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Comment redescendre du lierre de Mr. Bourdin et cultiver notre propre jardin

De mai à juillet 2016, les médias espagnols firent de la « dictature bolivarienne » un thème central de la campagne électorale. Passé le scrutin, ils n’en ont pratiquement plus parlé (1). C’est pour la même raison que les médias français dominants, dont les mensonges sur le Venezuela rempliraient plusieurs bibliothèques, redoublent d’ardeur dans une campagne présidentielle, où la plus-value de 18 ans de désinformation quotidienne revêt un intérêt très particulier…

Ainsi, le 19 avril 2017, on nous annonce « deux nouvelles victimes lors de manifestations anti-Maduro ». Le lendemain matin, un animateur de radio (Jean-Jacques Bourdin) oblige un candidat à la présidence de la République (Jean-Luc Mélenchon) à condamner les « violences d’Etat au Venezuela comme au Bahrein, partout ». Ce qui est intéressant ici, c’est que ni Mr. Mélenchon, alors qu’il n’est encore que candidat, ni ses sympathisants, ne peuvent répondre autre chose. Est-il possible de garder un rapport serein, détaché, au réel dans un champ médiatique univoque ? Même pour le plus formé des militants, la quantité de mensonges devient vérité. En Espagne, Podemos a dû baisser la tête et prendre ses distances avec la révolution bolivarienne, par peur de perdre des voix.

il y a un an, Nicolas Maduro organisait déjà des « auto-coups d’Etat »… à Madrid.

En ce qui concerne le Venezuela, la réalité invite pourtant à la prudence.

Selon des membres de la famille du jeune Carlos Moreno (17 ans), frappé d’une balle à la tête par un franc-tireur à Caracas, l’adolescent ne participait à aucune manifestation et se rendait a un tournoi sportif. Quant à la deuxième victime, Paola Rodríguez (22 ans), victime d’un coup de feu à San Cristobal, son assassin a été rapidement arrêté par les autorités ; il s’agit d’un militant d’opposition (2). Notons que les médias passent sous silence l’agression de policiers ce même 19 avril à Chacaïto (Caracas) ou l’assassinat par des terroristes d’extrême droite d’un garde national qui participait au déploiement d’un cordon de sécurité a San Antonio de los Altos. (3) Ils taisent également l’arrestation rapide et la mise en examen de deux policiers pour le meurtre du militant de l’opposition Daniel Queliz (20 ans) le 10 avril dans l’État de Carabobo (4).

Pourquoi la majorité des victimes des violences de la droite organisées ces quatre dernières années appartiennent-elles aux forces de l’ordre ou à la militance bolivarienne ? Tout simplement parce qu’il ne s’agit, pas plus que dans le Chili de 1973, d’une « répression d’État » mais de la résistance, depuis des années, d’un gouvernement de gauche à une vaste stratégie de déstabilisation économique (création de pénuries par le secteur privé très majoritaire dans l’économie), politique (violences de la droite avec l’appui de l’OEA depuis Washington et du réseau paramilitaire colombien) et médiatique (en France, des médias comme Libération, Le Monde, Le Figaro et même des sites supposés « alternatifs » comme Mediapart ont transformé une démocratie participative en autocratie répressive).

Cette opération conjointe des forces économique, politique et médiatique avait déjà eu lieu en avril 2002 lors du coup d’État contre le président Chavez mené par le MEDEF vénézuélien, les médias privés et des militaires de droite. Fait unique dans l’histoire contemporaine, la population défit ce coup d’État en 48 heures et ramena au pouvoir le président élu . La mort de Hugo Chavez a rendu a l’Empire l’espoir d’en finir avec le fer de lance de l’unité latino-américaine et de récupérer une fois pour toutes ses immenses réserves pétrolières.

En vivant au Nicaragua dans les années 80 j’avais observé le même phénomène : les médias européens faisaient campagne non pas parce que la révolution sandiniste fût totalitaire, mais pour qu’elle le devienne et pour que cet épouvantail serve d’avertissement aux citoyens tentés de suivre la même voie dans le reste du monde (5).

