La peur et l’incertitude peuvent être mauvaises pour la population en général ainsi que pour le bon fonctionnement d’une démocratie saine. Mais elles sont indéniablement bonnes pour engendrer de plus grandes et plus lucratives audiences pour les chaines d’infos. Dans le paysage oligarchique des médias, où l’on constate à la fois des barrières élevées aux entrées et des pressions sur les acteurs en présence, les organes d’infos télé ont toutes les raisons de continuer à pousser jusqu’à l’hystérie si cela signifie une plus grande audience. Comme l’a montré leur couverture hyperbolique de la crise de Boston, ils ont peu d’hésitation à le faire quand l’occasion se produit.

Etre une victime aux États-Unis

Alors que le terrorisme violent est sans aucun doute réel, il est utile de rappeler quelques données statistiques de base sur le niveau de la menace qu’il représente pour le citoyen moyen. Dans leur rapport de 2010 pour Foreign Affairs, John Mueller et Mark G. Stewart ont fait une analyse comparative du terrorisme par rapport à d’autres causes potentielles de décès pour les Américains. Ce que les résultats montrent, c’est que l’Étatsunien moyen, sur base annuelle, est plus susceptible d’être tué par un de ses appareils électroménagers, par la noyade dans une baignoire, ou dans un accident de voiture impliquant un cerf, que d’être tué dans une attaque terroriste. Sans parler de la menace de la criminalité violente ordinaire, qui pose un danger plus grand que celui de la violence terroriste, criminalité ordinaire qui continue à exploser dans tout le pays.

Néanmoins, en raison de la couverture médiatique en grande partie déséquilibrée et sensationnaliste, les Étatsuniens ont été plus disposés à se séparer de leurs droits et libertés en réponse aux menaces perçues venant du terrorisme, que des menaces des crimes ordinaires. Vu sous cet angle, il est plus facile comprendre comment de dizaines de milliers de décès par balle tous les ans peuvent être acceptés sans broncher comme le "prix de la liberté", alors qu’un seul attentat peut susciter des appels à la suspension des libertés civiles accordées aux citoyens par la Constitution américaine.

Le terrorisme par les médias

Il y a les millions d’Étasuniens qui sont régulièrement victimes des médias auxquels ils accordent leur confiance pour obtenir des informations, mais qui, au lieu de cela, voient leurs plus profondes peurs manipulées dans un but financier. À côté de ceux-là, la couverture de l’attentat de Boston a produit un autre type de victime, unique, des médias.

Le 18 avril, le lycéen de 17 ans Salah Barhoum s’est réveillé pour trouver son portrait en première page du New York Post. La une suggérait qu’il était en fait l’auteur de l’attentat du Marathon de Boston. Le chaos en tous sens et l’hystérie provoquée par la désignation des médias d’un informe « suspect à la peau brune » avait conduit les forums Internet à faire circuler le visage (à peau brune) de Barthoum comme une menace potentielle – chose que le New York Post n’a pas hésité à reprendre comme un fait pour gagner un scoop historique. L’allégation s’est révélée totalement infondée, Barhoum était simplement un spectateur innocent que la police de Boston n’a jamais considéré comme un suspect dans le crime. Néanmoins, le mal était fait.

Tout en reconnaissant son innocence, le New York Post a refusé de s’excuser pour l’atteinte à la réputation et pour le danger potentiel qu’ils ont causé à Barhoum en l’identifiant faussement comme l’auteur d’un crime qui a provoqué la colère et la peur de tout le pays. Dans son compte rendu des jours suivant son implication erronée par une chaîne d’info importante, Barhoum s’est décrit courant terrorisé de son domicile à son école après avoir vu un homme qu’il pensait le poursuivre. De ses propres mots, il disait de son avenir : « Je vais avoir la frousse d’aller à l’école. Sur les plans professionnels et familiaux, tout va être effrayant ». A bien des égards, c’est encore un individu dont la vie a été terrifiée par un organe majeur de presse, sauf qu’aujourd’hui c’est à cause des actes de ces médias que les craintes de l’étudiant sont tout à fait fondées.

Souffler sur le feu

Aujourd’hui, les citoyens étasuniens sont contraints de renoncer à leurs droits et libertés sacrés devant une menace qui est plus éloignée que celle émanant des meubles de leurs propres maisons.

Dans une évaluation rationnelle des politiques futures, le problème de la violence terroriste doit être abordé d’une manière qui est à la fois sobre et reflétant la véritable ampleur de la menace posée. Néanmoins, cela restera impossible tant qu’un public manipulable est soumis à une machine à potins sans scrupules, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui tient lieu aujourd’hui de médias. Les mêmes organes de presse de l’establishment, qui, colportant battages médiatiques et mensonges, ont convaincu des millions d’Américains de mener une guerre ruineuse contre l’Irak sous des prétextes totalement faux, aujourd’hui tentent de les convaincre de se soumettre à une surveillance accrue du gouvernement et encore diminuer leurs libertés civiles

Bien qu’il existe de nombreux coupables, la responsabilité principale est celle des réseaux câblés d’information sur lesquels des millions d’Étasuniens s’appuient aujourd’hui pour une info à jour et fiable. La couverture lamentable et négligente de l’attentat de Boston et de ses suites peut être vue éventuellement comme le « Tobacco Moment »[1] pour les chaînes d’infos.

Jusqu’à ce que les Étasuniens soit demandent des améliorations tangibles, soit la déconnexion définitive de ces organisations, le pays ne verra rien d’autre que l’intensification de peurs nocives et de l’hystérie qu’elles contribuent consciencieusement à provoquer.

Murtaza Hussain

Murtaza Hussain est un écrivain et analyste basé à Toronto, axé sur les questions liées à la politique du Moyen-Orient.

Source originale : Alternet

Traduit de l’anglais par JP G. pour Investig’Action

[1]NdT : « Tabacco Moment » fait référence aux risques encourus suite aux poursuites légales que l’industrie du tabac US a subies durant les années 1990.

»» http://www.michelcollon.info/Comment-les-chaines-d-infos.html
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