Imaginons une seconde qu’un candidat authentiquement de gauche remporte des élections présidentielles en France. La pression médiatique qui s’abattrait sur son gouvernement l’obligerait à consacrer une part importante de son temps et de son énergie à répondre aux accusations de totalitarisme, à louvoyer, voire à reculer. A l’extérieur de ce pays les populations informées par ces médias finiraient par croire qu’en France la démocratie est menacée parce qu’un homme fort y a « pris le pouvoir ».

La grande victoire de la désinformation quotidienne via la propriété transnationale des groupes de communication, c’est l’occultation d’expériences qui permettraient l’identification citoyenne et de nourrir d’autres processus de démocratie participative. “Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements.” (Noam Chomsky). Même les médias dits alternatifs parlent très peu des expériences communales du Venezuela et du droit a la critique populaire exercée par les médias associatifs, des difficultés à faire en sorte que les citoyens assument leur pouvoir de contrôler des budgets participatifs, de créer une économie coopérative, d’organiser la production des médias associatifs, ou d’affronter la dépolitisation de la jeunesse. De cette manière le peuple vénézuélien lui-même disparaît, remplacé par les images des manifestations de la droite ou par les marqueurs personnalistes (leader politiques). C’est pourquoi on n’ose pas associer le mot « Venezuela » au mot « démocratie ».

En jouant au court terme médiatique plutôt que de réfléchir à comment démocratiser leur propriété et à comment former massivement les citoyens à un nouveau paradigme de l’information, la gauche occidentale a fortement hypothéqué la possibilité d’appliquer son programme. Pourquoi cette cécité, depuis si longtemps, face a un enjeu aussi central, vital, stratégique ? En Argentine avant que le président néo-libéral Mauricio Macri ne la déroge, la loi argentine équilibrait la propriété des médias (comme aujourd’hui encore en Bolivie et en Équateur) : « 33 % au secteur public, 33 % au secteur privé et 33 % au secteur associatif ». Bien sûr toute réforme de ce type sera immédiatement combattue par les grands groupes privés, comme ce fut le cas dans les trois pays mentionnés, en tant qu’« atteinte à la liberté d’expression » (6).

Mais à l’ère où la gouvernance mondiale s’exerce via de grands groupes privés, est-il possible de mettre en oeuvre un programme de transformation sociale sans commencer par instaurer un véritable pluralisme de la propriété des médias ? (7)

Thierry Deronne,
Venezuela, 20 avril 2017

Notes :

(1) Source : http://albaciudad.org/2016/07/la-prensa-espanola-se-olvida-de-venezuela-despues-de-las-elecciones-graficos/

(2) http://www.correodelorinoco.gob.ve/autor-material-del-asesinato-de-paola-ramirez-en-tachira-es-militante-de-vente-venezuela/

(3) Sur cette même ligne d ‘imputation de victimes mortelles au « régime de Maduro », lire : « Brayan avait 14 ans : la droite lui a pris le bateau, la mer » http://wp.me/p2ahp2-2xw

(4) Lire https://venezuelanalysis.com/news/13059

(5) Battus lors des élections de 1990, rappelés par les urnes en 2006 et réélus depuis, les sandinistes poursuivent leur programme de sortie de la pauvreté. L’opération « Nicaragua totalitaire » menée par Le Monde ou Libération dans les années 80 était aussi vide que leur campagne sur la « dictature bolivarienne ».

(6) C’est, selon la loi, une des obligations du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) : la loi francaise n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée et complétée, relative à la liberté de communication dit (et qu’on aimerait voir appliquer) : ARTICLE 29 : … Le CSA veille, sur l’ensemble du territoire, à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion…

(7) Sur ce thème, lire : « Thomas Cluzel, ou l’interdiction d’informer sur France-Culture« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/12/thomas-cluzel-ou-linterdiction-dinformer-sur-france-culture/

 https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/04/20/comment-redescendre-du-lierre-de-mr-bourdin-et-cultiver-notre-propre-jar
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COMMENTAIRES  

21/04/2017 08:14 par Gimenez Gilbert

Le 19 avril en regardant Telesur, , j’ai vu l’immense rassemblement du peuple vénézuélien à Caracas et écouté le discours de Nicolas Maduro rappelant l’histoire après l’indépendance du vénézuela. De cela à ma connaissance pas de traces dans aucun les médias français . Par contre l’incontournable commentaire de Mr Paranagua correspondant du monde sur les manifestations de l’opposition à maduro.
Désolant !

21/04/2017 08:21 par Jean-Luc

J’adhère complètement à cet article, et j’aime tellement le ton, que j’ai voulu le partager sur Face de Bouc... Impossible et voici le message qu’il m’adresse en retour de mes nombreuses tentatives
" URL introuvable
Nous avons eu des difficultés avec l’URL que vous avez fournie. Veuillez réessayer plus tard. "
Seriez-vous victime de la censure des bien-pensants ?!
Y a-t-il moyen de le vérifier ?
A bientôt

21/04/2017 11:53 par Fabienne

Et ce jour ce leme journaliste du monde qui explique que les médias appartiennent a l Etat ! Faux archi fauc mensonges tromperie les medias au Venezuela appartiennent tous a l oligarchie privée. C est pour cela qu hugo chavez avait créé telesur tele de l amerique latine pour l amerique latine. Les manifestations violentes son organisees par l extreme droite et son representant cariles qui cherche la destabilusation du gouvernement du peuple. Et n oublions pas que hugo chavez etait un grand democrate qui a mis en place le referendum revocatoire que la droitecdu pays veut utlisrr contre le gouvernement légitime. Viva maduro viva melenchon un autre monde est possible !

21/04/2017 13:45 par Pierre

Si le chemin de la révolution passe évidemment par l’abolition de la détention des médias par l’oligarchie, le combat n’est pas nouveau. Il doit remonter, en gros, à l’époque ou l’humain s’est organisé en société hiérarchisée verticalement, c’est-à-dire aux débuts de l’agriculture et de la sédentarisation, il y a 12000 ans. Le Grand Soir est peut-être une utopie, mais nécessaire et indispensable pour contrer et contenir,éternellement, la violence des dominants. Ce qui me coûte le plus en énergie, je crois, c’est de penser à côté de quoi nous passons, nous tous, du bas en haut de l’échelle, à côté de quelles merveilles restées potentialités... L’espoir fait vivre et la lutte continue. Courage à tou-te-s.

21/04/2017 14:10 par D. Vanhove

En suivant le différé de l’émission de Bourdin sur le site de JLM-2017, on aurait pu croire à un procureur exigeant des aveux de la part son interlocuteur...! J’ai même cru qu’à un moment, JLM allait se lever et quitter l’antenne... mais, il a pu se contenir et renvoyer ce journaleux dans les cordes...

de même, l’émission en "live" de Mediapart ce mercredi 19.04 : dès qu’il s’agit de la Syrie, le journaleux Confavreux somme les représentants de la France insoumise de condamner l’attaqueà l’arme chimique qui à 99,99% est imputable au régime d’Assad...
où sont les preuves de telles allégations : aucune !!... et ça se dit (et se prend) pour une information "alternative"... quelle honte !
juste à dégueuler, oui !

21/04/2017 17:16 par Assimbonanga

Écoutez la vidéo de Philippe Poutou à l’émission "15 minutes pour convaincre" de France 2. A la 13ème minute, Léa Salamé dit clairement que la police doit être armée dans les manifestations ( contre les casseurs). Ne peut-on pas en déduire qu’elle est est favorable à tuer des gens dans des manifestations ? Et ce sont ces gens-là qui veulent accabler le gouvernement de Maduro ? C’est vraiment le comble !
https://www.youtube.com/watch?v=WHyovqXHi0Q

21/04/2017 18:56 par AF30

Il y a la contrainte de la forme. Ainsi dans le temps imparti il est impossible à JLM ou qui que se soit de répondre de manière argumentée aux assertions de Bourdin sauf à faire son deuil de tant d’autres sujets. Par ailleurs comme il ne s’agit pas d’un sujet franco-français la plupart des auditeurs le trouveront de peu d’intérêt. Bien évidemment à tort. Alors devant ces contraintes et l’inégalité des temps de parole dont disposent les uns et les autres le mensonge finit par avoir la forme de la vérité. IL faut ajouter que tous ces grands sensibles le sont beaucoup moins pour les violences commandées par nos gouvernants,chez nous ou chez nos voisins. Rémi Fraisse, ils l’ont bien enterré plusieurs fois.

22/04/2017 09:37 par Assimbonanga

J’en viens presque à me demander si, jusqu’à hier, je n’étais pas davantage informée que Mélenchon au sujet du Venezuela ! Mélenchon est embarqué dans sa campagne, absorbé par un lourd labeur de production verbale et conceptuelle. Moi, tranquille chez moi, je vois venir ce problème (avec d’autres ici sur LGS) et je suis motivée. Je recherche sur Internet. J’ai pu constater que Maduro n’est nullement coupable d’avoir causé des morts, qu’il n’a pas fait tirer sur la foule, à aucun moment.
On est tranquille jusqu’à dimanche soir : les candidats ne peuvent plus s’exprimer par voix de presse. J’espère donc qu’à partir de ce moment-là, Mélenchon ne va pas renier Maduro ni le sacrifier pour raison électorale. Ce serait injuste. Que Mélenchon mette cette pause à profit pour prendre des informations !

22/04/2017 16:58 par Philippe H

Mélenchon ignore-t-il que la violence est, par définition, constitutive de l’Etat (ses lois, ses prisons, ses flics). Que peut bien signifier "condamner les violences d’Etat", puisque l’Etat, c’est la violence. Est-ce tout à coup un coming out anarchiste, JLM condamnant tous les Etats ? Je trouve cela particulièrement hypocrite de la part d’un candidat à une élection présidentielle, et encore plus hypocrite de citer le Venezuela et le Bahrein, mais non la France.

Accepter l’Etat, c’est accepter la violence ; ce que JLM refuse de faire, c’est de considérer que l’histoire n’est intelligible qu’à travers la lutte des classes - et qualifie même de "marxisme vulgaire" l’idée que les positions politiques pourraient s’articuler sur des divisions sociales.

22/04/2017 18:29 par Assimbonanga

@Philippe Hash, avez-vous lu l’article ? Il s’avère que, en l’occurrence, il n’y a pas de violence d’état.

23/04/2017 01:08 par Philippe H

@Assimbonanga - je sais bien que, au Venezuela comme ailleurs, la violence de la bourgeoisie et des oligarques est toujours bien pire que celle du peuple. Je sais aussi qu’au Venezuela les assassinats politiques sont très généralement (et en particulier ces derniers jours) commis par la droite, avec la complicité de la "communauté internationale".
Cependant, l’Etat est toujours synonyme de violence - et je reconnais comme légitime la violence (justifiée et modérée) de la révolution bolivarienne qui se défend contre l’oligarchie et la réaction. Ne pas accepter qu’il y ait là de la violence, c’est nier la lutte des classes, c’est nier le rôle de la violence dans l’histoire.
Le but de mon intervention était de condamner l’hypocrisie d’un Mélenchon qui dénonce la violence d’état au Venezuela comme au Bahrein (sans citer la France, et sans reconnaître qu’il n’y a pas d’état sans violence).

23/04/2017 12:17 par Assimbonanga

@Philippe H, pour moi, si Mélenchon s’enlise dans cette prise de position ("la violence d’état au Venezuela comme au Bahrein"), je le ressentirai non comme une hypocrisie mais plutôt comme une lâcheté et une reculade électoraliste. Ma déception pourrait précéder ma désaffection.
Certes l’état finit toujours par aboutir à la violence mais justement ! C’est bien ce qui est remarquable dans le cas présent : Maduro se refuse à faire usage de la violence. Et toute l’injustice est là puisqu’il se voit taxer de violence alors qu’il résiste tant qu’il peut pour ne mettre en branle cette spirale infernale.

24/04/2017 07:04 par alain harrison

Tout est dit.

Aux deuxièmes tours Macron-Le Pen.

La gauche a à établir la meilleure tactique.

Soit la gauche vote blanc pour ne pas donner à légitimer le ou la gagnante d’un chèque en blanc. Puis que plus il y aura de votants plus ils légitimeront le chèque en blanc. Donc voter blanc. Entre deux droites il n’y a pas de moindre mal.

Par contre, Le Pen a promis le Frexit, voter pour elle, c’est la prendre à son propre jeu et en même temps mettre KO, pour un temps, Macron et lobbyism inc.

Il y a 2 semaines avant le 2è tour.

Avec Le Pen, les chances pour la gauche..... Puisque avec la mort du PS, la gauche avec la FI a encore ses chances, dans la mesure que la gauche se tienne.

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